lundi 27 octobre 2014

L'homme de la montagne



L'homme de la montagne de Joyce Maynard aux éditions Philippe Rey


    Rachel (la narratrice) et Patty sont deux soeurs,  elle vivent dans un lotissement poétiquement nommé "Cité de la splendeur matinale" avec leur mère. Leur père, l'inspecteur Toricelli, charmeur invétéré, amoureux de toutes les femmes, a été mis à la porte par sa femme fatiguée de ses incartades. Les deux soeurs sont livrées à elles-mêmes car leur mère dépressive passe tout son temps libre dans sa chambre à lire des livres empruntés à la bibliothèque. Les deux adolescentes vivent donc en  toute liberté, s'inventant des jeux dans la  montagne, et passant leurs soirées dans la cour des voisins pour profiter de l'image de leurs postes de télévision. Rachel est pleine d'imagination, elle rêve de devenir écrivain, Patty quant à elle est sportive, elle a un don pour le basket et est passionnée par les chiens. En quelque sorte ces deux inséparables sont la tête et les jambes d'un même corps.


  Mais bientôt, les jeux, la vie des deux soeurs vont être perturbés. Des corps vont être découverts dans la montagne, des corps de femmes, nus mises à genoux en position de prière, une bande de rouleau adhésif collées sur les yeux. C'est le détective Toricelli qui va être chargé de l'enquête. Les deux jeunes filles vont vouloir à leur façon aider leur père à résoudre l'enquête, aider ce père qu'elles aiment et qu'elles sentent en difficulté.


   Ce roman est plus un roman sur l'adolescence, l'apprentissage qu'un véritable thriller. La vie des deux jeunes filles leurs questionnements, leurs aspirations, leurs réactions devant leur corps qui change ou qui tarde à changer, leur vision du monde sont  analysés et  décrits avec beaucoup de finesse.

   "La fille de treize ans déteste sa mère. Adore son père. Déteste son père. Adore sa mère.
     Alors quoi?
     Les filles de treize ans sont grandes et petites, grosses et maigres. Ni l'un ni l'autre, ou les deux à la fois. Elles ont la peau le plus douce, la plus parfaite, et parfois, en l'espace d'une nuit, leur visage devient une sorte de gâchis. Elles peuvent pleurer à la vue d'un oiseau mort et paraître sans coeur à l'enterrement de leurs grands-parents. Elles sont tendres. Méchantes. Brillantes. Idiotes. Laides. Belles."


   L'amour inconditionnel qui unit ses deux soeurs est touchant émouvant,. L'enquête policière ne joue qu'un rôle de catalyseur, elle exacerbe toutes les émotions de ces deux êtres en construction. Une construction à l'ombre d'un père qui du statut de héros tombe dans la déchéance suite à ces échecs dans sa traque de l'homme de la montagne. Un père idéalisé qui va chuter de son piédestal sans pour autant perdre l'amour de ses filles, mais un amour qui deviendra plus lucide.


   La seule critique que je pourrais faire à ce roman est sur sa fin. Une fin rocambolesque, tirée par les cheveux comme si l'auteure avait été pressée par les délais. Mis à part ce bémol, j'ai beaucoup aimé ce roman au style simple, efficace, tendre quand il décrit la relation des deux soeurs et  qui devient envoûtant dans les descriptions de ces paysages de montagne effrayants et si attirants. Un mont Tamalpais qui habite littéralement ce roman. Sans cette fin bâclée ce roman aurait été un coup de coeur.





 




samedi 25 octobre 2014

Rouen 1203




Rouen 1203 de Jean d'Aillon aux éditions Flammarion


   Le roman se déroule entre 1201 et 1203 et nous fait voyager en Terre Sainte lors des croisades, puis en France pour se terminer à Rouen. Aliénor d'Aquitaine tour à tour reine consort de France puis d'Angleterre, vit retirée à Fontevrault. Entendant parler d'une relique exceptionnelle disponible à l'achat en Terre Sainte, elle décide d'envoyer une expédition pour l'acquérir. Le Maçon, jeune clerc érudit et à l'ambition démesurée prend part à cette expédition et profite d'une épidémie de peste sur le bateau pour prendre la tête de l'expédition. Il n'aura de cesse de prendre possession de la relique et de l'apporter lui-même à sa reine!


   Cette expédition a lieu sur fond de guerre acharnée entre Philippe Auguste roi de France et Jean sans Terre, roi d'Angleterre, son vassal rebelle, fils d'Aliénor. La lutte va faire rage pour cette précieuse relique entre ceux qui la veulent pour des raisons religieuses et ceux qui, comme Jean Sans Terre  souhaitent l'acquérir pour faire fortune ou asseoir leur pouvoir.


   De retour d'une précédente aventure Guilhem d'Ussel, chevalier troubadour, héros récurrent des romans de Jean d'Aillon, se trouve à Marseille quand un bateau accoste, un bateau venant de terre sainte. Persuadé d'y trouver des hommes d'armes pouvant l'aider à regagner sereinement son fief, Guilhem guette le débarquement. Il engage plusieurs hommes dont l'un est porteur de la relique. La petite troupe est suivie par Le Maçon toujours déterminé à mettre la main dessus. Il attendra l'arrivée au fief de Guilhem pour attaquer le détenteur de la relique qui n'est autre que le linceul du Christ. Guilhem d'Usuel poursuivra l'assassin jusqu'à Rouen pour venger ses hommes.


   Ce roman nous plonge dans une période troublée dans laquelle,  comme souvent la religion, les symboles religieux, la superstition qui en découle, jouent un très grand rôle. Jean d'Aillon nous fait voyager d'escarmouches en batailles, à travers ce début de siècle, entre Terre Sainte et France. Le lecteur est plongé dans cette période, il assiste à toutes ces aventures comme si il  y était. Un roman passionnant au rythme haletant, une atmosphère politique et sociale superbement rendue, une attention permanente au détail voilà les marques de fabrique des romans de Jean d'Aillon qui encore une fois nous régale. Ce roman fait partie d'une série, mais nul besoin d'avoir lu les précédents pour apprécier l'histoire. Je découvrirai les autres aventures de ce chevalier troubadour avec un grand plaisir.




 

vendredi 24 octobre 2014

A + 2


A + 2 de Sophie Schulze aux éditons Léo Scheer 



   Dans ce récit inclassable, Sophie Schulze nous parle d'elle, de son identité. Elle nous raconte sous trois angles différents mais qui se rejoignent, ce qui fait l'identité, le poids des origines sur une vie. Dans ce texte oscillant entre philosophie, histoire et poésie, l'auteure nous raconte tout ce qui l'a forgée, ce qui a fait d'elle la personne qu'elle est, une personne qui a dû démêler le vrai du faux dans une histoire familiale trouble.


    La première partie du récit intitulée Personnalité juridique, porte sur notre identité légale, notre état civil, incarnée par nos papiers d'identité. Ces papiers si importants, qui si on les perd peuvent nous causer bien des tracas, surtout quand on voyage. L'auteure, ne parvenant pas à se fixer dans un métier précis ni dans une zone géographique, perd un jour ces papiers. Elle en vient à être retenue à l'aéroport n'ayant aucune preuve de qui elle est , de sa nationalité.


    Dans la deuxième partie : Personne morale, la narratrice nous raconte ses études de philosophie, s'interrogeant en particulier sur la philosophie du totalitarisme. Puis elle décide de tout arrêter pour devenir juriste, une juriste qui s'occupera des sans-papiers, on revient à la notion d'identité.


   Dans la troisième partie, la plus forte et la plus émouvante on retrouve notre auteure en visite à Auschwitz et à Birkenau. Dans cette partie traitée avec émotion et poésie, la poésie pour décrire l'horreur, l'auteure nous révèle qu'elle n'est pas descendante de déporté comme on aurait pu le penser mais qu'elle est la petite fille d'un tortionnaire nazi. Dans cette partie elle se libère de ce poids qu'elle traînait depuis si longtemps.


   Sophie Schulze nous livre ici un récit parfois déroutant par sa chronologie parfois aléatoire et par sa construction thématique dans les deux premières parties. On est intrigué par cette voix qui la fustige, qui la malmène en permanence, cette voix intérieure qui ne lui parle qu'en allemand. Un récit déroutant donc mais très émouvant car cette construction qui peut paraître touffue, fait ressortir le poids que l'auteure a sur les épaules, elle porte en elle la culpabilité de son grand-père. Un récit dans lequel il faut entrer mais qui se révèle au final passionnant et émouvant. Dans cet acte de contrition pour des actes qu'elle n'a pas commis, elle se libère du poids de son passé pour prendre en main sa vie.

    "Seigneur
     Je te promets 
     De l'avouer
    De dire la vérité
    De mes origines
    Quel que soit ton prix"



mardi 14 octobre 2014

Dans le jardin de l'ogre



Dans le jardin de l'ogre de Leila Slimani aux éditions Gallimard



     Adèle a tout pour vivre une vie de rêve,  elle est journaliste, mariée à Richard un chirurgien, ensemble ils ont un petit garçon, Lucien. Mais Adèle a une vie cachée, une vie dans laquelle elle n'est plus la jeune journaliste sage, l'épouse du chirurgien ou la mère de famille. Dans cette autre vie, Adèle multiplie les aventures, des histoires qui durent parfois un mois, une semaine, quelques heures. Cette autre vie qui pourtant ne la satisfait pas prend de plus en plus de place, elle prend de plus en plus de risques.


     Pourquoi une femme comme Adèle, s'est-elle marié? Pourquoi s'est-elle enfermée dans cette petite vie bourgeoise? Pourquoi a-t-elle fait un enfant :


     "Adèle a fait un enfant pour la même raison qu'elle s'est mariée. Pour appartenir au monde et se protéger de toute différence avec les autres. En devenant épouse et mère, elle s'et nimbée d'une aura de respectabilité  que personne ne peut lui enlever. Elle s'est construit un refuge pour les soirs d'angoisse et un repli confortable pour les jours de débauche."

   Adèle n'est pas satisfaite de cette vie, elle sait que son addiction au sexe est maladive. " Elle s'était dit qu'un enfant la guérirait!" Un accident immobilisant son mari va faire prendre conscience à celui-ci de la situation, il va essayer de guérir sa femme en partant vivre à la campagne. L'éloigner de la ville pour l'éloigner da la tentation.

   
    Dans ce premier roman sur le thème de l'addiction sexuelle au féminin, Leila Slimani a su déjouer les pièges qui peuvent se présenter quand on veut traiter un tel sujet. Elle a su éviter l'ornière de la pornographie et ne pas tomber dans le roman érotique. Nous assistons à la descente aux enfers d'une femme victime de la surenchère de l'addiction. Un portrait sans concession mais sans jugement, sans voyeurisme malsain. Un beau portrait de femme luttant contre ses démons et essayant de s'en sortir.  Un personnage à la fois attachant et déroutant. Un premier roman réussi.

lundi 13 octobre 2014

Le liseur du 6H27






Le liseur du 6H27 de Jean-Paul Didierlaurent aux éditions Au diable vauvert



      Guylain Vignolles, travaille au pilon, il est chargé de faire fonctionner "La chose", la Zerstor 500, machine infernale chargée de la destruction en masse des livres invendus. Dire que Guylain n'aime pas son métier est un doux euphémisme. Exercer un tel métier pèse sur sa conscience et chaque jour quand il doit aller nettoyer la machine, il récupère les feuillets rescapés de ces livres détruits, ces "peaux vives" qu'il place entre deux buvards pour les sécher et qu'il lit à voix haute tous les matins dans le RER, en faisant profiter tous les passagers de sa rame. Ses textes il les lit d'abord pour lui, comme pour se faire pardonner, le massacre dont il va être l'artisan dans la journée.


    "Peu importait le fond pour Guylain. Seul l'acte de lire revêtait de l'importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écoeurement qui l'étouffait à l'approche de l'usine..."


    Un jour Guylain trouve dans le RER une clé USB. Toute la journée il est perturbé par la trouvaille mais il doit attendre le soir pour découvrir son contenu. Il y découvre les textes écrits par Julie, dame pipi dans un centre commercial, dont les mots le touchent, il se met d'ailleurs à lire ces textes à haute voix dans le RER avec succès. Il en vient à être obsédé par la jeune femme et va se mettre à sa recherche avec l'aide de son ami Giuseppe, ancien opérateur de "La chose"" qui y a laissé ses deux jambes.


    Ce superbe roman jubilatoire, à la plume poétique, sensible, humoristique,  est un roman sur les mots, sur l'amour des mots. Tous les personnages sont marqués par eux. Guylain a été marqué dès la naissance pas les mots, son nom étant transformé par moquerie en Vilain Guignol par ses camarades.  Il n'aura de cesse plus tard de les partager avec les voyageurs de sa rame. Giuseppe, lui,  va partir à la recherche des ses jambes en traquant les exemplaires d'un livre précis. Yvon, quant à lui, trouve à toute situation son alexandrin approprié. Lucie, elle ,  relate sa vie par écrit sur des carnets qu'elle retranscrit sur son ordinateur par la suite. Ses mots vont charmer Guylain. Ce premier roman de Jean-Paul Didierlaurent est un petit bijou de poésie, une déclaration d'amour aux mots, un pur régal.


    ""C'est droit comme une épée, un alexandrin, lui avait un jour expliqué Yvon, c'est né pour toucher au but à condition de bien le servir. Ne pas le délivrer comme de la vulgaire prose. Ça se débite debout. Allonger la colonne d'air pour donner souffle aux mots. Il faut l'égrener des ses syllabes avec passion  et flamboyance, le déclamer comme on fait l'amour, à grands coups d'hémistiches, au rythme de la césure. Ça vous pose son comédien, l'alexandrin. Et pas de place pour l'improvisation. On ne peut pas tricher avec un vers de douze pieds, petit.""





dimanche 12 octobre 2014

Le poison d'amour





Le poison d'amour d' Éric- Emmanuel Schmitt aux éditions Albin Michel



 
   Le roman nous présente quatre jeunes filles : Julia, Anouchka , Colombe, et Raphaëlle. Nous y lisons leurs journaux intimes. Ces quatre jeunes filles sont des "meilleures amies", elle traînent toujours ensemble! Elles sont adolescentes et à cet âge là on ne pense qu'à une chose : l'amour.


   Nous faisons la connaissance de Julia, bercée par Shakespeare et ses pièces et qui a des citations du dramaturge anglais pour toutes les situations. Elle révèle à ses amies que l'été précédent, elle l'a fait! C'est la première d'entre elle à avoir franchi le pas et elle est très amoureuse.


   Anouchka, elle, est l'adolescente qui ne s'aime pas, elle ne se reconnaît pas dans son corps! Ses parents sont ont plein divorce et son père lui annonce qu'il est amoureux d'un homme.


    Colombe, elle, est l'amoureuse, elle tombe amoureuse facilement : " Quand j'aime, ça tombe toujours au hasard. Un garçon entre au Balmoral et je reçois une balle dans le coeur. J'ai chaud, je brûle, je m'effondre, victime de l'attentat , la blessée par surprise, le dommage collatéral. Je n'ai rien choisi."

   Raphaëlle enfin, c'est la bonne copine, elle n'est pas trop jolie, elle est amie avec les garçons qui la considèrent plus comme un pote de plus que comme une fille.


    Dans leurs journaux les quatre amies nous racontent leur vie, leurs questionnements sur l'amour avec en toile de fond, la représentation de Roméo et Juliette organisée par le lycée, dont nous suivons les préparatifs, les quatre jeunes filles ayant un rôle à y jouer.


     Dans ce roman léger, à première vue, c'est l'amour qu'Eric-Emmanuel Schmitt, analyse, dissèque. Sa durée, ce qui fait qu'un couple tient, le désir. Et le constat n'est pas flatteur, l'amour apparaît comme une maladie, un virus incurable qui contamine l'homme et peut le conduire à la mort! Un roman choral, au style fluide très agréable à lire et qui fait réfléchir sur l'amour. Ce roman est le deuxième volet d'un dyptique dont L'élixir d'Amour est le premier opus. Un premier livre que je n'ai pas lu mais qui d'après le titre doit proposer une vision plus positive de l'amour.


   "On ne choisit pas en amour, on est choisi par l'amour. La passion fond sur Juliette et Roméo comme un virus contamine un population. Venue de l'extérieur, elle les infiltre, elle creuse son lit, prospère, se développe. Ils la subissent, cette passion, ils se tordent de fièvre, ils délirent, ils laissent toute la place à ce fléau, au point d'en mourir."



dimanche 5 octobre 2014

Charlotte


Charlotte de David Foenkinos aux éditions Gallimard


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 Ce roman/biographie, bien différent des autres oeuvres de David Foenkinos, retrace la vie de Charlotte Salomon. Artiste peintre allemande au destin tragique, Charlotte inspire à l'auteur une oeuvre atypique basée sur une véritable rencontre avec cette femme décédée dans les camps lors de la  Deuxième Guerre Mondiale.


    Charlotte Salomon est issue d'une famille marquée par la tragédie :
     "Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe."
    Dans sa famille le suicide semble courir dans les gènes. Elle est issue d'une longue lignée de suicidés, une épée de Damoclès qui pèse sur son entourage même si elle, enfant, n'est pas au courant. Elle l'apprend que bien plus tard vers la fin de sa vie.


     " Treize années séparent la mort de sa mère de celle de sa tante.
        Tout comme la mort de sa mère et celle de sa grand-mère.
        Oui c'est exactement le même écart temporel.
        Un geste quasiment identique pour toutes les trois.
        Un saut dans le vide.
        La mort à trois âges différents.
        La jeune fille, la mère de famille, la grand mère.
        Aucun âge ne vaut d'être vécu.
        Dans le train qui roule vers le camp, Charlotte établit alors un calcul
        1940+13 = 1953
        1953 sera donc l'année de son suicide.
         Si elle ne meurt pas avant."


     Cette prise de conscience du destin familial ainsi que la pression exercée sur elle par les nazis du fait de se judéité vont expliquer cette notion d'urgence qui marque son oeuvre. Une oeuvre originale dans laquelle sont intimement entremêlés textes, dessins, références musicales. "Leben? oder Theater?" Vie? ou Théâtre?, une oeuvre qu'elle considère comme étant toute sa vie.

        "En marchant, elle pense aux images de son passé.
         Pour survivre elle doit peindre son histoire.
         C'est la seule issue. 
         Elle le répète encore et encore.
         Elle doit faire revivre les morts.
         Sur cette phrase, elle s'arrête.
         Faire revivre les morts.
         Je dois aller encore plus profondément dans la solitude.
         Fallait-il aller au bout du supportable?
         Pour enfin considérer l'art comme la seule possibilité de vie."


      Ce roman est le récit d'une rencontre entre l'auteur et l'artiste. Une rencontre due au hasard qui va se révéler déterminante pour David Foenkinos, la vie de Charlotte son oeuvre, vont le hanter, l'habiter, l'obséder pendant des années avant qu'il ne parvienne à 'écrire cette histoire. Il lui semble connaître Charlotte depuis toujours. L'auteur est présent dans le livre, il raconte sa rencontre, comment lui est venu cette envie, ce sentiment d'obligation d'écrire cette histoire, ses difficultés à trouver la forme idéale pour ce récit.


         "La connivence immédiate avec quelqu'un.
           La sensation d'être déjà venu dans un lieu.
           J'avais tout cela de l'oeuvre de Charlotte.
           Je connaissais ce que je découvrais."


         "J'ai tenté d'écrire ce livre tant de fois.
           Mais comment?
           Devais-je être présent?
           Devais-je romancer son histoire?
           Quelle forme mon obsession devait-elle prendre? (...)
           
            C'était une obsession physique, une oppression.
            J'éprouvais la nécessité d'aller à la ligne pour respirer.
            Alors j'ai compris qu'il fallait l'écrire ainsi."
           
          

      L'intensité dramatique, émotionnelle de ce texte est liée au style d'écriture que l'auteur a choisi pour raconter cette rencontre, pour raconter le drame,  l'amour,  l'horreur. L'utilisation de phrases courtes d'une ligne, allant à la ligne comme pour des vers, donne à l'oeuvre l'aspect d'un de ces poèmes épiques de l'Antiquité. Un livre passionnant, profondément émouvant servi par une plume pleine de souffle et de poésie. Un tournant dans la carrière de l'auteur?? En tout cas à mon humble avis Foenkinos à son meilleur!!!!




         
     

samedi 4 octobre 2014

Peine perdue




Peine perdue d'Olivier Adam aux éditions Flammarion





   Une petite station balnéaire sur la côte méditerranéenne , la saison se prépare. Des personnages se débattent avec leur vie, avec la météo qui fait déferler un coup de mer sur la station. Un coup de mer qui permet de cacher quelques affaires peu reluisantes. Mais la vie suit son cours, laissant des hommes, des femmes, épuisés cherchant à améliorer leur condition mais ne pouvant sortir du sillon tracé par le destin.

   Parmi ces personnages il y a Antoine, Zidane de banlieue, du talent jusqu'au bout des orteils, mais pas de physique. Il est comme ça Antoine, il préfère faire la fête, l'alcool,  la drogue, ne comptant que sur son talent pour espérer rejoindre un club pro, et puis non finalement il ne peut pas,  ne veut pas revêtir ce maillot trop grand pour lui.

    "C'est le problème avec la vie, a pensé Antoine. La nôtre est toujours trop étriquée, et celle à laquelle on  voudrait prétendre est trop grande pour simplement se la figurer. La somme des possibles, c'est l'infini qui revient à zéro. Au final ça passe. Ça finit toujours par passer."


    Tous ces individus se débattent avec leurs petites vies, personnelles, professionnelles, essayant de s'en sortir tant bien que mal et finalement comme  Antoine, ils n'arrivent pas à sortir de l'ornière dans laquelle, ils s'enlisent. Ils essaient mais plus ils se débattent plus ils s'enfoncent . Finalement comme dit Antoine "au final ça passe" ils finissent par accepter leur vie telle quelle est en se disant  à quoi bon.


    La seule note d'espoir du roman vient du groupe, cette équipe de foot dont Antoine est la star et dont il est exclu pour cause de suspension, puis de séjour à l'hôpital. Ce petit poucet de la coupe de France qui va aller défier l'ogre nantais sans sa star mais avec l'esprit d'équipe. L'équipe, le couple, comme celui de Paul et Hélène, deux personnes âgées qui ont toujours vécu ensemble et qui ne peuvent fonctionner l'un sans l'autre, la famille qui malgré ses errements vont soutenir Antoine jusqu'au bout.


  Avec Peine perdue, roman choral, c'est une image de la société que nous offre Olivier Adam, avec ces petites gens, et ses nababs, ces gens honnêtes et ses magouilles. Une société ou l'individu n'a aucune chance sans le groupe, et où sortir de sa condition semble impossible, semble être une peine perdue. Le style incisif, fluide, et la construction du roman ou le point de vue des individus et de l'équipe se succèdent, rendent la lecture de ce roman passionnante, on a du mal à le reposer une fois commencé.

   "C'est un long apprentissage parfois que de savoir rejoindre enfin la vie qui nous va. Qui nous attend."







mercredi 1 octobre 2014

L'écrivain national




L'écrivain national de Serge Joncour


   Serge, écrivain, arrive dans une petite ville du centre de la France ou il est invité pour une résidence. Il devra rencontrer la population lors de séances de dédicaces, participer à des rencontres en librairie ou en médiathèque ou animer des atelier d'écriture et publier un feuilleton dans le journal local. C'est avec plaisir qu'il accepte l'invitation, une occasion pour lui de se mettre au vert et de pouvoir écrire tranquillement. Mais en arrivant  Serge lit dans le journal un article sur un fait divers venant juste de se produire. Un vieux paysan un original et très riche aurait disparu et un jeune couple de marginaux serait suspecté de son meurtre, le jeune homme étant même incarcéré. Serge est aussitôt attiré, comme happé par le magnétisme dégagé, par le jeune femme, Dora. Il va se mettre contre toute attente, sous le regard réprobateur de la plupart des habitants à enquêter sur cette affaire, à se rapprocher de la jeune femme.


  Dans ce roman  on  découvre les aspects du métier d'écrivain au jour le jour, le rapport de l'auteur aux mots, à la lecture, son rapport aux gens lors de ces rencontre littéraires ou il doit parler de son oeuvre.

   "Les autres on les croise toujours de trop loin, c'est pourquoi les livres sont là. Les livres c'est l'antidote à cette distance, au moins dans les livres on accède à ces êtres irrémédiablement manqués dans la vie, ces intangibles auxquels on n'aura jamais parlé , mais qui, pour peu  de se plonger dans leur histoire, nous livreront  tout de leurs intimes ressorts, lire , c'est se plonger au coeur d'inconnus dont on percevra la plus intime rumination de leur détresse. Lire c'est voir le monde par mille regards, c'est toucher l'autre dans son essentiel  secret, c'est la réponse providentielle à ce grand défaut que l'on a de n'être que soi."

   Et comme l'auteur nous tombons sous le charme, de la belle, de la magnétique, de  l'énigmatique Dora avec qui le narrateur va vivre une histoire d'amour compliquée. Une histoire d'amour née du fait divers et rendu impossible par lui.


   "Cette fille me fascinait. D'une certaine façon elle était comme moi, une exilée du réel, une malmenée, sinon qu'elle, elle était allée jusqu'au bout , une héroïne mais pour de vrai, maudite ou adulée, traquée en pleine page dans les journaux et insultée là dans la rue. Oui, cette fille était une héroïne, ça se voyait à sa manière de survoler les choses, à cette élégance de ne même pas entendre les insultes, à sa façon de manoeuvrer sa vieille camionnette comme un hors-bord d'acajou, avec le magnétisme détaché de celles qui invitent à se damner."


   L'écrivain national est un roman mais bien plus qu'un roman c'est une sorte d'OVNI littéraire qui mélange les genres En effet on passe de l'autofiction ou roman autobiographique, au roman policier, au thriller politique régional, au roman d'amour.  Un superbe roman servi par une plume à la fois tendre, drôle, poétique, parfois féroce mais toujours si juste. Un roman qui m'a "parlé", qui m'a touché au coeur. Des romans tels que le vôtre on en redemande Mr Joncour.


   "Vivre c'est accepter de perdre, quitte à en être gorgé de remords, quitte à regretter. Trop souvent j'en suis resté là, à ne pas oser, par manque d'initiative et d'audace. J'ai en moi tout un ballet d'occasions ratées, d'amours non franchies, de sourires jamais atteints. A croire que mon destin m'a été volé par un être qui m'a pris ma place, un usurpateur qui a revêtu mes traits et mes contours, un importun qui aura substitué la peur au courage, l'indolence à la détermination, un être qui au total aura fait de moi l'habitant d'un corps en faux-semblant, un corps jamais plus grand que son ombre."