Souvenirs de lecture 17 :Arnaud Le Guilcher
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui, c'est Arnaud Le Guilcher qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je le remercie pour son temps précieux, sa gentillesse, sa disponibilité et son humour.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?
ALG : Quand j'étais gamin, j'étais assez isolé. Je vivais avec mes parents dans un petit village. C'était avant les jeux vidéo, internet, l'Iphone et les 187 chaînes à la télévision. J'avais BEAUCOUP de temps libre. (Mais alors beaucoup). Du coup, j'ai BEAUCOUP lu (mais alors beaucoup). J'ai commencé par dévorer Zola, Maupassant, Baudelaire, Rimbaud, Flaubert, Camus... et puis un peu les contemporains : Kundera, Nabokov (surtout Lolita... Ça marche bien avec l'adolescence Lolita)... J'avais un rapport assez physique au livre, quand j'étais vraiment pris par une histoire et que je n'en pouvais plus, je jetais le bouquin. Comme pour m'en débarrasser. Comme pour le fuir. Parce que c'était trop. Que j'était trop fatigué et que le lendemain fallait aller à l'école. Que ça me faisait trop peur et que la nuit était trop silencieuse. Dans ce cas là, le livre partait en vol plané. Répondre à la question sur le livre qui m'a "le plus marqué, adolescent" reviendrait donc à répondre à la question sur "le livre que j'ai jeté le plus loin".
Médaille de bronze : "Le chien des Baskerville" d'Arthur Conan Doyle. J'ai un peu la trouille des chiens et là, j'ai été gâté. Balancé à la 50ème page et jamais rouvert.
Médaille d'argent : "La bête humaine" de Zola. La folie qui traverse ce livre m'a laissé un souvenir bien vif... Brrrrr...
Médaille d'or : "Shining" de Stephen King. Je suis content de voir qu'il est progressivement réhabilité comme le grand auteur qu'il est. Toutes ces années à voir les trouducs se pincer le nez en parlant de lui, alors que son oeuvre est riche jusqu'au délire... C'était bien pénible. Stephen King donc, celui de "La peau sur les os", de "Shilling", de "Marche ou crève"... Je suis moins dingue de la partie "Ça" ou "Tommyknockers" mais ça n'est que mon avis.
LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
ALG : Ça a participé à me donner envie d'essayer d'écrire des textes qui captivent les gens. Les fameux "page turners". Lui c'était le suspens, moi c'est plus l'humour, ou du moins une forme de fantaisie. King, c'est du divertissement assumé mais tout est très bien fichu. Il ne prend pas les gens pour des cons. Les affres de l'enfance, de l'adolescence, les bleds perdus, les histoires d'amour contrarié, les monologues intérieurs ... C'est un acte politique de consacrer sa vie à peindre ces laissés pour compte et les décors sans charme de leurs vies. Et puis ses récits... La montée en gamme au fil des pages. L'inexorable en marche : c'est quand même un magistral conteur, cet homme là.
Le vrai déclic, pour me mettre moi-même à tartouiller, a été la combinaison de plusieurs lectures. Bien plus tard. Je devais avoir 25 ans.
"Voyage au bout de la nuit" de L F Céline. Une vision. Une prosodie unique et le langage parlé et populaire, qui entre dans la littérature par une porte immense. Une bible. "L'infini mis à la portée des caniches". Ça m'a totalement retourné. Bardamu; Quel personnage !
Les bouquins de Jean-Paul Dubois. "Tous les matins, je me lève", "Je pense à autre chose", Les poissons me regardent"... J'ai adoré le regard doux-amer, désabusé, cynique et tendre.
Les bouquins de Richard Brautigan (surtout "Un privé à Babylone") pour la totale liberté de ton et le feu d'artifice permanent. Le refus d'accepter les règles du jeu et la mise en danger.
Les bouquins de Djian et Bukowski pour les vapeurs d'alcool et pour la nuit.
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
ALG : Polichinelle de Pierric Bailly. Un OVNI. J'ai refermé le livre avec le sentiment d'avoir traversé un pays dont je ne connais pas la langue. Formidablement inventif, ludique. Foutraque et bien bien sombre aussi .
Le jardin du bossu de Franz Bartelt. Complètement débridé, drôle, improbable, lunaire et libre. Grand monsieur ce Bartelt. Grand styliste. Grande plume.
Le jour des corneilles de JF Beauchemin. Un récit d'enfance carbonisé dans une nov-langue à la Polichinelle. Ça a pas mal influencé le décorum de Ric-Rac. J'ai été marqué très durablement par ce livre. Je l'ai lu il y a un ou deux ans, et des fois des parfums de ce texte me reviennent. Ça fait partie de mes livres préférés.
Survivant de Chuck Palahniuk. Un récit explosé, dément, aux mille rebonds. Palahniuk est un styliste impressionnant. Les histoires sont parfois inégales mais son phrasé est inégalable.
Biographie
Je m'appelle Arnaud Le Guilcher. Je suis né en 1974, ce qui fait que j'ai appris à lire et à écrire en sous-pull orange et que j'ai passé mon bac en écoutant les Smiths et Nirvana. J'ai publié 4 bouquins. "En moins bien", "Pas mieux", "Pile entre deux" et "Ric-Rac". Le premier en 2009 et le dernier cette année. Le 5ème est en train de germer. Il ne pousse déjà pas bien droit.
Encore un grand merci à Arnaud Le Guilcher pour sa gentillesse, sa disponibilité et son humour. A ce jour seul Ric-Rac a été chroniqué sur ce blog et vous trouverez la chronique en cliquant ici.
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