Souvenirs de lecture 28 : Roselyne Madelénat
Nous avons tous de ces
lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de
Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il
faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué
les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire.
Aujourd’hui c’est Roselyne Madelénat qui me fait l’honneur de répondre à mes
questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse, sa
disponibilité et son humour.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus
touchée et pourquoi ?
RM : Je suis passée directement
du Club des 5 aux "Nouveaux aristocrates" de Michel de Saint Pierre.
Un bouquin que m’avait filé ma soeur préférée. Ce fut une découverte : enfin on
me parlait! J’étais évidemment tombée amoureuse du héros, un certain Denis, un
rebelle, en conflit avec sa famille et la religion. J’avais douze ans à peine
et je savais déjà que je n’étais plus la seule à me sentir mal à l’aise avec ces
« institutions ». Puis j’ai plongé dans l’épopée romanesque des Thibault de
Roger Martin du Gard. À l’époque je n’ai fait aucun rapprochement, mais de
nouveau j’étais amoureuse du personnage principal, Jacques, encore un rebelle,
un sensible, un fragile.Et puis son amitié fusionnelle avec Daniel me
ravissait, je rêvais de ça, de ces liens-là ! Je suis passée ensuite à « L'
invitée » de Simone de Beauvoir. C’est ce livre qui a été le plus déterminant.
Je ne m’arrêtais pas vraiment au triangle amoureux de l’histoire, mais la
liberté des protagonistes me fascinait. J’avais trouvé mon « maître ». Et
pourtant je ne savais pas vraiment encore qui et que représentait Simone de
Beauvoir. En tout cas son héroïne se prénommait Xavière et j’ai longtemps rêvé
de me prénommer comme ça.
LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre
désir d’écrire ?
RM : Nous étions liés ce livre
et moi. J’écrivais depuis l’âge de neuf ans. Simone de Beauvoir était une femme
à laquelle j’aurais aimé ressembler et qui écrivait, le lien était facile à
faire… J’aimais surtout la forme de vie qui respirait à travers ses textes. À
dire vrai, aucun livre n’a vraiment déclenché une envie d’écrire, elle a
toujours été là, je suis née avec sans doute. J’ai toujours eu deux angoisses :
devenir aveugle, ce qui m’empêcherait de lire ou du moins de lire comme je
l’entends et avoir une paralysie des mains qui me mettrait dans l’incapacité de
faire courir mon stylo sur mes carnets ou mes doigts sur le clavier. Et ce
depuis ma prime adolescence.
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
RM : Je reste sur la Carole
Fives « Que nos vies aient l’air d’un film parfait » aux éditions Le passage.
Un premier roman incroyable. Un bijou de littérature contemporaine. Un
concentré de sentiments sans aucune bavure ni dérapage. Un ton juste du début à
la fin. Avec une histoire où l’on se dit « c’est comme ça ». On fait souvent
avec ces « comme ça » de la vie...Tiens, juste une phrase des premières pages :
"T’as huit ans et bientôt tu vas entendre la nouvelle qui va te coincer
les mots dans la gorge pour longtemps." Il faut être soi-même très humble
quand on lit un premier roman comme celui-ci !
J’ai terminé hier « Les derniers
jours de Stefan Zweig » de Laurent Seksik. Ce n’est pas un coup de foudre à
proprement parler, mais je suis admirative de la méthode. Avoir réussi à partir
de journaux intimes, de petits moments de l’existence, de faits historiques, de
bribes de conversations à créer une fiction. Seksik a parfaitement su croquer
l’ambiance, les sentiments, les angoisses, la panique qui entraînent Zweig et
son épouse jusqu'au suicide le 22 février 1942.
Biographie
Un jour, je suis née à Lille, un
premier janvier, « une mauvaise date, après Noël tout le monde est fauché
et pense au réveillon, pas à un anniversaire. » Ma famille était dans la
restauration, elle m’a transmis le goût de la gastronomie. Très tôt, j’ai
claqué du fric pour aller au restaurant.
Mon bac en poche, je
m’installe à Paris. Un Paris déjà adoré, qui est resté « ma maison ».
J’entame des études de
psychologie et je commence à travailler à L’OFUP (l’Office Universitaire de
Presse). J’ y reste dix ans : ça payait bien et l’ambiance était
sympa. En 87, je deviens éditrice pour Le Guide de la Presse. L’année
suivante, je jette par dessus bord mes fiches de paie et leur confort pour le
journalisme. « J’ai pigé pour des tas de journaux et particulièrement pour
les magazines féminins. En fait, chaque fois que j’étais face à un problème
« psy », je vendais le sujet et j’allais interviewer les experts… ».
On m’étiquette : « spécialiste en psycho-sexo ». Pourquoi
pas ? Je finis par être nommée rédactrice en chef de journaux
féminins : je me suis nourrie de la vie que les femmes aiment
raconter.
Un temps, je pense ouvrir un
cabinet de thérapeute, mais je préfère continuer « le métier ». Pour
sa diversité, l’obligation d’être toujours en éveil, les rencontres et le jeu
des doigts sur le clavier de l’ordinateur. En réalité, ce qui me plaisait le
plus était d’écrire. Je commets bien quelques livres, mais mon vœu depuis
toujours est d’écrire un roman. Je prends le temps. « J’aimais tellement
la littérature que je me sentais illégitime d’en écrire un et d’oser le
présenter à des éditeurs. » J’essuie quelques refus, il faut oser
l’avouer. Jamais facile. En 2014, je rencontre « mon » éditeur
et termine « Je n’ai jamais eu de petite robe noire ». Une
fois que Franck Spengler chez Hugo et Cie a dit « oui », j’ai
eu comme un déclic. J’ai recommencé tout le roman – car c’est un roman avant
tout - ou presque. À la fin, je savais que je ne m’étais pas trompée…
Encore un grand merci à Roselyne Madelénat, une romancière que je vous
invite à découvrir. Le titre de son livre apparaît en couleur et dispose d’un
lien vous permettant d’accéder à ma chronique sur le blog.