Souvenirs de lecture 41 : Florence Herrlemann
Nous avons tous eu des lectures qui nous ont profondément
touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on
était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de
savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi
elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Florence Herrlemann qui me fait
l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps
précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre
lu dans votre enfance et adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
Ce que je peux vous dire c’est que la littérature sous
toutes ses formes a toujours eu une place importante dans ma vie. J’ai su lire relativement
tôt, je n’avais pas tout à fait cinq ans, je m’en suis rendue compte un jour en
regardant le livre de cuisine de ma mère, je réalisais avec un grand étonnement
que je comprenais ce qu’il racontait, ce fut un émerveillement pour moi, j’ai
eu ce drôle de sentiment d’invincibilité, je réalisais que par le pouvoir de la
lecture tout me devenait accessible. Ce fut une joie immense, heureusement, mes
parents étaient là pour m’orienter. J’ai commencé par la magie des contes de Perrault et des frères Andersen. À la maison, la littérature
était une évidence. A
dix ans, j’ai connu mon premier grand choc avec Rabelais et son Gargantua,
Pantagruel et le fameux Panurge.
Une merveilleuse et pertinente métaphore sur la vie. Puis ce fut toute une série
de découvertes…
Les premiers romans pendant cette période trouble qu’est
l’adolescence ont été : «La
symphonie Pastorale» d’André Gide,
L’histoire d’un Pasteur désorienté par l’amour que lui inspire une jeune fille
aveugle qu’il recueille. Edmond Rostand
avec son merveilleux Cyrano de Bergerac,
Proust et sa recherche du temps perdu, évidemment. Il m’arrive de replonger
dedans. Ma mère lisait énormément et m’a donné la chance de pouvoir rencontrer
ses maîtres relativement tôt. Margueritte
Duras, avec Un barrage contre le
Pacifique, Les petits chevaux de
Tarquinia, Yeux bleus cheveux noirs…
Marguerite Yourcenar et Mémoires d’Hadrien, bouleversant
d’intelligence, un livre qui m’a réellement marqué… Dostoïevski avec L’Idiot.
Puis, Zola, Balzac, Edgar Poe, Maupassant, Camus, Sagan et Virginia Woolf. Ils m’ont nourrie ils
m’ont fait grandir et continuent de le faire encore aujourd’hui. Il m’est
impossible de tous les nommer, ils sont nombreux, leurs œuvres m’ont marquée de façon indélébile et il m’est très difficile de les résumer. Leurs mots,
leurs phrases dorment comme des trésors dans un coin de ma mémoire. Ils sont
là, et font encore, par leur souvenir, jaillir en moi de merveilleuses
émotions.
Je sais une chose, c’est que depuis eux, j’ai eu envie de
marcher dans leurs pas. Je voulais écrire, vraiment. Je cherchais un style,
j’avais quelques affections particulières pour les ambiances troublantes,
angoissantes, comme celle de Kafka ou Poe.
Un jour il y’a eu cette lecture : Le portrait de Dorian Gray d’Oscar
Wide, il m’a semblé toucher quelque chose, approcher une vérité. Un
univers qui ressemblait très fort au mien. Je pense que c’est vraiment à la
suite de ça, que l’envie de raconter des histoires m’est apparue comme une
évidence.
J’ai mis plus de temps pour me laisser émouvoir par la
poésie, le trouble est survenu plus tard avec Verlaine, Poèmes saturniens, ont suivi, Rimbaud, Lautréamont, Baudelaire, et Walt
Whitman avec ce merveilleux recueil de poèmes, Feuilles d’herbes, entre autres…
Il y a des auteurs en plus de ceux précédemment nommés, qui
m’accompagnent encore, comme Chateaubriand, Bernhard Schlink, Stéphane Zweig.
LLH : En quoi ces livres ont-il eu une
influence sur votre désir d'écrire ?
Tous ces auteurs de génie m’ont
indéniablement influencée par leurs œuvres. J’aime jouer avec l’entre-deux,
j’aime les jeux de miroirs, les mises en abîme et «l’irrationnel-cartésien» !
J’aime les lettres, les phrases
que l’on se surprend à lire à haute voix tant leur construction est
jubilatoire. Mais pas question d’imiter, il me fallait trouver un style bien à
moi, c’est arrivé naturellement, je n’ai pas eu à chercher. Pour le Festin du lézard, j’avais égoïstement
envie de me raconter une histoire dans laquelle je retrouverai ce climat
d’instabilité, «d’intranquillité », de faux-semblant. Quelque chose qui me
tienne en haleine, qui me pousse à écrire. La chose m’a semblée évidente, la
proposition d’Isabelle m’a tout de suite séduite. Je l’ai suivie… elle m’a
embarquée au sens propre comme au sens figuré ! Il faut que le début de
l’histoire et les personnages me proposent ce que je ne trouve pas dans la vie
de tous les jours. Qu’ils m’ouvrent cette porte sur l’autre monde.
Mon écriture est également influencée par certains cinéastes
comme Tarantino, Lynch, Forman, Tim Burton, Cocteau…
Mais je ne pourrais pas véritablement expliquer ce qui me pousse à écrire. C’est
une chose qui m’est nécessaire. Un besoin irrépressible de donner vie à des
personnages hors normes, de visiter d’autres mondes, et de pouvoir les partager
avec les lecteurs.
Puis il y a ce texte
Magnifique de Marguerite Duras, qui
résume parfaitement, à mon sens, ce qu’est l’écriture :
« Écrire. Je ne peux pas. Personne
ne peut. Il faut le dire, on ne peut pas. Et on écrit. C’est l’inconnu qu’on
porte en soi écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien. On peut parler
d’une maladie de l’écrit. Ce n’est pas simple ce que j’essaie de dire là, mais
je crois qu’on peut s’y retrouver, camarades de tous les pays. Il y a une folie
d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas
pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire. L’écriture c’est l’inconnu.
Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une
réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne,
parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance,
invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait,
est en danger d’en perdre la vie. Si on savait quelque chose de ce qu’on va
écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait
pas la peine. Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait —
on ne le sait qu’après — avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on
puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. L’écrit ça arrive comme le
vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme rien d’autre
ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »
(Ecrire Collection folio, Editions
Gallimard, 1993).
LLH : Quelles sont
vos dernières lectures coups de coeur ?
Récemment j’ai relu, les
belles âmes et La puissance des
mouches de Lydie Salvaire, Pilgrim de Timothy Findley - Et ils
oublieront la Colère d’Elsa Marpeau
– Celle que vous croyez de Camille Laurens – J’ai également eu la
chance de pouvoir découvrir de nouveaux écrivains prometteurs avec : Ce qui ne nous tue pas de Carole Declercq - Notre
château de d’Emanuel Régnier - Mensonges et Faux semblants de Martine Magnin . Je dois avoir une bibliothèque de retard, ma PAL atteint son
mètre mais, je peux vous assurer que dans la pile, des trésors m’attendent, il
me faut juste trouver un peu de temps…
Biographie
Née à Marseille, Florence navigue entre Lyon, où elle vit,
et Paris, où elle travaille. Premier bain artistique à 15 ans à Nice, avec
trois ans de cours de théâtre. Plus tard, à Paris, ses rencontres avec de
nombreux artistes lui permettent de « toucher » à la musique et à la
sculpture avant de décider, en 2003, de passer derrière la caméra. Elle
réalisera, entre autres, un film de sensibilisation à l’enfance maltraitée,
diffusé par le Ministère de la Famille. Le Festin du Lézard est son
premier roman.
Un grand merci à Florence Herrlemann pour sa gentillesse et sa disponibilité. Je recevrai Florence et Carole Declercq au Biscuit Café Créatif à Neuville sur Saône le 24 septembre à 14h30. Venez nombreux découvrir ces deux auteurs de talent.
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