Rencontres
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lundi 9 février 2015
Le quatrième mur
Le quatrième mur de Sorj Chalandon aux éditions Le livre de poche
Georges, le narrateur, est un éternel étudiant. Militant de gauche anti fasciste , il est exalté et violent. Il n'hésite pas à faire le coup de poing, à attaquer en bandes ses adversaires politiques. Son chemin va croiser celui de Samuel Akounis, juif grec, opposant au régime des Colonels, qui a dû se résoudre à l'exil. Samuel est metteur en scène. Georges, lui aussi metteur en scène amateur, va mettre ses pas dans ceux de Samuel qu'il admire pour son passé de résistant.
Quelques années plus tard Georges va visiter Samuel sur son lit d'agonie. Samuel lui raconte son projet fou de monter la pièce Antigone de Anouilh au Liban avec pour interprètes des représentants de chacune des parties en conflit. Samuel a lancé la machine mais trop faible pour réaliser son grand projet, sachant sa mort proche il va confier la réalisation de son rêve à Georges. Georges se rend donc au Liban pensant que tout le travail a déjà été effectué par son ami mais tout reste à faire. Les accords de principe sont là mais les antagonismes aussi. Au milieu des bombes, évitant les balles, Georges va essayer de rassembler tout son monde, de les mettre d'accord. Les débuts sont difficiles mais prometteurs.
"Imane a souri. Puis elle a inspiré, tendue, poings le long du corps. Elle a baissé la tête, cherchant au fond d'elle un autre regard que le sien. Charbel a compris ce que faisait la jeune femme. Il l'a imitée. J'ai cessé de respirer. La fille a relevé la tête. Le garçon a ouvert d'autres yeux. L'instant fut magnifique. Deux acteurs se mesuraient. Ni chrétien, ni sunnite, ni Libanais, ni Palestinienne. Deux personnages de théâtre."
Le projet de Samuel mené par Georges, ce projet fou, utopique, réussira-t-il à faire taire les armes pendant les deux heures de la représentation? Georges parviendra-t-il à faire travailler des ennemis autour d'un même projet? Le quatrième mur, ce mur symbolique qui isole ou protège les acteurs des spectateurs réussira-t-l à protéger cette représentation des bombes?
Ce roman nous montre le décalage entre la vision de la guerre du Liban du point de vue occidental, un conflit fantasmé vu de loin par l'intermédiaire de la presse, le désir d'y mettre fin par des mesures tout aussi utopiques et insuffisantes les unes que les autres, et la réalité du terrain. La guerre dans toute son horreur est décrite dans ce roman. Les bombes qui tombent des avions, les balles qui fusent, ce vacarme métallique permanent, ces cris de douleur, de deuil, ces massacres. Des scènes qu'on lit en apnée, le coeur retourné, au bord des lèvres. Sorj Chalandon sait de quoi il parle, il a été grand reporter à Libération et a couvert les massacres de Sabra et Chatila décrits dans ce roman. Comme Georges, il a été profondément bouleversé par ces images, ces sons qui l'ont marqués à tout jamais et qu'il nous livre ici avec un réalisme qui fait froid dans le dos. Un roman passionnant, plein de souffle. Un roman marquant qui nous poursuit une fois le livre refermé. Un roman dont on ne sort pas indemne, à lire absolument.
"C'était incroyable, dégueulasse et immense. J'étais en guerre. Cette fois, vraiment. J'avais fermé les yeux. Je tremblais. Ni la peur, ni la surprise, ni la rage, ni la haine de rien. Juste le choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure, l'acier en tout sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées les unes après les autres, les klaxons des voitures folles, les hurlements de la rue, les explosions, encore, encore, encore. Mon âme était entrée en collision avec le béton déchiré. Ma peau, mes os, ma vie violemment soudés à la ville."
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