Rencontres

vendredi 1 mai 2015

Souvenirs de lecture 8 : Frédérique Deghelt




Souvenirs de lecture 8 :Frédérique Deghelt


  Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui, c'est Frédérique Deghelt qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. je la remercie chaleureusement pour son temps si  précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?



FD :     Il ne peut y avoir un seul livre qui représente mon adolescence. Quand j'y pense, plusieurs se télescopent et disent combien ils ont apporté, chacun à leur manière, une ouverture , une piste, un champ de possibles explorations futures. Il n'y a pas d'ordre de préférence ou de chronologie dans ma réponse. Il y eut Autant en emporte le vent et les livres des soeurs Brontë, Jane Eyre et Les hauts de hurle-vent qui m'ont initiée à la grandeur romanesque inscrite dans un tissu social, dans une époque et une problématique particulière, mais avec la force que possède l'amour dans son intemporalité, son universalité. Je me suis imprégnée des paysages sonores, sensuels de la Louisiane, de l'Angleterre campagnarde ou même de la Russie avec Anna Karénine que j'ai lu à la même époque. C'est aussi le cas de Flaubert avec Madame Bovary, de Stendhal avec Le rouge et le noir, ou d'Ambre de Kathleen Winsor...

           Et par ailleurs, l'adolescence a été le moment où je découvrais Le journal d'Anne Franck, La vingt-cinquième heure de Virgil Gheorghiu, Pilote de guerre, Vol de nuit de Saint Exupéry (j'adorais cet auteur) des récits ou romans qui dénonçaient la destinée tragique d'un temps de guerre tout proche de mon existence puisque j'avais autour de moi des adultes qui avaient vécu ces événements.

          Je ne peux pas dire qu'un livre m'ait marqué plus que les autres, c'était plutôt la lecture qui était en train de me marquer. C'était une chose incroyable cette possibilité immense, magique, d'entrer dans d'autres mondes que le mien, d'autres époques, d'autres univers, sans bouger. S'extraire comme on s'absente. Vivre d'autres vies que la sienne. C'est aussi le cas quand on écrit.


LLH : En quoi ces livres ont ils influencé votre désir d'écrire ?

FD :     Ces livres ont influencé mon désir d'écrire en créant du vide. Ils ont ouvert une brèche, une absence de mots dans ma propre vie, un désir de nommer ce qui me venait. Ils ont apporté une réponse ou plutôt d'autres questions à la manière dont je regardais le monde. Tout d'abord avec la poésie parce que le temps de l'adolescence est celui qui est le plus propice à la résistance et la poésie est le berceau même de cette lutte émotionnelle, elle soutient les arcanes de la révolte. J'ai donc écrit très tôt, des poésies  et des textes courts. Parallèlement à ces lectures, les récits ne me venaient qu'en se cachant dans ce langage métaphorique, rythmé, puissamment sonore. J'étais née dans une famille de musiciens, il fallait donc que l'écriture chante. J'ai gardé ce désir harmonique plus tard, dans l'écriture de mes romans, dont la toute dernière relecture se fait avec un comédien qui vient me lire le roman en entier. Je l'écoute en annotant mon exemplaire. Tout ce qui n'est pas fluide au niveau sonore, je le modifie. C'est également un moment très important où je teste en direct sur une personne l'effet émotionnel de l'histoire. Même si chaque lecteur peut être touché par des choses différentes... Curieusement certains livres déclenchent une intense envie d'écrire et d'autres paralysent ou m'obligent à y penser longtemps avant de me jeter à l'eau. Tout ça est évidemment très intuitif et inconscient. Ce n'est pas en lisant un livre ou plusieurs qu'on se dit je voudrais écrire en analysant telle ou telle raison. On ne se "pense pas écrire", on n'incarne pas le désir charnel d'écrire dans une pensée réfléchie. On écrit, voilà tout. On enlace les mots, on court sur la page, on se jette parce que c'est là , en soi ; ça bondit, ça joue, ça chante, ça murmure, ça gueule, ça raconte... On est délicieusement soumis à l'impulsion.

LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur .

FD :     Le prix des âmes d'Emmanuelle Pol aux éditions Finitude. J'adore cet auteur et ces éditions qui représentent pour moi des livres bijoux, une maison comme le fut Actes Sud à ses débuts avec une qualité, une sensualité du contenant et du contenu. Quant à Emmanuelle, elle explore avec beaucoup de force  et de charme des problématiques originales.

            Liberace d'Amanda Sthers dans la collection Miroir chez Plon. C'est raconté à la première personne et tout y est si juste.

           L'ombre de nous-mêmes de Karine Reysset chez Flammarion, qui explore le thème de la maternité dans des conditions extrêmes avec une grande finesse.

           Le principe de Jérôme Ferrari chez Actes Sud. C'est totalement original et pertinent. L'écriture de Jérôme a une immense force. Il écrit toujours au bord du gouffre et j'aime énormément ça.

          Ce qui reste de nos vies, de Zeruya Shalev chez Gallimard. C'est une romancière israélienne très importante car elle a rendu leur vie intime aux lecteurs de son pays. J'aime beaucoup sa sensibilité.

          Un monde flamboyant de Siri Hudsvedt chez Actes Sud. Je l'ai découverte avec Tout ce que j'aimais et je n'ai plus cessé de la lire.

          Naked Woman Playing Chopin, de Louise Erdrich, publié chez Albin Michel sour le titre Femme nue jouant Chopin. C'est une romancière amérindienne qui intègre quasiment dans tous ses livres la problématique des indiens. Elle raconte de manière très intime les drames personnels sans jamais les dissocier du contexte du plus grand génocide américain.


Biographie

      Je suis née  "Graves", entre le Haut-Brion et le Pape Clément et j'ai passé 20 ans à Bordeaux dans une ambiance de musique, de surf et de navigation à la voile. Après une licence d'histoire Géo, puis une maîtrise d'Information et de Communication, je suis entrée dans des agences photos à Paris et j'ai alterné ces postes avec des enquêtes sur le terrain où je faisais photos et textes, puis très vite des documentaires ou des émissions de reportages pour la télévision. J'ai abandonné le journalisme en 2009 pour écrire à temps plein. Pendant toutes ces années où j'exerçais le métier que j'avais choisi et qui me passionnait, l'écriture était là , très prenante l'été et constante le reste de l'année. Je crois même que j'ai abandonné la presse écrite parce qu'elle m'enfermait dans des codes. J'ai préféré écrire pour mon métier avec une caméra. J'ai écrit mon premier roman à 29 ans  et personne n'en voulait. Le deuxième non plus, c'était La vie d'une autre et il est resté 4 ans dans un tiroir avant qu'Hubert Nyssen ne lise les 30 premières pages et décide immédiatement de le publier.



Livres :

    La valse renversante (Mistiguett et Maurice Chevalier) Paru en 1995 aux Editions Sauret
    La vie d'une autre janvier 2007 aux Editions Actes Sud, Collection Un endroit où aller (traduit en Allemagne, Italie, Pologne, République Tchèque, Pays Bas, Suède, Hongrie) adapté par Sylvie Testud avec Juliette Binoche et Mathieu Kassovitz, sortie février 2012)
    Je porte un enfant et dans mes yeux l'étreinte sublime qui l'a conçu (recueil de textes poétiques et photos de Sylvie Tergal paru en mai 2007)
    La grand-mère de Jade Janvier 2009 chez Actes Sud collection Un endroit où aller
    Le cordon de soie, Novembre 2009 (Deuxième opus des textes poétiques et photos de Sylvie Kergall)
    La nonne et le brigand, Janvier 2011 chez Actes Sud collection Un endroit où aller
    Ma nuit d'amour septembre 2011 chez Actes Sud Junior, collection D'une seule voix
    Un pur hasard, mars 2012 aux Editions du Moteur
    Cassée paru en février 2014 chez Actes Sud Junior collection D'une seule voix
    Les brumes de l'apparence, parue en mars 2014 chez Actes Sud
    Le voyage de Nina, paru en juin 2014 inédit au Livre de Poche
    L'oeil du Prince, paru le 2 septembre 2014 inédit chez J'ai Lu


   Encore un grand merci à Frédérique Deghelt pour sa gentillesse et son temps. Tous les titres des romans de Frédérique ayant fait l'objet d'une chronique sur ce blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique en question d'un simple clic.




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