Souvenirs de lecture 16 : Jules Gassot
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Jules Gassot qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je le remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?
JG : Ce serait Le Horla de Maupassant, que j'ai découvert en cours de Français. Le texte est court et le plaisir immense. Pour la première fois j'ai compris qu'on pouvait écrire sur la folie et toucher les étoiles. Ses angoisses devenaient les miennes, ses rêves étaient les miens, son journal était le reflet de mes propres interrogations. "Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres." C'est ça Maupassant, un langage sec, fulgurant, dévastateur. J'en ai fait un court métrage à 18 ans, et je ne désespère pas d'en faire un film un jour.
Puis il y a l'adulescence, la période où étudiant vous lisez pour votre plaisir, sans avoir besoin d'attendre qu'un professeur vous demande quoi que ce soit. Un peu par hasard je suis tombé sur Louis Calaferte et son Septentrion. Ma bible, ma religion. Censuré puis réimprimé vingt ans plus tard, cette autobiographie est un bijou. Chaque phrase est une merveille, ciselée, précise, criminelle. Jugez vous-mêmes. "J'attends qu'une épidémie purificatrice nettoie l'anatomie du monde, mais si cela se produisait, la nuit suivante je porterais le germe dans la masse en voie de guérison." Tout est là. L'envie et le désespoir, la force et la fragilité, un grand bonhomme. Son océan de fantasmes oscille entre la nausée profonde et la violence des mots. Ce texte, c'est la vie, en mieux. Calaferte m'a fait aimer les femmes encore plus , puisqu'il les regarde avec un oeil magnifique. "Déversoir de toutes les faiblesses, de tous les ratages. La femme est un écran entre la peur de vivre et celle de mourir. Nous nous heurtons à elle comme à un suicide manqué."
LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
JG : Peut-être une façon de communiquer avec lui puisque la tombe nous sépare. Si j'ai été influencé par Septentrion, c'est que ce que j'ai écrit ne ressemble pas à ce que j'aurais aimé écrire. Ce n'est pas un livre confortable, c'est devenu une urgence, une maladie à soigner, un combat avec la vie. J'ai eu besoin de cracher ce que je ressentais. Si influence il y a, ça a été de composer avec la sincérité, qui ressemble rarement à l'héroïsme. Et cette honnêteté je la dois à mon éditeur Stéphane Million, qui m'a soutenu dès le départ. L'écriture m'a sauvé. La mienne, et celle des autres. Si Louis Calaferte, Guy de Maupassant ou encore Françoise Sagan et Roland Jaccard n'avaient pas écrit, je n'aurais jamais songé à le faire. Pas parce que je me sens doué comme eux, mais parce que je serais resté ignorant. Il y a tellement de portes à ouvrir quand on écrit qu'il y en a bien une qui finit par nous faire du bien.
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
JG : Karoo, de Steve Tesich, un trésor d'humour et de désillusions. Il serait dommage de passer à côté.
Fermé la nuit, de Paul Morand, un observateur hors norme, une exigence rare, un style diabolique.
La chute de cheval, de Jérôme Garcin, pour les amoureux des équidés et des belles lettres, l'auteur se livre à coeur ouvert. Élégant, brillant et délicat.
Hollywood, de Charles Bukowski, Los Angeles est une ville abominable, je ne suis pas le seul à le penser.
Et parce qu'il n'y a pas que les livres de poche dans la vie, j'ai craqué pour la tendresse de Fanny Salmeron. Son dernier livre, On ne joue pas avec les épées, est un recueil de nouvelles terriblement accrocheur.
Biographie
Je suis né dans les années 80 d'un père français et d'une mère suisse. J'ai une soeur formidable avec qui j'ai grandi à Paris. Après des études d'économie j'ai tout plaqué pour aller travailler sur des longs métrages comme assistant. De film en film j'ai eu envie d'en savoir plus et me suis inscrit dans une école de cinéma en Belgique où j'ai plongé dans le 7ème art. A la sortie tout se complique, les financements se font rares, les rêves se brisent mais je rencontre un éditeur qui me tend la main. Aujourd'hui je sais que l'homme n'est pas toujours bon, mais je fais confiance aux femmes pour changer ça.
Jules Gassot est l'auteur d'un premier roman On a tué tous les Indiens, paru dernièrement aux éditions Robert Laffont. Vous trouverez ma chronique de ce fabuleux premier roman en suivant ce lien. http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2015/04/on-tue-tous-les-indiens.html
Encore un grand merci à Jules Gassot pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Les titres des romans cités par Jules Gassot ayant fait l'objet d'une chronique sur ce blog apparaissent colorisés et disposent d'un lien vous permettant d'accéder à la chronique d'un simple clic.
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