Virtuoso ostinato de Philippe Carrese aux éditions de l'Aube
Dans ce roman nous suivons Marzio Belonore à deux périodes de sa vie. Le roman s'ouvre en 1911 alors qu'une automobile est coincée dans une ornière à l'orée d'un champs à San Catello en Lombardie. Dans ce trou perdu, les automobiles on ne les connaît qu'en photo et on s'en méfie. A San Catello on vit encore comme au XIXème siècle, beaucoup des paysans du cru n'ont jamais vu la ville et s'en portent très bien.
Parallèlement nous retrouvons Marzio, devenu violoniste virtuose qui se prépare pour un concert à la Scala de Milan en tant que soliste. Anxieux, il revient sur son passé, se remémore tous les événements qui l'ont conduit là, sur cette scène prestigieuse.
Tout à donc commencé en 1911 quand cette voiture est restée coincée dans un fossé aux abords du champ de Volturno Belonore. Cette voiture transporte un employé de ministère de haut niveau vers un rendez vous d'importance. Pour ce sortir de ce mauvais pas et constatant le manque d'empressement de la famille Belonore à l'aider (à San Catello on s'occupe de ses affaires et tout ce qui est étranger est suspect), l'homme va faire croire au paysan que son champ contient un minerai très recherché, qu'il marche sur une fortune. Volturno est un homme droit dans ses bottes, sûr de son fait, il est déjà le petit roi du village, mais cette promesse de fortune va mobiliser toute son énergie, il ne va plus penser qu'à cet espoir de richesse et entraîner toute sa famille et le village dans sa folie prospectrice. Une folie qui va mener au drame.
Virtuoso ostinato est un roman passionnant qui nous parle de folie, d'aveuglement. La folie du désir de richesse, la folie de l'amour. L'amour de Marzio pour Ofelia, la jeune femme de son père auprès de laquelle il a grandi et dont il est fou amoureux depuis toujours. Cet amour est impossible, mais Marzio a une autre passion la musique, il va s'y plonger corps et âme. Pour Marzio, la musique comme la vie est un combat, un combat contre les autres, un combat contre la résignation, contre soi même, contre les autres qui eux aussi luttent pour obtenir une parcelle de bonheur. Un bonheur qui semble bien inaccessible aux habitants de San Catello. Philippe Carrese nous plonge dans cette Italie du début du XXème siècle, une Italie divisée, pas encore réunifiée, divisée comme le village lui même. L'Italie paysanne, un monde où il faut lutter pour vivre ou il faut être obstiné pour sortir du lot, même si cette obstination ne peut mener qu'à la tragédie. Philippe Carrese signe ici un très beau roman, émouvant, poignant sur cette fatalité qui frappe l'homme, celle de courir obstinément vers son malheur. Un roman âpre comme la terre lombarde, mais aussi flamboyant, plein d'une faconde toute italienne dans sa description savoureuse et pleine d'un humour grinçant des querelles entre villageois. Une bien belle découverte. Un roman intense.
"Sur le plateau, Alfredo Visconti, premier violon, fait un geste discret. Toute la troupe se met en branle. Rite immuable : le hautbois lance sa plainte. C'est la curée, l'interminable minute de l'accord, la chasse à la note juste. Tous les timbres convergent vers ce la glacé et rectiligne, avant que les cuivres ne viennent parader avec leur si bémol claironnant. Les corridas ont leurs fanfares qui annoncent, joyeuses, le carnage à venir. Les philharmoniques ont elles aussi leur prodrome rituel : l'accord. Une fois l'eurythmie de l'orchestre réglée, l'hallali pourra commencer : la meute sera parée. Marzio observe les violonistes sur le devant de scène. Une fois de plus, l'ennemi le plus redoutable sera dans ses rangs : celui dont il devra se méfier se tiendra pile derrière lui. "
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