Rencontres

jeudi 30 mars 2017

La solitude des enfants sages



La solitude des enfants sages de Martine Duquesne aux éditions La Cheminante


Lachassagne 2010. Angélique est venue prêter main forte à sa mère qui n’arrive plus à rien avec son  mari. Elle se retrouve au milieu d’un  couple en plein déchirement, mais elle en a l’habitude. Pourtant, cette fois, Angélique voit son père quitter la maison et disparaître. Avec une arme. Cette fois, c’est sérieux. Les gendarmes sont appelés. Durant ces heures d’attente, Angélique se souvient de son enfance en Algérie.

Sebdou 1961. La famille d’Angélique vit dans un petit village algérien. Ses parents sont en charge de l’école. Son père en est le directeur. Ils enseignent le français à des enfants algériens. Ce qu’on appelle encore les « événements » les ont poussé à quitter la ville, à la recherche d’un peu plus de sécurité.

La petite Angélique se sent bien seule. Sa mère est dure avec elle, mais aussi avec son mari. Elle n’a que peu d’amour à attendre de celle qui lui a donné le jour. De sa bouche ne sortent que reproches et invectives.

« Papa avec son sourire tranche de pastèque lui dit, essaie de la comprendre, c’est une enfant précoce, mais ma mère le rectifie illico, alors ça, c’est vite dit et même si c’était vrai, ça ne lui apportera que des ennuis, crois moi, et là, sa voix siffle comme un coup de martinet. Je l’entends continuer dans ma tête, un truc qui ne tourne pas rond chez cette gosse, une déficience, une maladie, qu’on n’aura pas détectée à temps. Elle n’ose pas dire les choses franchement mais moi je lis dans ses pensées secrètes. Je sais qu’elle est la maîtresse de la haine. »

Les choses deviennent de plus en plus compliquées pour les « colons » français. Les attentats se multiplient, réprimés avec violence. La torture est à l’œuvre des deux côtés et le vent semble tourner. Le Général De Gaulle va lâcher l’Algérie.

Par les yeux d’Angélique nous voyons les effets de la guerre au sein de sa famille. Ce sont en fait deux guerres que nous décrit Martine Duquesne. La guerre historique, mais aussi la guerre familiale. La mère d’Angélique reproche constamment à son père de vouloir s’accrocher à l’Algérie alors qu’elle, elle veut partir.

Nous voyons cette guère avec les yeux candides de l’enfance. Nous partageons l’incompréhension d’Angélique sur ces événements, sur cette haine de l’autre. D’autant plus que sa meilleure amie, sa sœur de cœur, Djamila, est arabe. Angélique veut comprendre, elle veut la vérité, on ne lui répond pas. Elle doit se taire et obéir. Elle se réfugie dans les contes et les comptines qu’elle se répète en boucle pour se rassurer.


Avec La solitude des enfants sages, Martine Duquesne signe un premier roman passionnant, plein d’émotion sur cette guerre d’Algérie dont on parle si peu en France. Par honte sans doute. C’est une période qu’on préfère ignorer au profit d’autres moins gênantes. C’est le déchirement de ces familles pieds noirs que nous fait découvrir Martine Duquesne, ce déracinement si douloureux qu’ont dû vivre ces rapatriés qui ont tout quitté dans l'urgence. Lauteur nous montre aussi toute la souffrance d’une enfant qui vit entre une mère toxique et un père dépassé. Un premier roman à découvrir.

vendredi 24 mars 2017

Phobie



Phobie de Fanny Vandermeersch aux éditions Le Muscadier


Au primaire, tout va bien pour Sophia. Élève brillante, elle occupe la tête de classe. Elle n’a même pas besoin de travailler, elle retient tout dès la première écoute. Tout n’est qu’une formalité. Ses parents sont fiers d’elle.


A l’entrée au collège, les choses se compliquent. Sophia a du mal à s’adapter. Elle n’a plus affaire à un professeur unique, elle a besoin de plus travailler. C’était si simple avant. Sophia ne sait pas travailler, elle ne l’a jamais fait. De 19 , ses notes passent à 15 et ça, Sophia a du mal à l’accepter. Elle n’a jamais eu de notes aussi basses. Que vont penser ses parents. Sophia n’ose plus leur montrer ses bulletins, de plus la situation est un peu tendue à la maison, ses parents se disputent. Elle ne va pas leur imposer cette honte.

« Troisième. Je suis troisième ! C’est écrit sur le bulletin trimestriel que je viens de recevoir.
Il y a une erreur quelque part. D’abord, j’ai cru que ce n’était pas le mien, une autre élève porte le même nom que moi. Mais non, c’était bien mon prénom.
Ou bien, ils s’étaient trompés dans les notes. J’ai passé près de deux heures à rechercher toutes mes évaluations et à comparer les notes inscrites sur les feuilles avec celles tapées sur le bulletin.
Tout correspondait… »

A tout cela s’ajoute les fâcheries avec les anciennes meilleures amies. Sophia devient mutique en cours, ne répond pas quand on l’interroge, ne parvient pas à prononcer un mot quand elle doit faire un exposé. Vient la moquerie.

Aller au collège devient de plus en plus difficile. Sophia y enchaîne les malaises. Elle est de plus en plus souvent malade. Il faut trouver une solution, cette situation ne peut pas durer.

À travers ce journal d’une jeune fille en détresse, Fanny Vandermeersch décortique le processus de la phobie scolaire. Même s’il est différent selon les cas, les signes annonciateurs sont connus. Loin de tout pathos, l’auteur montre que par le dialogue, l’écoute, des conditions propices pour redonner à l’élève sa confiance en soi, la phobie scolaire n’est pas une fatalité. Elle est bien plus fréquente qu’on l’imagine.

Un roman jeunesse à lire et à commenter en famille.

« Déjà dix minutes qu’elle m’a déposée devant le collège. Je reste figée face à la grande grille métallique. Mes mains deviennent moites, mes jambes lourdes.
J’entends des éclats de rire. Des gouttes de sueur perlent dans mon dos et sur mes tempes. Mon corps se raidit et bat à tour rompre.

Ce n’est plus une grille d’entrée que j’ai devant moi mais une grande bouche grise aux dents pointues, prête à me happer dès que j’avancerai et à se refermer sur moi. »

mercredi 22 mars 2017

Souvenirs de lecture 43 : Agnès Karinthi



Souvenirs de lecture 43 : Agnès Karinthi

Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Agnès Karinthi qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre enfance et adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
Mon goût pour la lecture est étroitement lié à ma mère et ma grand-mère maternelle. Ce n’est pas très étonnant, quand on sait la vénération de mon entourage pour mes ancêtres écrivains. J’ai un souvenir très vif de mes premières années et du rituel de la lecture du soir. Avec mon frère nous partagions la même chambre. Ma mère (ou ma grand-mère lorsqu’elle était en visite à la maison) s’asseyait sur une chaise équidistante des deux lits d’enfants et nous lisait à voix haute. Je me vois encore, aussitôt ma mère installée, prendre une deuxième chaise et m’asseoir à ses côtés. Elle poursuivait alors l’histoire en soulignant chaque mot de l’index de la main droite et je suivais ainsi le texte des yeux. La légende veut que je me sois mise à lire toute seule vers l’âge de quatre ans, à haute voix, enfermée dans les toilettes. Je ne m’en rappelle pas, mais c’est possible !
La culture hongroise est très implantée dans mon éducation. Je me suis volontiers laissé guider dans mes lectures. Un roman de mes années primaire me vient en premier lieu à l’esprit. Un bijou de la littérature hongroise ; par chance pour le lecteur francophone, il est traduit en français. Il s’agit de Les gars de la rue Paul de Ferenc Molnàr. Une fresque sociale du début du XX° siècle, sur fond de rivalité entre deux bandes de garçons. J’ai lu de nombreux autres romans hongrois au cours de mon enfance et mon adolescence ; deux d’entre eux ont une place de choix dans ma bibliothèque d’aujourd’hui et il m’arrive encore de les relire. Ils ne sont pas traduits en français.

Parmi mes lectures adolescentes francophones relues en boucle, je pense à deux romans très différents : Le Comte de Monte Cristo d’Alexandre Dumas et Racines d’Alex Haley.
Le dénominateur commun entre ces différents ouvrages est sans doute l’injustice. Cette thématique a toujours fortement stimulé ma fibre empathique pour l’être humain !
Plus que le style, c’est l’intrigue des romans qui a su captiver mon âme de jeune lectrice. La qualité de l’écriture n’a pris d’importance à mes yeux que bien plus tard. Question histoire, j’ai eu rapidement une prédilection pour les portraits réalistes. Les preux chevaliers portant secours aux princesses en détresse ne m’ont jamais fait autant vibrer que Zola, Maugham ou Dickens et plus tard, Tolstoï, Styron ou Steinbeck. Les destinées humaines, petites ou grandes, sont aujourd’hui encore ce que je recherche en priorité dans un texte.


LLH : En quoi ces livres ont-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
Excellente question…
J’ai commencé à écrire en 2004, suite à une rupture professionnelle, dans le cadre d’un atelier d’écriture où une amie m’a entraînée. Jusque-là, je ne savais pas que j’avais envie d’écrire. Les fantômes de mes aïeux ont-ils tenté de m’en détourner ? Peut-être. Toujours est-il que dès les premiers mots couchés sur le papier, j’y ai pris goût. Je n’ai jamais arrêté d’écrire depuis.
J’ai aujourd’hui des dizaines de nouvelles à mon actif, stockées dans mon ordinateur. Toutes tournent autour de la psychologie humaine. Mes lectures de l’enfance y sont certainement pour quelque chose ! Tous les destins méritent qu’on s’y arrête. Comme il est plus facile de raconter la vie riche et palpitante des millionnaires que le destin laborieux des femmes de ménage, mon esprit de contradiction me pousse à évoquer surtout ces dernières. Le citoyen moyen, de manière plus générale. Les petits détails du quotidien, ceux qui pimentent notre vie… ou pas, mais qui, à coup sûr, la rendent unique.
Quatorze appartements en est également une illustration. J’ai tenu à prendre comme socle de mon histoire la vie d’un immeuble. Pour peu qu’on y prête un peu attention, on y trouve un bouillonnement d’idées, de points de vue, de tranches de vie qui, toutes, sont passionnantes ; il suffit de garder un esprit ouvert et de s’intéresser à son prochain.

LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
Je viens de faire le tour de ma bibliothèque et je constate avec satisfaction que je lis beaucoup de bons livres. Je remarque aussi avec un plaisir tout particulier que parmi eux, il y en a écrits par des écrivains de renommée internationale et des auteurs publiés dans de petites maisons d’édition. N’ayons pas peur de découvrir des livres en dehors des sentiers médiatiques !
Par ordre alphabétique des auteurs, je citerai, parmi mes belles lectures des deux dernières années :
-       Ladyboy de Perrine Andrieux 
-       Retour à Killybegs de Sorj Chalandon
-       Le couloir de la mort de John Grisham
-       La petite femelle de Philippe Jaenada
-       Mémoires d’un porc-épic d’Alain Mabanckou
-       Qu’importe le chemin de Martine Magnin
-       Le garçon de Marcus Malte
-       Les naufragésde la salle d’attente de Tom Noti
-       Electre à la Havane de Leonardo Padura
-       Victor Hugo vient de mourir de Judith Perrignon
-       Le dernier lapon d’Olivier Truc 
Dans mon Top 3, je place les ouvrages de Marcus Malte, Sorj Chalandon et Martine Magnin. J’ai été particulièrement séduite par la beauté des textes et l’intérêt des sujets traités.
L’imbrication de l’histoire dans l’Histoire renforce bien sûr la qualité des deux premiers romans. Le garçon est une fresque sociale éblouissante des trente premières années du XX° siècle en France ; Retour à Kyllibegs plonge le lecteur dans l’Irlande en ébullition et décrit de manière percutante les mécanismes de déchéance de l’IRA. Apprendre en lisant, quoi de plus passionnant ?
Mais qu’elles soient petites ou grandes, les destinées individuelles sont toujours riches en enseignement – enseignement de la vie plus qu’apprentissage historique, souvent. Si elles sont traitées avec ce qu’il faut de finesse psychologique, le lecteur ne peut qu’être séduit. C’est ce que j’ai ressenti en lisant Qu’importe le chemin.de Martine Magnin. Le roman traite d’un sujet de fond : les difficultés de parents qui doivent envers et contre tout accompagner dans sa vie d’enfant puis d’adulte leur fils toxicomane. Ce n’est ni un sociologue ni un psychiatre qui écrit ; l’auteure témoigne de son vécu personnel ; elle le fait avec dignité et humour. Cet essai est une véritable leçon de vie.


Biographie

Agnès Karinthi est née en France en 1969, mais son berceau familial est la Hongrie, Budapest précisément, où son grand-père et son arrière-grand-père sont de célèbres écrivains (Ferenc Karinthy et Frigyes Karinthy).
Ne jamais suivre la trace de ses aïeux… Elle a bien essayé, en embrassant une carrière scientifique. Mais toujours un livre dans une main. Et les années passant, un stylo dans l’autre.
Ingénieure de formation, elle accompagne aujourd’hui les entreprises à la prévention des risques professionnels, un métier qui la passionne. En parallèle, elle dévore roman sur roman et elle écrit.
Elle habite à Lyon entourée de son mari et de ses trois enfants.

Bibliographie :
2017 : Quatorze appartements, L’Astre Bleu Éditions, collection Hélium

Distinctions :
Concours de nouvelles courtes de Ceraf Solidarité 2015 : attribution d’un accessit pour sa nouvelle « Pow-wow à la harissa » ;
Concours de nouvelles France Philippe 2015, catégorie Adultes de la médiathèque de Feignies : premier prix pour sa nouvelle « Au bord du ruisseau ».
Son site internet :

Sa page Facebook :

Encore un grand merci à Agnès Karinthi pour sa gentillesse et sa disponibilité. Je vous invite à découvrir Quatorze appartements, l’excellent premier roman d’Agnès.