Souvenirs de lecture 43 : Agnès
Karinthi
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont
profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se
souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a
semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que
nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui
c’est Agnès Karinthi qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la
remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH
: Quel livre lu dans votre enfance et adolescence vous a le plus
touché et pourquoi ?
Mon goût pour la lecture est étroitement lié à ma mère et ma grand-mère
maternelle. Ce n’est pas très étonnant, quand on sait la vénération de mon
entourage pour mes ancêtres écrivains. J’ai un souvenir très vif de mes
premières années et du rituel de la lecture du soir. Avec mon frère nous
partagions la même chambre. Ma mère (ou ma grand-mère lorsqu’elle était en
visite à la maison) s’asseyait sur une chaise équidistante des deux lits
d’enfants et nous lisait à voix haute. Je me vois encore, aussitôt ma mère
installée, prendre une deuxième chaise et m’asseoir à ses côtés. Elle poursuivait
alors l’histoire en soulignant chaque mot de l’index de la main droite et je
suivais ainsi le texte des yeux. La légende veut que je me sois mise à lire
toute seule vers l’âge de quatre ans, à haute voix, enfermée dans les
toilettes. Je ne m’en rappelle pas, mais c’est possible !
La culture hongroise est très
implantée dans mon éducation. Je me suis volontiers laissé guider dans mes
lectures. Un roman de mes années primaire me vient en premier lieu à l’esprit.
Un bijou de la littérature hongroise ; par chance pour le lecteur
francophone, il est traduit en français. Il s’agit de Les gars de la rue Paul de Ferenc Molnàr. Une fresque sociale du
début du XX° siècle, sur fond de rivalité entre deux bandes de garçons. J’ai lu
de nombreux autres romans hongrois au cours de mon enfance et mon adolescence ;
deux d’entre eux ont une place de choix dans ma bibliothèque d’aujourd’hui et
il m’arrive encore de les relire. Ils ne sont pas traduits en français.
Parmi mes lectures adolescentes
francophones relues en boucle, je pense à deux romans très différents : Le Comte de Monte Cristo d’Alexandre
Dumas et Racines d’Alex Haley.
Le dénominateur commun entre ces différents ouvrages est sans doute l’injustice.
Cette thématique a toujours fortement stimulé ma fibre empathique pour l’être
humain !
Plus que le style, c’est l’intrigue des romans qui a su captiver mon âme de
jeune lectrice. La qualité de l’écriture n’a pris d’importance à mes yeux que
bien plus tard. Question histoire, j’ai eu rapidement une prédilection pour les
portraits réalistes. Les preux chevaliers portant secours aux princesses en
détresse ne m’ont jamais fait autant vibrer que Zola, Maugham ou Dickens et
plus tard, Tolstoï, Styron ou Steinbeck. Les destinées humaines, petites ou
grandes, sont aujourd’hui encore ce que je recherche en priorité dans un texte.
LLH : En quoi
ces livres ont-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
Excellente question…
J’ai commencé à écrire en 2004, suite à une rupture professionnelle, dans
le cadre d’un atelier d’écriture où une amie m’a entraînée. Jusque-là, je ne
savais pas que j’avais envie d’écrire. Les fantômes de mes aïeux ont-ils tenté
de m’en détourner ? Peut-être. Toujours est-il que dès les premiers mots
couchés sur le papier, j’y ai pris goût. Je n’ai jamais arrêté d’écrire depuis.
J’ai aujourd’hui des dizaines de nouvelles à mon actif, stockées dans mon
ordinateur. Toutes tournent autour de la psychologie humaine. Mes lectures de
l’enfance y sont certainement pour quelque chose ! Tous les destins méritent
qu’on s’y arrête. Comme il est plus facile de raconter la vie riche et
palpitante des millionnaires que le destin laborieux des femmes de ménage, mon
esprit de contradiction me pousse à évoquer surtout ces dernières. Le citoyen
moyen, de manière plus générale. Les petits détails du quotidien, ceux qui pimentent
notre vie… ou pas, mais qui, à coup sûr, la rendent unique.
Quatorze appartements en est
également une illustration. J’ai tenu à prendre comme socle de mon histoire la
vie d’un immeuble. Pour peu qu’on y prête un peu attention, on y trouve un
bouillonnement d’idées, de points de vue, de tranches de vie qui, toutes, sont
passionnantes ; il suffit de garder un esprit ouvert et de s’intéresser à
son prochain.
LLH : Quelles
sont vos dernières lectures coups de coeur ?
Je viens de faire le tour de ma bibliothèque et je constate avec satisfaction
que je lis beaucoup de bons livres. Je remarque aussi avec un plaisir tout
particulier que parmi eux, il y en a écrits par des écrivains de renommée
internationale et des auteurs publiés dans de petites maisons d’édition.
N’ayons pas peur de découvrir des livres en dehors des sentiers médiatiques !
Par ordre alphabétique des auteurs, je citerai, parmi mes belles lectures
des deux dernières années :
-
Ladyboy de Perrine
Andrieux
-
Retour à
Killybegs de Sorj Chalandon
-
Le couloir de
la mort de John Grisham
-
La petite
femelle de Philippe Jaenada
-
Mémoires d’un
porc-épic d’Alain Mabanckou
-
Le garçon de Marcus
Malte
-
Electre à la
Havane de Leonardo Padura
-
Victor Hugo
vient de mourir de Judith Perrignon
-
Le dernier lapon d’Olivier
Truc
Dans mon Top 3, je place les ouvrages de Marcus Malte, Sorj Chalandon et
Martine Magnin. J’ai été particulièrement séduite par la beauté des textes et
l’intérêt des sujets traités.
L’imbrication de l’histoire dans l’Histoire renforce bien sûr la qualité
des deux premiers romans. Le garçon est
une fresque sociale éblouissante des trente premières années du XX° siècle
en France ; Retour à Kyllibegs plonge
le lecteur dans l’Irlande en ébullition et décrit de manière percutante les
mécanismes de déchéance de l’IRA. Apprendre en lisant, quoi de plus
passionnant ?
Mais qu’elles soient petites ou grandes, les destinées individuelles sont
toujours riches en enseignement – enseignement de la vie plus qu’apprentissage
historique, souvent. Si elles sont traitées avec ce qu’il faut de finesse
psychologique, le lecteur ne peut qu’être séduit. C’est ce que j’ai ressenti en
lisant Qu’importe le chemin.de Martine
Magnin. Le roman traite d’un sujet de fond : les difficultés de parents
qui doivent envers et contre tout accompagner dans sa vie d’enfant puis
d’adulte leur fils toxicomane. Ce n’est ni un sociologue ni un psychiatre qui
écrit ; l’auteure témoigne de son vécu personnel ; elle le fait avec
dignité et humour. Cet essai est une véritable leçon de vie.
Biographie
Agnès Karinthi est née en France en 1969, mais son berceau familial est la
Hongrie, Budapest précisément, où son grand-père et son arrière-grand-père sont
de célèbres écrivains (Ferenc Karinthy et Frigyes Karinthy).
Ne jamais suivre la trace de ses aïeux… Elle a bien essayé, en embrassant
une carrière scientifique. Mais toujours un livre dans une main. Et les
années passant, un stylo dans l’autre.
Ingénieure de formation, elle accompagne aujourd’hui les entreprises à la
prévention des risques professionnels, un métier qui la passionne. En
parallèle, elle dévore roman sur roman et elle écrit.
Elle habite à Lyon entourée de son mari et de ses trois enfants.
Bibliographie :
Distinctions :
Concours de nouvelles courtes de Ceraf Solidarité 2015 :
attribution d’un accessit pour sa nouvelle « Pow-wow à la
harissa » ;
Concours de nouvelles France Philippe 2015, catégorie Adultes de la
médiathèque de Feignies : premier prix pour sa nouvelle « Au bord du
ruisseau ».
Son site internet :
Sa page Facebook :
Encore un grand merci à Agnès Karinthi pour sa gentillesse et sa disponibilité. Je vous invite à découvrir Quatorze appartements, l’excellent premier roman d’Agnès.