Fais de moi la colère de
Vincent Villeminot aux Éditions Les Escales
Ismaëlle est la fille d’un pêcheur du Lac Léman. Élevée seul
par son père, elle porte en elle une profonde blessure. En venant au monde,
elle a causé la mort de sa mère. Cette blessure est d’autant plus vive qu’elle-même
porte la vie. Un jour, son père ne revient pas de la pêche. On retrouvera son corps
quelques temps plus tard. Elle hérite de sa barque et se fait émanciper pour
pouvoir prendre sa suite.
« Ce soir, assise
sur l’herbe, sur le tertre, je pense à ça. Ma naissance. Ce baptême. Comme si
pour vivre, j’avais dû lui emprunter son âme et son souffle, à ma mère, et même
voler le cri, déchirant, que nous poussâmes ensemble. Presque ensemble.
J’aurai peur, quand il viendra. Je serai
terrifié. »
Ézéchiel est africain. Il est le fils de l’ogre, un
dictateur qui servait ses opposants en dîner à ses convives pour mieux assurer
son pouvoir. Il s’est installé sur les rives du Léman, côté suisse.
« Je suis un de
ses fils sortir de vos cauchemars.
J’ai l’air d’un géant, et la peau de sa nuit,
ses membres démesurés, trop grands, pour saisir, ne plus jamais lâcher. Prendre
et posséder. »
Le père d’Ismaëlle ne sera pas la seule victime du lac. Le
Léman, jour après jour va se mettre à rejeter des cadavres. Les autorités sont
impuissantes, ils ne parviennent pas à déterminer la cause de ce massacre.
Ézéchiel, lui, sait très bien ce qu’il se passe. La bête est
là au fond du lac. Cette bête, il l’appelle Mammon. Il est bien décidé à lui faire
rendre gorge. Ézéchiel est en mission pour expier les fautes de son père.
C’est dans ce contexte que les deux personnages vont se
rencontrer, qu’il vont se reconnaître. Ils sont liés par cette même
culpabilité, celle d’avoir tué leur mère en naissant. Leur histoire d’amour va
naître sur ce charnier, de leur quête pour éliminer Mammon.
Porté par une prose poétique incantatoire, Fais de moi la
colère est une roman allégorique qui fourmille de symboles et de références,
bibliques, mythologiques, littéraires. Ismaëlle par exemple, doit son prénom au
narrateur de Moby Dick, seul rescapé de la traque à la baleine blanche du roman
de Melville.
Ce livre est typiquement de ceux qui suscitent des avis très
tranchés. Soit on aime soit on déteste. Le style de Vincent Villeminot n’est
pas facile d’accès, il peut rebuter au premier abord. Mais quel plaisir quand
on se laisse porter, submerger, balloter par ses mots.
Fais de moi la colère restera pour moi l’un de mes coups de cœur
de cette rentrée littéraire. Faites-vous votre avis. Pour ma part j’attends
avec impatience le prochain roman de cet auteur.
« Mammon n’est
pas dans l’eau, elle est dans chaque ventre. La Greed, l’avidité, se tord dans
tous les reins. Qu’elle ordonne qu’on possède et chacun possédera. C’est en
nous. Possédés. »