Baudelaire, le diable et moi de Claire
Barré aux éditions Robert Laffont
La
narratrice a vingt-cinq ans. Elle est dépressive, mal dans son époque. Dévorée
par ses idées noires, elle pense sérieusement au suicide.
« C’est con de vouloir mourir à vingt-cinq
ans. Mais on a beau le savoir, on a beau se répéter que la vie deviendra peut-être
splendide un jour, le désir de mort ne s’envole pas comme ça, d’un coup d’aile
de corbeau.
Il reste là, lesté au fond du
ventre, à couver ses œufs de plomb. Les serres enfoncées dans les chairs
tendres. Guettant la faille. Attendant qu’une brume épaisse prenne possession
des lieux. »
Au hasard d’une
rencontre, elle fait la connaissance d'un homme qui, flairant la cliente potentielle, la présente au diable, un diable dont les traits lui font penser à Oscar
Wilde. Pour le prix de son âme, il lui propose de réaliser son vœu le plus cher :
rencontrer les membres de son cercle des poètes disparus. Tour à tour elle va
rencontrer Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, Roger Gilbert-Lecomte… Ces poètes
maudits qu’elle admire tant. Elle a tant de choses à leur dire mais ne dispose
que de sept voyages dans le temps. Chaque fois qu’elle fait la connaissance d’un
de ces poètes les seuls mots qui lui viennent à la bouche sont : « Voulez
vous coucher avec moi ? »
Assez déçue
par ses voyages poético-charnels à travers le temps, elle étudie de près son
pacte avec le diable et réussi à y trouver un vice de forme. Elle renégocie
donc son contrat. La jeune femme écrit, ce qu’elle voudrait c’est créer une œuvre
qui lui vaudrait la gloire. Le diable lui assigne un mentor de choix en la
personne de Baudelaire.
Dans la
première partie de ce roman, Claire Barré rend un hommage à ces poètes qui ont
su la toucher, qui ont su la construire, qui ont été en quelque sorte sa famille.
« C’est peut-être la passion fusionnelle de
mes parents qui m’a poussée à me sentir plus ou moins en trop… Ils m’ont eue
tard, par accident. Et je n’ai sans doute pas contribué à étoffer leur fibre
parentale : j’étais un bébé maladif et braillard, une petite fille mutique
et mélancolique, une adolescente gothique et insupportable. Vilain petit
corbeau éclos entre les plumes de cygnes amoureux, dont les cœurs étaient trop
remplis l’un de l’autre pour y laisser une place à leur chétif rejeton. C’est
sûrement pour me trouver une famille aimante que je me suis tournée vers les
rayons surchargés de leur bibliothèque, y trouvant, au gré de mes lectures, des
proches bienveillants et désireux de me prendre sous leurs ailes d’albatros. »
Ces poètes,
elle choisit de nous les montrer dans leur vie quotidienne, dans ce qu’elle
imagine qu’ils étaient en tant que personnes. Elle se les approprie et nous les
rend plus proches. Elle nous présente la poésie dans tout ce qu’elle a de
sensuel et de charnel.
Dans la
seconde partie de roman, la partie la plus drôle. C’est le monde de l’écriture
d’aujourd’hui qu’elle explore à travers les yeux avides de nouveauté de
Baudelaire qui est bien plus curieux de notre temps que la narratrice. Avec en
toile de fond cette question : comment rester fidèle à ce qu’on est quand
on écrit pour être publié ?
« Je songe à ces artistes qui ont réussi à
créer l’œuvre qu’ils avaient dans les veines… Il y en a très peu, au fond. Une
poignée. Comment ont ils fait pour rester fidèles à leur voix intérieure ?
Pour ne pas prostituer leur talent ? Quelle force intérieure les habite ? »
« Plus on s’efforce d’être soi,
plus on a de chances de toucher l’autre. »
Ce superbe
roman est un énorme coup de cœur pour moi. Claire Barré a réussi son pari d’intégrer
à sa plume pleine d’émotion, de fantaisie et d’humour, les vers de ses poètes
préférés qui jalonnent le roman. Avec cette comédie fantastico-poétique, elle
est parvenue à me faire ouvrir avec plaisir des recueils de poèmes. Jusqu’ici j’aimais
trouver de la poésie dans des romans mais j’étais plutôt allergique aux
recueils. Merci Claire de m’avoir plongé dans ce monde. Baudelaire,
le diable et moi est un livre à découvrir absolument. Lancez-vous à la suite de
l’auteure dans ce très beau et très drôle voyage. Vous ne le regretterez pas.