Souvenirs de lecture
40 : Tom Noti
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont
profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se
souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a
semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que
nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui
c’est Tom Noti qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je le
remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence
vous a le plus touché et pourquoi ?
TN :J’ai toujours lu et écumé les
bibliothèques vertes et roses. Je crois qu’à l’époque, je m’ennuyais beaucoup
et la lecture est hélas, souvent une résultante de l’ennui chez les enfants. Un
début en tout cas. Il faut donc sûrement
laisser les enfants s’ennuyer davantage ! Mais bon, c’est là un autre
débat !
Mon premier
grand choc de petit lecteur fut d’ampleur avec « L’appel de la
forêt » de Jack London et surtout « Michel Strogoff » de Jules
Verne. Le souffle épique de l’aventure ! Les grands espaces entre mes
mains, insufflés dans ma tête et dans mon cœur, d’enfant. Puis ce fut « Frankenstein » de
Mary Shelley et la peur suscitée par de simples mots, au point de déposer le livre
sur la table de chevet, en retenant son souffle. Mon père lisait aussi très souvent en
rentrant de son boulot harassant, dur. La lecture était comme un sas entre ce
travail qu’il n’aimait pas et sa vie de famille. Je plongeais derrière lui,
dans les récits délicats de Bernard Clavel. Plus tard, je lui piquais aussi les
San Antonio de Frédéric Dard et les dévorais en cachette car ils m’étaient
interdits. « L’étranger » de Camus, incontournable pour ceux qui se
sentent un peu différents, souvent en décalage avec les autres. « J’irai cracher sur vos tombes »,
de Vian, une échelle à la rébellion adolescente. « Le soleil des Scorta » de Laurent
Gaudé pour l’acceptation d’une vie qui n’est pas celle que l’on avait imaginée
et des phrases gravées en moi, pour toujours. Et puis, un livre d’enfance m’est
aussi resté en mémoire, « Retour à Malaveil » de Claude Courchay. Il
s’agit d’un drame dans un petit village de Provence. Ce livre m’avait fortement
marqué par sa construction. Je crois que
j’ai porté en moi, cette approche de l’intrigue jusqu’à finir par m’en inspirer
pour mon prochain roman à paraître.
J’ai lu
que, dans vos précédents « souvenirs de lecture », Martial Victorain
citait certains auteurs de chansons françaises. Je le rejoins complétement dans
l’admiration que j’ai pour eux et le talent de marier les notes aux mots afin
d’amplifier une émotion. J’avoue un faible particulier pour Alain Souchon qui
peut asséner d’un seul mot, traduire une idée, comme la plus douce des
sentences. Pour moi, il reste un modèle de concision mais aussi de révolte
élégante et faussement naïve. Il est mon Che Guevara émotionnel.
LLH : En quoi ces livres ont-ils eu une influence sur votre
désir d'écrire ?
TN : Je n’arrive pas à dire en quoi
toutes ces lectures ont influencé mon désir d’écrire. Je crois même que cela me
bloque même totalement d’imaginer un quelconque lien, une quelconque
filiation. Je n’imagine même pas une
quelconque influence de ces auteurs, un rapprochement de leurs styles
inaccessibles pour lesquels j’ai un grand et sincère respect. Sinon, comment
oser écrire ? Je sais juste que leurs livres ont bouleversé ma vie, qu’ils
ont secoué mon être et m’ont empli de sentiments merveilleux à travers leurs
mots. Le désir d’écrire, lui, il est en moi. Il l’a toujours été. Mais
qu’est-ce que j’ai mis du temps à me l’avouer ! Du temps pour l’accepter,
le dompter. Certes, j’étais celui à qui l’on demandait d’écrire un discours,
une chanson d’anniversaire, un texte pour le spectacle de fin d’année, une
présentation, un hommage posthume et j’aimais faire cela. Mais voilà, restait
enfoui, caché, le verbe ECRIRE, en majuscule. Puis, un jour, alors qu’à table
nous exhortions nos fils à vivre comme si aucun rêve n’était impossible, notre
petit dernier, m’a demandé : « et toi papa, ton grand rêve, c’était
quoi ? » Là, j’ai bien dû avouer que mon grand rêve à moi, c’était
d’écrire des romans. C’est sorti là, comme cela, sans prévenir, entre les
épinards et le dessert. Mon fils m’avait accouché de mon rêve et à son tour, il
m’a exhorté : « alors, si tu nous dis de le faire, pourquoi tu ne le
fais pas, toi ? »
Les mots,
je les avais en moi depuis si longtemps, comme des gens qui prennent des photos,
moi j’avais des instantanés de phrases, des boites à biscuits d’émotions !!
Mon fils avait trouvé où se cachait ma lumière, la source, un petit Jean de
Florette vainqueur. J’ai écrit mon premier roman. Désormais, j’ai l’impression
que je pourrais écrire tout le temps. Ce temps qui me fait défaut. C’est sans
doute aussi cela qui provoque le désir. Imaginer les trames à venir comme on
gravit un escalier, attendre et attendre de retrouver mes personnages et de
leur faire vivre la suite de leur destinées… à travers des mots, les miens.
C’est un sentiment merveilleux.
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de
cœur ?
TN : Tout le monde autour de moi, me
promet que je vais adorer « Retour à Bojangles » aussi je le garde
pour mes prochaines vacances afin de l’apprécier pleinement.
En général,
je suis fasciné par les auteurs de polars. Je me dis qu’avec les 26 lettres de
l’alphabet, et depuis le temps que nous assistons à des retournements et
rebondissements narratifs dans tous les sens, tout aurait dû être bouclé depuis
si longtemps ! Mais non, certains ont un tel talent qu’ils arrivent encore
à nous surprendre, nous tenir en haleine. Alors « Vendetta » de R J
Ellory et sa structure implacable, « Betty » de A. Indridason
et son coup de tonnerre imprévisible, « Les nymphéas noirs » de
Michel Bussi et sa géniale entourloupe. Et puis j’aime que les images et les
atmosphères qui émanent des romans m’imprègnent durablement, toujours Ellory
avec « Seul le silence » que j’ai offert à tous les gens que j’aime.
« Un roi sans divertissement » de Giono, d’une modernité incroyable
et surtout dont l’action se déroule dans le Trièves, tout près de chez moi.
« La nuit de l’oracle » de P Auster que mon éditeur m’a envoyé, avec
ses histoires mises en abîmes. J’ai aussi un faible pour les crochets de
dentellière du langage délicat et acéré d’Amélie Nothomb dans « L’hygiène
de l’assassin ». La claque
émotionnelle de Martine Magnin dans « mensonges et faux-semblants» où
l’impressionnisme vire au déchirement.
Enfin,
l’humour m’est nécessaire. L’humour italien large et rayonnant comme des bras
avant d’étreindre, Andrea Camillieri « La concession du téléphone ».
L’humour british et les atmosphères désabusées de David Lodge « Ma vie en
sourdine » ou Nick Hornby « Vous descendez, Haute-fidélité… ».
Un cran
au-dessus dans la dinguerie, l’inénarrable Tom Sharpe et sa série des
« Wilt » à se tordre de rire.
Et un
modèle hors catégorie Nadine Monfils toute de loufoque belgitude drapée. Toutefois,
au-dessus de toute cette crème d’auteurs, John Fante pour lequel j’ai un amour
infini. Beaucoup diront qu’il a creusé un sillon, raconté souvent la même
histoire. Sans doute. Une histoire d’italiens immigrés aux US, les mains
salies, les cœurs meurtris, la misère humaine et affective. C’est brutal, rude
et onirique parfois. Mais son écriture me touche direct au plexus. Et puis, son
OVNI : « Mon chien stupide », que lui aussi, j’ai beaucoup
offert.
Biographie
Deuxième et
petit dernier d’une famille d’ouvriers. Mon père travaillait dans une usine et
ma mère était femme de ménage dans une école maternelle. Italiens, grenoblois
(cela semble presque un pléonasme). J’ai baigné dans la culture du football et
des repas familiaux à n’en plus finir. L’ennui vient peut-être aussi de
là. L’ennui et la rébellion. Je n’aime
pas le foot (tombé dans la marmite, comme Obélix), je suis devenu basketteur
(et je revendique haut et fort que c’est le plus beau sport du monde), je suis
aussi devenu lecteur (comme mon père) et surtout solitaire. Pour nos parents,
les études étaient importantes. Eux n’avaient pas pu. Mon frère accède à
l’Everest familial et devient professeur. C’est un exemple de curiosité, de
culture, de précision et de volontarisme. Il a les pieds sur terre et m’a
montré comment ne pas se résigner. Il vit dans le nord. Moi, je n’ai pas sa
rigueur. Je suis dilettante, trop émotif, désorganisé, dans la lune, toujours à
l’ouest. Je deviens instituteur et reste à Grenoble. J’aime cette ville où je vis toujours. J’aime les montagnes autour, accessibles et
salvatrices. J’aime les gens qui paraissent peut-être froids, qui ont un cœur
gros comme ça mais ne le montrent pas toujours.
Cette distance affective me touche encore plus quand les barrières
tombent. Plus jeune, la mère d’une amie m’avait prédit que j’écrirais un jour.
Elle n’est plus là pour le voir, comme bon nombre de gens que j’aime, mais il y
a une trace de chacun d’eux, dans chacun de mes romans et de leur étincelle
dans chacun de mes personnages. La
lumière de tous ces gens que j’aime, et ils sont nombreux, pour écrire encore
et encore.