Souvenirs de lecture 7 : Jérôme Attal
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touché, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Jérôme Attal qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je le remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité jamais démenties.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?
JA Étrangement, je ne suis devenu lecteur de roman qu'à l'âge de 19 ans. J'ai toujours beaucoup plus écrit que lu. Ce n'est pas très sérieux, n'est-ce pas? À l'adolescence j'écrivais des romans sur des cahiers d'écolier, des poèmes, des chansons que j'offrais aux filles qui me plaisaient. Bien sûr les embrasser eût été plus direct et plus malin, mais je n'avais pas assez confiance dans le monde pour ça, alors écrire m'offrait un territoire différent, sur lequel j'avais davantage de prise. Où la magie opérait sans les complications de la trivialité. Les lectures qui me passionnaient , c'étaient les BD du lieutenant Blueberry de Charlier et Giraud, et la plupart des comics Marvel, avec une préférence pour les X Men et Daredevil que mon père m'offrait si je n'avais pas hurlé lors d'une prise de sang ou quand le dentiste manquait de m'arracher une molaire en m'ôtant son instrument métallique rempli de pâte rose pour prendre mon empreinte dentaire.
Après le baccalauréat, je suis venu habiter à Paris, seul, et là j'ai eu un véritable besoin physique de lire et de posséder des romans. C'est devenu viscéral. Je ne pouvais pas me promener dans une rue, ou me pointer dans une soirée, dans une fête, sans un livre à la main. J'ai rattrapé le temps floué des lectures scolaires obligatoires pour l'indépassable plaisir de découvrir des romans qui engagent ou réveillent quelque chose en vous, et qui vous accompagnent solidement quand le quotidien vous foudroie. Après Daredevil, je suis resté dans les D, avec Dostoïevski et Duras. J'aimais la gravité avec laquelle Marguerite abordait cette chose bien volatile qu'est l'amour fou. Je pourrais citer
Les nouvelles de Salinger et le
Journal de Jean-René Huguenin, que je lisais en boucle, des heures durant, comme on écoute des disques. J'aime d'ailleurs bien l'idée d'écrire des romans comme des groupes anglais feraient de la pop music. Un romancier c'est un rocker assez misanthrope qui préfère gérer les humeurs et les emplois du temps de ses personnages plutôt que de son entourage et des musiciens qui l'accompagnent.
LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
JA Si on parle des aventures de Matt Murdock alias Daredevil, je dirai que c'est un super héros qui intervient quand quelque chose blesse sa morale personnelle, son sentiment aigu de la justice ou les sentiments de son coeur. Finalement - je m'aperçois de ça parce que je viens d'écrire un roman policier où le personnage principal décide également d'intervenir quand la vie entre en contradiction avec ce qu'il est et ce qu'il ressent - je crois qu'un écrivain intervient aussi pour réparer ou proposer quelque chose. Soit un rapport au monde, une difficulté d'être ou d'aimer, une incapacité dans la vraie vie de concevoir un monde meilleur à ses yeux. Bon, c'est une hypothèse mais elle fonctionne assez bien pour moi. J'aime aussi les romans qui engagent l'âme de celle ou de celui qui les écrit. Qu'au delà du texte on puisse ressentir à qui on a affaire. Quand j'étais enfant, dans la cour de récréation, je me souviens qu'un jour j'ai pris une petite fille de ma classe par la main, et je l'ai entraînée à l'autre bout de la cour - sous les yeux du public médusé - juste pour lui dire un secret dans le creux de l'oreille. Je ne sais plus du tout de quoi était fait ce secret, mais peut-être vient de là mon désir d'écrire. Quand j'écris, c'est pour prendre une personne par la main, pour lui dire un secret .
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coup de coeur ?
JA Jardins en temps de guerre de Teodor Ceric (Actes Sud) . C'est un très beau livre, l'histoire d'un type qui fuit la guerre à Sarajevo dans les années 90 pour aller visiter les jardins des artistes qu'il admire (celui de Beckett en Seine et Marne, ou de Derek Jarman en Angleterre). C'est l'idée, que dans des temps troublés, il y a toujours un petit lieu pour soi, un refuge à trouver quelque part, une terre ingrate à changer en petit carré de paradis duquel prendre soin.
Jim Henson : The biography de Brian Jay Jones (Virgin Books). Je lis en anglais la biographie de Jim Henson, le créateur de Muppets et de Sesame Street, qui est l'un de mes héros. Je loue son génie et sa capacité à avoir su créer des personnages fiables dans le temps, inventer des chansons, raconter des histoires. Même si je suis d'un tempérament plutôt solitaire, j'aurais adoré participer à une aventure créatrice aussi stimulante et belle que celle du Muppet Show et de Sesame Street. Avec cet art de la profondeur sous l'apparence de la légèreté.
Le bonheur des tristes de Luc Dietrich (Le livre de poche). Un ami m'a récemment fait parvenir ce roman autobiographique à la fois poétique et poignant, pensant qu'il me plairait beaucoup - il connaît mon goût pour les aphorismes et les phrases définitives. Je suis en train de le lire. Il est vrai que tombant page 48 sur une telle phrase : "il est beau d'être un homme triste, car il s'en trouve peu." Que peut-on dire après?
Biographie
Jérôme Attal est né à Neuilly sur Seine, a vécu à La Garenne Colombes et domaine de Marsinval dans les Yvelines, avant de s'installer à Paris à sa majorité. Il aimerait beaucoup vivre à Londres mais dans cette hypothèse compte sur vous pour que ses romans deviennent des best-sellers. Il a fait des études de cinéma, de lettres modernes et a obtenu un licence et un maîtrise d'Histoire de l'art dont le mémoire avait pour thème : Vincent Van Gogh et Francis Bacon. Comme il avait fait suffisamment plaisir à ses parents avec toutes ces études, il est ensuite devenu chanteur. Il sort un album en 2005 très axé pop anglaise avec des textes en français :
Comme elle se donne. Grâce à sa rencontre avec l'éditeur Stéphane Million, il rejoint l'aventure de la revue
Bordel en 2003 dès le premier numéro, une revue pour laquelle il écrit régulièrement des nouvelles avec une fidélité qui l'honore d'autant que ça s'appelle Bordel. Comme la place était déjà prise pour devenir Francis Scott Fitzgerald, il écrit "
La fêlure" pour Garou et "
L'envers du paradis" pour Jenifer, deux chansons parmi plus d'une centaine à son actif. En plus, il boit davantage de thé (Pu-erh chinois, English breakfast tea) que d'alcool, ce qui le disqualifie direct pour devenir Francis Scott Fitzgerald. Il écrit et publie sous la direction de Stéphane Million plus de huit romans dont la plupart sont repris en format poche chez Pocket. Son dernier roman
" Aide moi si tu peux" vient de paraître aux éditions Robert Laffont. C'est l'histoire d'un flic qui, face à la déliquescence du monde actuel se réfugie en souvenirs dans les années 80 de sa jeunesse.
Scénariste et acteur quand les metteurs en scène le réclament (j'allais dire l'exigent) il a participé à plusieurs courts-métrages, le dernier en date : Alice Island de Franck Guérin pour Arte/Gulliver productions.
Encore un grand merci à Jérôme Attal pour sa gentillesse. Les titres figurant en coloriés dans le texte disposent d'un lien intégré vous permettant d'atteindre la chronique sur Aide moi si tu peux et la chanson Comme elle se donne.