Souvenirs de lecture 47 :
Xavier-Marie Bonnot
Nous avons tous eu des lectures qui nous ont profondément
touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient où on
était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de
savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi
elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Xavier-Marie
Bonnot qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je le remercie pour
son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH Quel livre lu dans votre enfance ou votre
adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
XMB : Il y en a plusieurs, bien entendu… Mais si je
devais en citer un seul, le premier qui me vient au cœur et à l’esprit, ce
serait Wuthering Heights d’Emily
Brontë, traduit en français par Les Hauts
de Hurlevent. Pour plusieurs raisons. La première est que j’ai vu le film
avant de lire le roman et qu’une sorte de passion est née de cette première
émotion cinématographique. Ensuite j’ai lu ce roman en anglais et en français.
Le film m’avait fortement marqué. Heathcliff est joué par
Laurence Olivier et Cathy par Merle Oberon. Je n’exagèrerais pas en disant que
j’ai vu ce film des dizaines de fois. La première fois, c’était avec mon père
et ma mère au cinéma de la place Castellane à Marseille. Un film très fort
émotionnellement susceptible d’enflammer l’esprit d’un enfant. Une histoire d’amour
impossible, cruelle. Mais il y a plus, le roman est beaucoup plus fort, comme
souvent. Beaucoup plus cruel aussi. Quand je suis allé à Edimbourg, invité pour
dédicacer et présenter mon premier livre, La
Première empreinte, traduit en anglais (The
first Fingerprint), j’ai parlé de cette origine… Le médiateur dont je
tairai le nom s’est exclamé : « Mais
c’est un livre pour filles ». Alors d’accord , je suis un peu une fille,
sans complexe…
Emily Brontë était une jeune femme qui n’était guère sortie
de son milieu. Ce fut un choc pour moi à vrai dire. Ce fut la révélation du
grand mystère de l’écriture. Comment cette jeune femme avait-elle pu imaginer
une telle histoire et comment avait-elle pu avoir la pleine conscience d’écrire
un roman qui resterait comme le plus important témoignage de son époque ?
Un roman définitif sur les sentiments humains. À ce titre je rapprocherais Wuthering Heights d’Anna Karénine de Tolstoï. Parce qu’il y a une description sans
concession de la psychologie des personnages. Pour faire plus récent,
provocateur et plus facile, je le rapprocherais aussi des Particules élémentaires de Houellebecq. Alexis Jenny m’a beaucoup
plus avec son Art français de la guerre.
Bien d’autres romans sont venus ensuite. Les grands
américains comme Faulkner ou Dos Passos. Et puis les Français : Proust,
Céline, Giono, Balzac. Ce qui m’intéresse aujourd’hui , c’est le grand art, la
poésie. Aller d’Apollinaire à René Char en passant par Maïakovski, Breton,
Salmon… Sans oublier Rimbaud et d’autres comme Guillevic. La poésie m’impressionne.
Elle est ma première école secrète.
Je voudrais mentionner tout spécialement les écrivains
antillais, les enfants d’Aimé Césaire, Gontran Damas et Senghor. Notamment
Glissant, Confiant et Condé. Il faut absolument les lire, pour leur style et
pour ce qu’ils portent. La réflexion de Confiant sur la créolité et le concept
de tout-monde a été pour moi une grand révélation. C’est un auteur dont on
parle peu chez nous et beaucoup plus aux USA – cherchez l’erreur. On est loin de
Saint Germain mais on est dans la grande littérature.
LLH : En quoi ces livres ont-ils eu une
influence sur votre désir d’écrire ?
XMB : L’influence est complexe et certaine car j’ai
commencé à écrire sur « commande » si je puis dire. Mais quand j’ai
compris que j’avais l’écriture dans les veines, bien malgré moi et aussi sûrement
que ma vie s’articulait autour de cette évidence, jusque là cachée, alors j’ai
commencé à chercher chez les grand-es comment faire – il y a de l’artisanat
sans aucun doute dans cette affaire. Écrire, cela s’apprend… Pas en lisant les
médiocres mais les géants. Les maîtres au sens ancien du compagnonnage. On est
apprenti tout d’abord, puis compagnon et enfin maître. Je crains fort d’être un
apprenti à vie, peu importe, il me plaît d’apprendre. Et j’apprends en mettant
sur l’établi le travail de la veille, encore et encore. En écrivant Le tombeau d’Apollinaire, j’avais l’impression
que l’immense poète jetait un œil par-dessus mon épaule et qu’il regardait mon
texte. J’avais le sentiment qu’il fallait être, autant que possible, digne de
lui. Étrange et terrible expérience car je ne suis pas à la hauteur. Je me suis
enrichi et je crois avoir fait quelques progrès. Mais il faut toujours passer
par la porte basse pour avancer. Le désir d’écrire est irrépressible, c’est une
nécessité de vie, pas une plaisanterie. On ne badine pas avec l’épithète ou le
complément d’objet direct… Alors le désir d’écrire vient chez moi un peu du
hasard, l’exigence découle de ces grandes rencontres dont j’ai parlé plus haut.
J’ai relu récemment les grands textes de Proust et de Céline, ces œuvres dont
on ne vient jamais à bout. Il faut donc se remettre à l’établi…
LLH : Quelles sont vos dernières lectures
coups de cœur ?
XMB : Paolo Cognetti, Les huit montagnes. Un roman très fort sur l’amitié entre deux
hommes dans un décor qui est le grand acteur de ce roman : la montagne.
David Vann aussi, dans la lignée des grands auteurs américains. J’ai relu Le Père Goriot et Les Frères Karamazov, rien de bien neuf. Un autre livre que j’ai
beaucoup aimé, ces dernières années : Bonjour
tristesse de Françoise Sagan, elle aussi une précoce. Impressionnant. Dans
la littérature féminine, je citerais aussi Karen Blixen. Je crois qu’il faut
toujours revenir aux grands anciens.
Enfin, je lis beaucoup de textes techniques (sociologie,
ethnographie)… ou des livres d’histoire, c’est un peu mon métier. Je travaille
actuellement sur la période de la Deuxième Guerre Mondiale donc j’ai beaucoup d’études
récentes à consulter. Cela ne laisse guère de place pour le roman. L’auteur que
je place tout en haut demeure Claude Lévi-Strauss. Il m’en a appris des choses…
Et quelle plume !
Biographie
Xavier-Marie Bonnot vit à Paris. Après des études de lettres
et d’histoire, il est devenu réalisateur de films documentaires.
Son premier roman, La
Première empreinte, a été prix Rompol, finaliste du Prix SNCF et Prix des Marseillais. Suivent La bête du marais (2004) puis La voix du loup (2006). Ces trois premiers
romans abordent les domaines aussi variés que la préhistoire et le légendaire
provençal, l’erreur judiciaire et le terrorisme.
Avec Les âmes sans nom,
c’est dans l’Irlande du Nord en guerre que Xavier-Marie Bonnot mêle passé et
présent et donne à réfléchir sur les raisons de l’engagement politique et le
fanatisme. Le Pays oublié du temps,
publié aux éditions Actes Sud, a obtenu le prix Plume de Cristal au festival
international du film policier de Liège. Ce roman qui se situe au contact des
civilisations de Papouasie-Nouvelle Guinée croise « la fièvre de Conrad
avec la désillusion de Lévi-Strauss » (Sud-Ouest). Il a été traduit en
anglais, espagnol, italien, russe, japonais, roumain et croate. Premier homme, sixième roman, a obtenu
le prix Lion Noir. La dame de Pierre (éditions
Belfond) , traite d’un sujet rarement abordé : l’homophobie. Il a été
couronné par le prix du Meilleur Roman Francophone à Cognac. En 2016, paraît La Vallée des ombres chez Belfond, un
roman noir. Après un récit documentaire, L’Enfant
et le dictateur, qui traite de l’abandon des enfants en Roumanie sous la dictature communiste, il
publie Le Dernier violon de Menuhin,
une réflexion sur l’art et Le Tombeau d’Apollinaire,
hommage au poète, tous les trois parus chez Belfond.
Un grand merci à Xavier-Marie Bonnot pour sa gentillesse et
sa disponibilité. Je vous invite à découvrir son superbe dernier roman Le Tombeau d’Apollinaire aux éditions
Belfond.