mardi 29 janvier 2019

Souvenirs de lecture 47 : Xavier-Marie Bonnot






Souvenirs de lecture 47 : Xavier-Marie Bonnot


Nous avons tous eu des lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Xavier-Marie Bonnot qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je le remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH Quel livre lu dans votre enfance ou votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?

XMB : Il y en a plusieurs, bien entendu… Mais si je devais en citer un seul, le premier qui me vient au cœur et à l’esprit, ce serait Wuthering Heights d’Emily Brontë, traduit en français par Les Hauts de Hurlevent. Pour plusieurs raisons. La première est que j’ai vu le film avant de lire le roman et qu’une sorte de passion est née de cette première émotion cinématographique. Ensuite j’ai lu ce roman en anglais et en français.

Le film m’avait fortement marqué. Heathcliff est joué par Laurence Olivier et Cathy par Merle Oberon. Je n’exagèrerais pas en disant que j’ai vu ce film des dizaines de fois. La première fois, c’était avec mon père et ma mère au cinéma de la place Castellane à Marseille. Un film très fort émotionnellement susceptible d’enflammer l’esprit d’un enfant. Une histoire d’amour impossible, cruelle. Mais il y a plus, le roman est beaucoup plus fort, comme souvent. Beaucoup plus cruel aussi. Quand je suis allé à Edimbourg, invité pour dédicacer et présenter mon premier livre, La Première empreinte, traduit en anglais (The first Fingerprint), j’ai parlé de cette origine… Le médiateur dont je tairai le nom  s’est exclamé : « Mais c’est un livre pour filles ». Alors d’accord , je suis un peu une fille, sans complexe…

Emily Brontë était une jeune femme qui n’était guère sortie de son milieu. Ce fut un choc pour moi à vrai dire. Ce fut la révélation du grand mystère de l’écriture. Comment cette jeune femme avait-elle pu imaginer une telle histoire et comment avait-elle pu avoir la pleine conscience d’écrire un roman qui resterait comme le plus important témoignage de son époque ? Un roman définitif sur les sentiments humains. À ce titre je rapprocherais Wuthering Heights d’Anna Karénine de Tolstoï. Parce qu’il y a une description sans concession de la psychologie des personnages. Pour faire plus récent, provocateur et plus facile, je le rapprocherais aussi des Particules élémentaires de Houellebecq. Alexis Jenny m’a beaucoup plus avec son Art français de la guerre.

Bien d’autres romans sont venus ensuite. Les grands américains comme Faulkner ou Dos Passos. Et puis les Français : Proust, Céline, Giono, Balzac. Ce qui m’intéresse aujourd’hui , c’est le grand art, la poésie. Aller d’Apollinaire à René Char en passant par Maïakovski, Breton, Salmon… Sans oublier Rimbaud et d’autres comme Guillevic. La poésie m’impressionne. Elle est ma première école secrète.

Je voudrais mentionner tout spécialement les écrivains antillais, les enfants d’Aimé Césaire, Gontran Damas et Senghor. Notamment Glissant, Confiant et Condé. Il faut absolument les lire, pour leur style et pour ce qu’ils portent. La réflexion de Confiant sur la créolité et le concept de tout-monde a été pour moi une grand révélation. C’est un auteur dont on parle peu chez nous et beaucoup plus aux USA – cherchez l’erreur. On est loin de Saint Germain mais on est dans la grande littérature.


LLH : En quoi ces livres ont-ils eu une influence sur votre désir d’écrire ?

XMB : L’influence est complexe et certaine car j’ai commencé à écrire sur « commande » si je puis dire. Mais quand j’ai compris que j’avais l’écriture dans les veines, bien malgré moi et aussi sûrement que ma vie s’articulait autour de cette évidence, jusque là cachée, alors j’ai commencé à chercher chez les grand-es comment faire – il y a de l’artisanat sans aucun doute dans cette affaire. Écrire, cela s’apprend… Pas en lisant les médiocres mais les géants. Les maîtres au sens ancien du compagnonnage. On est apprenti tout d’abord, puis compagnon et enfin maître. Je crains fort d’être un apprenti à vie, peu importe, il me plaît d’apprendre. Et j’apprends en mettant sur l’établi le travail de la veille, encore et encore. En écrivant Le tombeau d’Apollinaire, j’avais l’impression que l’immense poète jetait un œil par-dessus mon épaule et qu’il regardait mon texte. J’avais le sentiment qu’il fallait être, autant que possible, digne de lui. Étrange et terrible expérience car je ne suis pas à la hauteur. Je me suis enrichi et je crois avoir fait quelques progrès. Mais il faut toujours passer par la porte basse pour avancer. Le désir d’écrire est irrépressible, c’est une nécessité de vie, pas une plaisanterie. On ne badine pas avec l’épithète ou le complément d’objet direct… Alors le désir d’écrire vient chez moi un peu du hasard, l’exigence découle de ces grandes rencontres dont j’ai parlé plus haut. J’ai relu récemment les grands textes de Proust et de Céline, ces œuvres dont on ne vient jamais à bout. Il faut donc se remettre à l’établi…


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de cœur ?

XMB : Paolo Cognetti, Les huit montagnes. Un roman très fort sur l’amitié entre deux hommes dans un décor qui est le grand acteur de ce roman : la montagne. David Vann aussi, dans la lignée des grands auteurs américains. J’ai relu Le Père Goriot et Les Frères Karamazov, rien de bien neuf. Un autre livre que j’ai beaucoup aimé, ces dernières années : Bonjour tristesse de Françoise Sagan, elle aussi une précoce. Impressionnant. Dans la littérature féminine, je citerais aussi Karen Blixen. Je crois qu’il faut toujours revenir aux grands anciens.

Enfin, je lis beaucoup de textes techniques (sociologie, ethnographie)… ou des livres d’histoire, c’est un peu mon métier. Je travaille actuellement sur la période de la Deuxième Guerre Mondiale donc j’ai beaucoup d’études récentes à consulter. Cela ne laisse guère de place pour le roman. L’auteur que je place tout en haut demeure Claude Lévi-Strauss. Il m’en a appris des choses… Et quelle plume !


Biographie



Xavier-Marie Bonnot vit à Paris. Après des études de lettres et d’histoire, il est devenu réalisateur de films documentaires.

Son premier roman, La Première empreinte, a été prix Rompol, finaliste du Prix SNCF  et Prix des Marseillais. Suivent La bête du marais (2004) puis La voix du loup (2006). Ces trois premiers romans abordent les domaines aussi variés que la préhistoire et le légendaire provençal, l’erreur judiciaire et le terrorisme.

Avec Les âmes sans nom, c’est dans l’Irlande du Nord en guerre que Xavier-Marie Bonnot mêle passé et présent et donne à réfléchir sur les raisons de l’engagement politique et le fanatisme. Le Pays oublié du temps, publié aux éditions Actes Sud, a obtenu le prix Plume de Cristal au festival international du film policier de Liège. Ce roman qui se situe au contact des civilisations de Papouasie-Nouvelle Guinée croise « la fièvre de Conrad avec la désillusion de Lévi-Strauss » (Sud-Ouest). Il a été traduit en anglais, espagnol, italien, russe, japonais, roumain et croate. Premier homme, sixième roman, a obtenu le prix Lion Noir. La dame de Pierre (éditions Belfond) , traite d’un sujet rarement abordé : l’homophobie. Il a été couronné par le prix du Meilleur Roman Francophone à Cognac. En 2016, paraît La Vallée des ombres chez Belfond, un roman noir. Après un récit documentaire, L’Enfant et le dictateur, qui traite de l’abandon des enfants  en Roumanie sous la dictature communiste, il publie Le Dernier violon de Menuhin, une réflexion sur l’art et Le Tombeau d’Apollinaire, hommage au poète, tous les trois parus chez Belfond.


Un grand merci à Xavier-Marie Bonnot pour sa gentillesse et sa disponibilité. Je vous invite à découvrir son superbe dernier roman Le Tombeau d’Apollinaire aux éditions Belfond.


dimanche 27 janvier 2019

Celle qui marche la nuit




Celle qui marche la nuit de Delphine Bertholon aux Éditions Albin Michel Jeunesse


Malo a quinze ans et son monde vient de s’écrouler. Son père, professeur de musique, vient d’obtenir un poste au conservatoire de Nîmes. Lui, le gamin de Paris va devoir suivre le mouvement. Aller vivre en Province, dans le Sud. Son père et sa belle-mère qui rêvaient de devenir propriétaires ont trouvé une occasion en or, une belle maison. Même pas dans un village, en pleine campagne.

Arrivé dans son nouvel environnement, le jeune garçon est loin d’être convaincu. Il n’y a rien à faire dans le coin. Son meilleur ami Pop lui manque terriblement. Et cette maison, il ne la sent pas du tout. Elle lui fait froid dans le dos. Imaginez la maison de Psychose d’Hitchcock aussi isolée que l’hôtel de Shining de Stephen King. Pour tromper son ennui, Malo noircit les pages d’un journal intime que sa tante lui avait offert pour son anniversaire. Un cadeau qu’il avait trouvé ringard mais dont il découvre à présent toute l’utilité.

«  D’instinct, j’ai détesté cet endroit. Je suis un mec rationnel – imaginatif, mais rationnel. Je sais bien que mes réticences ont une cause psychologique : je ne veux pas habiter ici. Je ne veux pas prendre un car pour aller dans lycée où je ne connais personne, je ne veux pas être loin de Pop ni de tous mes copains, je veux retrouver les voitures, les immeubles, le métro, les filles en jolies robes. Je n’ai jamais aimé les vieilles pierres  et les chemins forestiers, je suis un type élevé à la pollution, au bitume, au skate et aux platanes ? Alors, au-delà de cet épouvantable « living », je suis conscient que le problème ne vient pas seulement de la maison. Pourtant, j’ai comme une sorte de… je ne sais pas … pressentiment ? C’est sûrement que j’ai vu trop de films d’horreur. »

Deux mois à tenir jusqu’à la rentrée scolaire. Les vacances vont être longues, très longues. N’ayant rien d’autre à faire, Malo se décide à explorer la région au guidon de son vélo. Très vite il découvre une grande maison abandonnée qui l’intrigue et lui donne des frissons.

Une chose inquiète Malo. Jeanne, sa petite sœur, fait d’horrible cauchemars. La nuit, elle hurle et quand ses parents accourent, elle est complètement absente. En journée, elle semble parler à une amie imaginaire. Ses parents, trop occupés par la remise en état de la maison ne semblent pas s’en inquiéter.

Jeanne confie à Malo son secret. Elle voit une jeune fille, Pauline, et passe son temps à jouer avec elle. Le jeune garçon commence à paniquer. Il essaie d’en parler à ses parents, mais sans succès.

Il se confie à son tour à Lili, la jeune postière sur laquelle il a craqué. Il lui demande si elle connait une certaine Pauline. Après avoir coupé court à la conversation comme si elle était en présence d’un fantôme, la jeune femme lui raconte l’histoire de la jeune fille. Pauline était la fille de la bonne de la maison achetée par les parents de Malo. Elle a disparu le 26 août 1987 et n’a jamais été retrouvée. Histoire confirmée par la découverte d’une cassette audio datant de 1987, dans la maison abandonnée.

Malo et Lili vont mener l’enquête pour libérer la maison du fantôme de Pauline.

Avec ce passionnant roman jeunesse, Delphine Bertholon rend hommage à la littérature et au film d’horreur. Les amateurs y trouveront de nombreuses références à l’œuvre de Stephen King.

L’aventure de Malo m’a happé dès les premières pages pour ne jamais me lâcher. Je l’ai lu d’une traite. Avec un langage résolument « djeuns », l’auteure nous plonge dans les questionnements de Malo, nous fait vivre son angoisse, sa peur qui montent au fur et à mesure du livre. Un roman jeunesse à offrir à vos chères têtes blondes en mal de frissons. Vous pourrez vous aussi en profiter.