Le tombeau d’Apollinaire
de Xavier-Marie Bonnot aux éditions Belfond
Novembre 1915. Nous sommes dans la Marne, dans les
tranchées, en première ligne. Le sergent Philippe Moreau accueille le nouveau
lieutenant : Guillaume de Kostrowitzky. Sang bleu apatride, l’homme fait
sensation dans les tranchées. Il a quitté l’artillerie pour venir se colleter
au combat, à l’avant.
Philippe ressent à la fois de l’attirance et de la méfiance
pour cet homme cultivé qui semble passer son temps à écrire et à déclamer de la
poésie. Philippe, lui, est fils de paysans, le seul de sa famille à avoir
obtenu le baccalauréat. Il est dessinateur autodidacte.
« - Moreau ?
- Oui, mon lieutenant.
- Aimez-vous la poésie ?
Son regard d’azur s’éclaire.
- Oui, mon lieutenant.
- En lisez-vous ?
- J’essaie, mon lieutenant. Mais c’est pas
facile. Parfois, je me dis qu’ici, la poésie on l’a au jour le jour.
- Qu’est-ce-que vous voulez dire par là ?
- Ben… Vu qu’on n’a pas trop le temps de
vivre, on se retranche derrière chaque belle chose. Dans la nuit, quand les
balles traçantes rayent la noirceur de la butte du Mesnil, c’est beau. Elles
portent la mort, légères et rapides. Une beauté définitive. Cinglante. On ne
dirait pas que c’est réel. Les canonnades, quand on est dessous et qu’on lève
les yeux, c’est comme des constellations à portée de main. On pourrait presque
se saisir du ciel et de la galaxie.
-Surréaliste, non ?
- C’est un mot que je ne connais pas, mon
lieutenant.
- Un mot que j’invente. Un esprit nouveau.
Parce que je suis poète. Je suis Guillaume Apollinaire, mon nom de plume. »
Y-a-t-il de la poésie dans la guerre, du beau dans l’horreur ?
Car l’horreur nous y sommes plongés. Nous accompagnons Philippe et Apollinaire
ainsi que leurs compagnons d’infortune au milieu des tranchées. Dans ces boyaux
où il faut non seulement subir la mitraille de l’ennemi mais aussi les assauts
de la vermine. Une vie faite d’attente et de peur.
« En ligne, on s’ennuie
surtout. On a toujours l’impression que son futur va s’éteindre tantôt, à la
première attaque. On vit petitement avec des rêves grotesques. À chaque
instant, le feu peut s’abattre sur nous et bousiller nos pauvres vies. On
subsiste en n’étant rien. De notre poitrine, on fait rempart de la bêtise de l’ennemi.
C’est à la fois comique et tragique. Cosmique et concret. L’essentiel de notre
fortune. »
Ces deux hommes que tout oppose : milieux sociaux
différents, visions de la guerre divergentes, l’un exalté par la dimension
poétique du conflit, l’autre dégoûté par tout ce dont il a été témoin, vont se
lier d’amitié. Leurs discussions artistiques, leur admiration réciproque vont
les aider à tenir dans cet enfer.
Touchés tous deux à quelques minutes d’intervalle, Philippe
et Guillaume sont évacués. Blessés au crâne, la guerre est terminée pour eux.
Guillaume sera transporté vers Paris quant à Guillaume c’est à Chalons sur
Marne qu’il sera soigné. Une fois sur pieds, le jeune dessinateur rejoindra
Paris à la recherche de Guillaume. Son monde n’existe plus. Son village, ses
terres sont ravagés, un cimetière à ciel ouvert. Il va essayer de s’intégrer
aux milieux culturels parisiens dont l’une des principales têtes d’affiche est
Guillaume Apollinaire.
Avec Le Tombeau d’Apollinaire, Xavier-Marie Bonnot signe l’un
des livres les plus marquants que j’ai lu sur la première guerre mondiale. On y
voit ces poilus, pauvre pions sacrifiés sur l’échiquier inhumain de la
géopolitique. Ces victimes d’un combat décidé par les puissants bien au chaud
dans leurs cabinets ministériels. On y voit aussi la vie à l’arrière, à Paris,
où la vie culturelle malgré la menace des bombes continue vaille que vaille. Le
tombeau d’Apollinaire, c’est aussi celui de tous ces hommes morts au combat,
ces compagnons d’Apollinaire à qui un vibrant hommage est rendu. C’est aussi la
fin d’un monde, la fin réelle du XIXème siècle dans le domaine des arts et de
la culture et le début d’une ère nouvelle dont Apollinaire a été l’un des
précurseurs.
En ce centenaire de la fin du premier conflit mondial et du
décès d’Apollinaire, je ne peux que vous recommander la lecture de ce fabuleux
roman porté par la très belle plume de Xavier-Marie Bonnot.
« Je peins parce
que j’ai eu mille vies avant d’en finir une. Je peins par indélicatesse, pour
le sang qui a coulé. Parce que j’ai tué. Pour les gifles et les caresses. Parce
que le silence du monde me pille, qu’il fait nuit sur la terre de givre, quand
les corps se mélangent à la glaise. Parce que la fleur meurtrie se cache sous
le gel de novembre. C’est comme penser à la semence, au blé d’hiver qu’il faut
mettre en terre avec patience. »
Un grand
merci à Netgalley France ainsi qu’aux Éditions Belfond de m’avoir permis de
découvrir ce bijou.
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