jeudi 30 juin 2016

Huit mois pour te perdre



Huit mois pour te perdre de Marie-Diane Meissirel aux éditions Daphnis et Chloé


Emma vit depuis de nombreuses années dans les Balkans. Aussitôt ses études de droit terminées, elle a choisi de se consacrer au sein d'organisations internationales, à  la défense des victimes de l’épuration ethnique dans ces nouvelles républiques issues de l’ex-Yougoslavie. À la veille de l’entrée de la Croatie dans l’Union Européenne, elle travaille sur la corruption qui gangrène le pays. Son métier la passionne et elle est constamment en déplacements. Emma a un fils, Bruno, qu’elle élève seule avec l’aide de Dunja, sa nounou croate.

Alors qu’elle arrive à Zagreb, elle apprend que son appartement vient d’être cambriolé. Un deuxième appel plus important et plus alarmant lui apprend que son  fils et sa nounou ne sont pas rentrés à la pension de famille dans laquelle Dunja et Bruno sont en vacances en attendant d’être rejoints par Emma. La disparition devient vite inquiétante. Emma prend la route pour partir à la recherche de son fils.

Pendant tout le trajet qui va la mener à Hvar, Emma panique, elle culpabilise. Et si Bruno avait été enlevé. De nombreuses personnes lui en veulent dans la région. On ne fait pas carrière dans la poursuite des criminels de guerre sans se créer des ennemis. Elle fustige son implication dans son travail.  Elle s'en veut de n’avoir pas été assez présente pour son fils. Pourtant elle l’attendait avec impatience, ce bébé, le fruit de son amour avec Adam. Mais Adam a pris la fuite pour rejoindre sa famille aux Etats Unis. À la naissance de Bruno, plus rien. Emma se sent dans l’incapacité de s’occuper de son fils. Vite excédée par la tyrannie de ce petit braillard à laquelle elle ne peut opposer que ses cris. Elle n’a eu d’autre choix que de s’en remettre totalement à Dunja. Et si c’était Dunja qui avait enlevé son fils ? Elle l’aime tant ce petit garçon.

Huit mois pour te perdre est  un roman à deux voix. Le portrait de deux mères sur fond de disparition. L’une, Emma, mère peu présente auprès de son fils, incapable de tisser un lien avec lui. L’autre, Dunja qui a perdu un fils, assassiné, et ne reconnaît plus le deuxième, Ratko, violent avec elle et qui file un mauvais coton. C’est l’amour maternel qui est disséqué dans ce livre, l’amour ou sa difficulté à exister et la culpabilité qui en résulte. Marie-Diane Meissirel nous dresse un portrait au scalpel, sans concession de ces deux mères, leur autocritique. Toutes les deux son attachantes mais de manières différentes. Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce livre qui m'a tenu en haleine de bout en bout . Huit mois pour te perdre est le troisième roman de Marie-Diane Meissirel. Nul doute que je me  procurerai les deux premiers très rapidement.


« C’est trop lourd, ce poids qui s’abat sur mes épaules. Je n’ai plus la force d’avancer, j’essaie de me replier sur la bande d’arrêt d’urgence. J’aimerais pouvoir pleurer. Comment en suis-je arrivée là ? Et si j’appelais Adam ? J’ai besoin que nous soyons deux pour retrouver notre enfant. Ma gorge se noue. Je sais pertinemment que c’est peine perdue. Je ne peux rien attendre de sa part. Il n’y a jamais eu de « notre » enfant, Bruno n’a toujours été que « mon » enfant et cela depuis le jour où j’ai annoncé à Adam que j’étais enceinte. Ce choix de garder mon bébé, je l’ai fait seule et je l’assume seule… Enfin c’est ce que je pensais avant de réaliser que j’en étais incapable. J’ai volontairement laissé la place à Dunja, elle remplit si bien mes vides de tendresse, de patience et de gaieté, et peut-être même d’amour. »

mercredi 29 juin 2016

Histoire d'un amour ou le roman de Pergaud



Histoire d’un amour ou le roman de Pergaud de Dominique Gros aux éditions Le vent qui passe


Suivant la plume de Dominique Gros, nous partons sur les traces d’un amour. Nous assistons à la naissance et aux scènes de la vie quotidienne d’un couple. Un couple comme les autres ? Oui et non. Ce couple c’est Delphine et Louis. Ce Louis, c’est Louis Pergaud, l’auteur de La guerre des boutons.

Au début du récit, Delphine est en Comté alors que Louis, ancien instituteur est parti à Paris. C’est l’endroit où il faut être quand on écrit. Louis est en instance de divorce et Delphine se languit de pouvoir le rejoindre. Enfin, elle part à Paris rejoindre son loup. Elle assiste comme elle peut son écrivain de mari, elle le soutient dans les moments difficiles, se réjouit avec lui de ses moindres succès. Elle s’efface derrière le destin de son homme mais tout cela lui convient.

Louis est un homme de la terre, de la campagne, de la Comté. À Paris, ses contes animaliers sont encensés par les uns mais décriés par l’intelligentsia parisienne. Mais Louis tient bon. Il veut être la voix de ce monde animal, la voix de la nature. Il n’est pas habitué à l’ambiance de cette coterie d’écrivains germanopratins. Il navigue entre deux eaux, conscient que rien ne peut se faire sans appuis mais il reste fidèle à lui-même refusant les compromissions.

« Oh ! L’année 1908 ! Merveilleuse année de notre amour si fort et si doux. Je suis là, mon Louis. Heureusement, car ses jours sont trop souvent difficiles. Quelques très bonnes critiques paraissent sur son livre : celles d’amis principalement. Louis en est heureux. Mais les journaux ? Les grands, ceux-là sont muets quant à son talent. Pourtant, il en a envoyé, des livres, à la presse. Il en a donné sans doute plus qu’il n’en a vendu. Mais qui va s’intéresser à un jeune Comtois désargenté, esseulé dans un Paris qui l’engloutit comme un vêtement trop grand. »

Le succès arrive. Louis Pergaud reçoit le prix Goncourt  pour son livre De Goupil à Margot. Cette reconnaissance les ravit, lui, Delphine et leurs amis mais génère la jalousie et la méchanceté de ses détracteurs. D’un caractère bien trempé et avec le soutien de Delphine Louis tient bon. La période des vaches maigres est terminée, la manne financière du prix leur permet de voire venir.

Quel bel amour que celui de Delphine et de Louis ! Un amour qui évolue au fil du récit. Au début effacée, Louis donne de plus en plus de place à une Delphine qui s’affirme. Tous les deux vivent pleinement le bonheur d’être ensemble. Les années s’écoulent entre les travaux de Louis et l’été passé à la Comté, véritable bouffée d’oxygène pour le couple. Mais 1914 arrive, les relations internationales se tendent. La guerre aura lieu. Louis est mobilisé.

Avec Histoire d’un amour, Dominique Gros redonne vie au couple de Delphine et Louis Pergaud. Il fait sien le personnage de Delphine, nous décrivant avec tendresse et poésie sa vie aux côtés de l’écrivain. Il nous le décrit, vu par les yeux de sa femme. Un auteur qui veut fuir le conformisme et qui en paie le prix. Elle semble effacée, Delphine mais elle est un soutien nécessaire et petit à petit prend de plus en plus de place dans sa vie d’auteur et d’homme. Au point que du front, il lui propose dans une lettre, de coécrire un livre.

Je vous recommande vivement ce récit superbement écrit sur la vie de Louis Pergaud, auteur connu principalement de nos jours pour La guerre des boutons mais dont l’œuvre est beaucoup plus riche que ce seul livre. Un livre passionnant, bouleversant.  Ce texte est porté par le style tout en finesse et en poésie de Dominique Gros. Un excellent moment de lecture.

« Alors, quand mon Loup se retire dans l’ombre, dans sa tanière, où il pense être seul à marmotter son inquiétude, ce n’est pas aux petits littérateurs insignifiants qui cherchent à le détruire qu’il pense.  Il se sait suffisamment fort pour leur résister. Les combattre. Vivre hors de leur fange. Non ! Ce à quoi il pense, c’est à nous. À ce drame qu’il voit venir. Et qui peut nous séparer. Il s’inquiète pour moi, davantage que pour lui. Il s’inquiète pour le monde. Comment est-ce possible que la paix de millions d’hommes soit compromise par les manœuvres malsaines de seulement quelques poignées de chefs ? Je pourrais dire que Louis est généreux. Mais s’il m’entendait, il donnerait des crocs. Le commun y a mis tant de faiblesse, dans cette qualité, qu’elle ne signifie plus grand chose. Mon Louis est un loup qui pense à la meute. Se soucier de l’autre est le seul vrai gage de sécurité personnelle. »


mardi 28 juin 2016

Souvenirs de lecture 40 : Tom Noti



Souvenirs de lecture 40 : Tom Noti




Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Tom Noti qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je le remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?

TN :J’ai toujours lu et écumé les bibliothèques vertes et roses. Je crois qu’à l’époque, je m’ennuyais beaucoup et la lecture est hélas, souvent une résultante de l’ennui chez les enfants. Un début en tout cas.  Il faut donc sûrement laisser les enfants s’ennuyer davantage ! Mais bon, c’est là un autre débat ! 
Mon premier grand choc de petit lecteur fut d’ampleur avec « L’appel de la forêt » de Jack London et surtout « Michel Strogoff » de Jules Verne. Le souffle épique de l’aventure ! Les grands espaces entre mes mains, insufflés dans ma tête et dans mon cœur, d’enfant.  Puis ce fut « Frankenstein » de Mary Shelley et la peur suscitée par de simples mots, au point de déposer le livre sur la table de chevet, en retenant son souffle.  Mon père lisait aussi très souvent en rentrant de son boulot harassant, dur. La lecture était comme un sas entre ce travail qu’il n’aimait pas et sa vie de famille. Je plongeais derrière lui, dans les récits délicats de Bernard Clavel. Plus tard, je lui piquais aussi les San Antonio de Frédéric Dard et les dévorais en cachette car ils m’étaient interdits. « L’étranger » de Camus, incontournable pour ceux qui se sentent un peu différents, souvent en décalage avec les autres.  « J’irai cracher sur vos tombes », de Vian, une échelle à la rébellion adolescente.  « Le soleil des Scorta » de Laurent Gaudé pour l’acceptation d’une vie qui n’est pas celle que l’on avait imaginée et des phrases gravées en moi, pour toujours. Et puis, un livre d’enfance m’est aussi resté en mémoire, « Retour à Malaveil » de Claude Courchay. Il s’agit d’un drame dans un petit village de Provence. Ce livre m’avait fortement marqué par sa construction.  Je crois que j’ai porté en moi, cette approche de l’intrigue jusqu’à finir par m’en inspirer pour mon prochain roman à paraître.
J’ai lu que, dans vos précédents « souvenirs de lecture », Martial Victorain citait certains auteurs de chansons françaises. Je le rejoins complétement dans l’admiration que j’ai pour eux et le talent de marier les notes aux mots afin d’amplifier une émotion. J’avoue un faible particulier pour Alain Souchon qui peut asséner d’un seul mot, traduire une idée, comme la plus douce des sentences. Pour moi, il reste un modèle de concision mais aussi de révolte élégante et faussement naïve. Il est mon Che Guevara émotionnel.


LLH : En quoi ces livres ont-ils eu une influence sur votre désir d'écrire ?


TN : Je n’arrive pas à dire en quoi toutes ces lectures ont influencé mon désir d’écrire. Je crois même que cela me bloque même totalement d’imaginer un quelconque lien, une quelconque filiation.  Je n’imagine même pas une quelconque influence de ces auteurs, un rapprochement de leurs styles inaccessibles pour lesquels j’ai un grand et sincère respect. Sinon, comment oser écrire ? Je sais juste que leurs livres ont bouleversé ma vie, qu’ils ont secoué mon être et m’ont empli de sentiments merveilleux à travers leurs mots. Le désir d’écrire, lui, il est en moi. Il l’a toujours été. Mais qu’est-ce que j’ai mis du temps à me l’avouer ! Du temps pour l’accepter, le dompter. Certes, j’étais celui à qui l’on demandait d’écrire un discours, une chanson d’anniversaire, un texte pour le spectacle de fin d’année, une présentation, un hommage posthume et j’aimais faire cela. Mais voilà, restait enfoui, caché, le verbe ECRIRE, en majuscule. Puis, un jour, alors qu’à table nous exhortions nos fils à vivre comme si aucun rêve n’était impossible, notre petit dernier, m’a demandé : « et toi papa, ton grand rêve, c’était quoi ? » Là, j’ai bien dû avouer que mon grand rêve à moi, c’était d’écrire des romans. C’est sorti là, comme cela, sans prévenir, entre les épinards et le dessert. Mon fils m’avait accouché de mon rêve et à son tour, il m’a exhorté : « alors, si tu nous dis de le faire, pourquoi tu ne le fais pas, toi ? »
Les mots, je les avais en moi depuis si longtemps, comme des gens qui prennent des photos, moi j’avais des instantanés de phrases, des boites à biscuits d’émotions !! Mon fils avait trouvé où se cachait ma lumière, la source, un petit Jean de Florette vainqueur. J’ai écrit mon premier roman. Désormais, j’ai l’impression que je pourrais écrire tout le temps. Ce temps qui me fait défaut. C’est sans doute aussi cela qui provoque le désir. Imaginer les trames à venir comme on gravit un escalier, attendre et attendre de retrouver mes personnages et de leur faire vivre la suite de leur destinées… à travers des mots, les miens. C’est un sentiment merveilleux. 


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de cœur ?

TN : Tout le monde autour de moi, me promet que je vais adorer « Retour à Bojangles » aussi je le garde pour mes prochaines vacances afin de l’apprécier pleinement.
En général, je suis fasciné par les auteurs de polars. Je me dis qu’avec les 26 lettres de l’alphabet, et depuis le temps que nous assistons à des retournements et rebondissements narratifs dans tous les sens, tout aurait dû être bouclé depuis si longtemps ! Mais non, certains ont un tel talent qu’ils arrivent encore à nous surprendre, nous tenir en haleine. Alors « Vendetta » de R J Ellory et sa structure implacable, « Betty » de A.  Indridason et son coup de tonnerre imprévisible, « Les nymphéas noirs » de Michel Bussi et sa géniale entourloupe. Et puis j’aime que les images et les atmosphères qui émanent des romans m’imprègnent durablement, toujours Ellory avec « Seul le silence » que j’ai offert à tous les gens que j’aime. « Un roi sans divertissement » de Giono, d’une modernité incroyable et surtout dont l’action se déroule dans le Trièves, tout près de chez moi. « La nuit de l’oracle » de P Auster que mon éditeur m’a envoyé, avec ses histoires mises en abîmes. J’ai aussi un faible pour les crochets de dentellière du langage délicat et acéré d’Amélie Nothomb dans « L’hygiène de l’assassin ».  La claque émotionnelle de Martine Magnin dans « mensonges et faux-semblants» où l’impressionnisme vire au déchirement. 
Enfin, l’humour m’est nécessaire. L’humour italien large et rayonnant comme des bras avant d’étreindre, Andrea Camillieri « La concession du téléphone ». L’humour british et les atmosphères désabusées de David Lodge « Ma vie en sourdine » ou Nick Hornby « Vous descendez, Haute-fidélité… ».
Un cran au-dessus dans la dinguerie, l’inénarrable Tom Sharpe et sa série des « Wilt » à se tordre de rire.
Et un modèle hors catégorie Nadine Monfils toute de loufoque belgitude drapée. Toutefois, au-dessus de toute cette crème d’auteurs, John Fante pour lequel j’ai un amour infini. Beaucoup diront qu’il a creusé un sillon, raconté souvent la même histoire. Sans doute. Une histoire d’italiens immigrés aux US, les mains salies, les cœurs meurtris, la misère humaine et affective. C’est brutal, rude et onirique parfois. Mais son écriture me touche direct au plexus. Et puis, son OVNI : « Mon chien stupide », que lui aussi, j’ai beaucoup offert.

Biographie




Deuxième et petit dernier d’une famille d’ouvriers. Mon père travaillait dans une usine et ma mère était femme de ménage dans une école maternelle. Italiens, grenoblois (cela semble presque un pléonasme). J’ai baigné dans la culture du football et des repas familiaux à n’en plus finir. L’ennui vient peut-être aussi de là.  L’ennui et la rébellion. Je n’aime pas le foot (tombé dans la marmite, comme Obélix), je suis devenu basketteur (et je revendique haut et fort que c’est le plus beau sport du monde), je suis aussi devenu lecteur (comme mon père) et surtout solitaire. Pour nos parents, les études étaient importantes. Eux n’avaient pas pu. Mon frère accède à l’Everest familial et devient professeur. C’est un exemple de curiosité, de culture, de précision et de volontarisme. Il a les pieds sur terre et m’a montré comment ne pas se résigner. Il vit dans le nord. Moi, je n’ai pas sa rigueur. Je suis dilettante, trop émotif, désorganisé, dans la lune, toujours à l’ouest. Je deviens instituteur et reste à Grenoble.  J’aime cette ville où je vis toujours.  J’aime les montagnes autour, accessibles et salvatrices. J’aime les gens qui paraissent peut-être froids, qui ont un cœur gros comme ça mais ne le montrent pas toujours.  Cette distance affective me touche encore plus quand les barrières tombent. Plus jeune, la mère d’une amie m’avait prédit que j’écrirais un jour. Elle n’est plus là pour le voir, comme bon nombre de gens que j’aime, mais il y a une trace de chacun d’eux, dans chacun de mes romans et de leur étincelle dans chacun de mes personnages.  La lumière de tous ces gens que j’aime, et ils sont nombreux, pour écrire encore et encore.

Encore un grand merci à Tom Noti pour son temps et sa gentillesse. Le roman de Tom, Épitaphes, a été chroniqué sur le blog, voici le lien vers la chronique : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2016/06/epitaphes.html