samedi 31 janvier 2015

Esprit d'hiver



Esprit d'hiver de Laura Kasischke aux éditions Livre de poche



     C'est le matin de Noël et Holly, comme chaque année a beaucoup de choses à préparer. La famille et les amis vont arriver. Pourtant, bizarrement, elle se lève tard. Bizarrement, Tatiana n'est pas venue les secouer comme chaque année, impatiente d'ouvrir ses cadeaux. Quand elle s'est levée un peu plus tôt, sa fille dormait paisiblement, mais pourquoi Holly s'est-elle recouchée. Son mari, lui, part de mauvaise humeur chercher ses parents à l'aéroport. Holly ne se lève pas dans les meilleures dispositions, un sentiment de malaise l'oppresse.

      "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux."

     Holly a besoin d'écrire cette phrase, de poser des mots sur ce qu'elle ressent pour comprendre, mais ce matin elle n'a pas le temps.  Cette phrase la hante. Tatiana n'est pas leur fille biologique. Très jeune Holly a dû subir une ablation des seins et des ovaires pour ne pas mourir de la même maladie que sa mère et sa soeur. Quand le désir d'enfant s'est fait ressentir, le couple a décidé de se rapprocher d'un orphelinat sibérien pour adopter. Tout en essayant d'activer les préparatifs, Holly se souvient de toutes les étapes de leur vie avec Tatiana, de leur première visite à l'orphelinat, de comment ils ont eu le coup de foudre pour cette enfant de dix-neuf mois aux si grands yeux.


    "Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux."


    Treize ans qu'ils vivent ensemble. Aujourd'hui Tatiana a quinze ans et elle n'est pas comme d'habitude. Alors que sa mère se débat avec les préparatifs, lui demandant son aide, Tatiana ne cherche que l'affrontement. Comme si Holly avait besoin de ça. Elle se sent déjà assez angoissé et n'a toujours pas le temps d'aller écrire cette phrase qui la mine, de l'écrire pour savoir, pour comprendre cette terreur sourde qui l'étreint. Et dehors le blizzard fait rage, s'intensifie. Non ce Noël ne sera pas comme les autres.


    Esprit d'hiver est une roman angoissant, asphyxiant, on ressent cette atmosphère étouffante générée par l'angoisse de Holly presque physiquement. Cette impression à l'intérieur de ce huis clos est encore renforcée par cette neige à l'extérieur qui recouvre tout, qui bloque tout. Une couche de neige qui bloque les issues. On sent l'horreur psychologique monter, on sait qu'on ne pourra y échapper. Un roman qui distille l'angoisse avec précision, par petites touches, faisant monter ce sentiment d'étouffement petit à petit. Laura Kasischke est une pointilliste de l'angoisse. Un thriller psychologique d'une efficacité redoutable qui continue de nous hanter une fois la dernière page refermée.

   "C'était là maintenant, dans cette pièce avec elles, et c'était terrifiant, oui mais il n'était plus question de terreur. La terreur, c'était la lente approche du chat blessé, traînant ses pattes arrière en traversant la cour. La terreur c'était le silence, après avoir entendu sa mère gémir derrière une porte close. Il y avait de la terreur dans ce silence car il restait encore une chance de refuser les faits."


vendredi 30 janvier 2015

Souvenirs de lecture 1 Delphine Bertholon




Souvenirs de lecture 1 : Delphine Bertholon


    Dans cette nouvelle rubrique je vais demander à des auteurs de nous parler de  leurs souvenirs de lecture le plus marquant. Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Delphine Bertholon a gentiment accepté d'ouvrir le bal et d'être la marraine de cette rubrique. Je l'en remercie chaleureusement.



LLH : Quel livre lu dans ton adolescence t'a le plus marqué et pourquoi?

DB : Il s'agit plutôt d'un livre de pré-adolescence - de mon premier roman non estampillé "jeunesse". Je venais d'entrer en sixième, je découvrais le CDI et, au détour d'un rayonnage, dénichai E=mc2 mon Amour (Claude Klotz, publiant sous le nom de Patrick Cauvin, 1977). J'avais été, j'imagine attirée par la couverture du livre de poche, qui figurait le baiser de deux adolescents ; puis définitivement ferrée par la quatrième : deux enfants de onze ans (comme moi, donc) - atypiques, surdoués, incompris des adultes - allaient vivre, me disait-on, une grande histoire d'amour...

        Embarquée dès les premières lignes.

        J'étais une fillette plutôt sage, bonne élève, disciplinée (bien qu'un peu bavarde tout de même, dixit mes bulletins scolaires). Sans doute cette folle passion romanesque - la fugue jusqu'à Venise de ces amants rebelles, inconséquents et sublimes  - m'avait-elle fait rêver de liberté. Au contact de Daniel et Lauren, je m'encanaillais sans prendre de risques. Gamine, je l'ai lu un nombre incalculable de fois. Peu après sa découverte, mes parents m'ont emmenée au Salon du Livre de Saint-Etienne où Cauvin/Klotz était en dédicace. Ils m'ont bien sûr offert ce roman dont je parlais sans cesse. L'auteur me l'a signé, j'en tremblais ; je n'ai, je crois, rien osé lui dire. L'exemplaire jauni est toujours en bonne place dans ma bibliothèque, matérialisant l'un de mes plus beaux souvenirs d'enfance (je viens de voir que ma mère, adorable, avait noté en page de garde la date de cette fameuse dédicace. C'était le 23 octobre 1988).


LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur ton désir d'écrire?

DB : Je rédigeais déjà des petites nouvelles, poèmes et autres contes improbables. Mais j'ai lu E=mc2, mon Amour et pour la première fois, le désir d'écrire est devenu conscient - pour ne pas dire viscéral. Moi aussi, je voulais transmettre des émotions, être libre dans l'imaginaire, comme Patrick Cauvin, comme les héros qu'il mettait en scène. Bien sûr, à ce moment là, je ne me suis pas dit "Quand je serai grande, je serai écrivain" mais l'envie s'est ancrée, d'une manière que je n'imaginais pas si définitive.. J'ai découvert une langue vivante, inventive, truculente, souvent très drôle - loin des classiques lus pour l'école ou des textes simples et assez formatés comme l'étaient souvent à l'époque les romans jeunesse. Découvert aussi une structure qui, je m'en rends compte aujourd'hui, a sans doute influencé mon parcours d'auteur : la forme polyphonique et le travail de "voix" foncièrement différentes, d'un point de vue stylistique, selon les personnages. Près de vingt ans plus tard, j'ai relu le roman lorsque j'écrivais Twist, car Madison, la petite héroïne, le cite comme l'un de ses livres favoris (les chiens ne font pas des chats). Pour la quatrième de couverture à l'époque, François Nourissier notait : "(...) toutes les qualités de fraîcheur, de légèreté, d'invention qu'il faut pour faire l'enfant sans faire la bête." C'était justement le problème que je rencontrais avec le personnage de Madison : créer une langue d'enfant qui soit à la fois crédible et littéraire. Chose que, bien sûr (mais je le lus beaucoup plus tard), avait brillamment réussi Salinger avec L'attrape-coeurs...

       Cerise sur le gâteau, quand Twist a été publié, j'ai appris que E=mc2, mon Amour avait à l'origine été édité par... Jean-Claude Lattès. Et chaque fois que je vais, en tant qu'écrivain, au salon du livre de Saint-Etienne, j'ai une grande bouffée de nostalgie. Donc ce roman fait vraiment partie, à n'en point douter, de mon histoire. Je suis triste que son auteur nous ait quittés avant que j'ai osé l'embrasser.


LLH : Quelles sont tes dernières lectures coups de coeur?

DB : L'écrivain national, Serge Joncour (rentrée de septembre 2014, France Flammarion) Au delà du sujet qui m'a évidemment interpellée (un écrivain fragile et peu sûr de lui se retrouve prisonnier d'une résidence d'auteur  dans un bled paumé), le roman a un côté "polar bucolique" qui force à tourner les pages. Pour finalement, livrer une histoire pleine de drôlerie, mais d'une très grande humanité. Je l'ai lu en vingt-quatre heures et j'ai failli pleurer à la fin. Pour les deux points, ça m'arrive rarement. J'ai donc été ravie, il y a quelques jours, de voir ce roman merveilleux obtenir le prix des Deux Magots.

       L'ours est un écrivain comme les autres, William Kotzwinkle (rentrée de septembre 2014, USA, Cambourakis)  Le pitch est improbable : en bref, un écrivain oublie le texte de son roman dans une forêt ; le roman est ramassé par un ours qui, par un concours de circonstances, se retrouve édité par une grande maison new-yorkaise, avant de devenir une superstar - le "nouvel Hemingway", carrément (le côté sauvage, quoi). En forme de parabole, une fable extrêmement drôle et très absurde sur les affres de la création et les pièges de la célébrité, pleine de quiproquos et de dialogues de sourds à hurler de rire. Sérieusement réjouissant... L'auteur étant un fan de Richard Brautigan, en même temps, il ne pouvait pas être foncièrement mauvais! En plus, le livre - l'objet livre - est vraiment beau. A l'ère du numérique, c'est cool aussi.

       Esprit d'hiver de Laura Kasischke (Christian Bourgeois à l'origine, au Livre de poche depuis peu , USA)  J'ai découvert Kasischke assez récemment, à force que les libraires m'en parlent, m'indiquant une parenté entre nos univers. Du coup, j'ai commencé... et depuis je lis tout (et digère tant bien que mal l'incroyable compliment!) Mais de l'auteur, ce roman-là m'a particulièrement emballée. Huis-clos paranoïaque, hypersensible et brillant, il faut l'avaler d'une traite, sans reprendre son souffle ; c'est comme ça qu'il fonctionne - à mon avis - le mieux. En apnée.

En bonus (rentrée de janvier 2015) : Entre toutes les femmes, Erwan Larher, Plon
                                                          Pardonnable, impardonnable, Valérie Tong-Cuong, Lattès




 Biographie : Delphine Bertholon (1976) naît et grandit à Lyon, à deux pas de la maison des Frères Lumière. Dès qu'elle sait lire, elle engloutit les 49 volumes de Fantômette, addiction qui rend les courses au Monoprix on ne peut plus excitantes. Dès qu'elle sait écrire, elle entreprend la rédaction de nouvelles, métissage improbable entre Star Wars et La Petite Maison dans la Prairie.
      Au collège, elle hérite d'une machine à écrire : l'affaire devient sérieuse et son père, moqueur, lui promet un collier en diamants si elle passe un jour sur le plateau d'Apostrophe.
       A dix-huit ans, elle entre en hypokhâgne, découvre Henri Michaux, se prend d'amour pour la littérature américaine avec Bret Easton Ellis, tombe dans Twin Peaks, la série de David Lynch. Elle pousse l'effort jusqu'à la khâgne puis trop dilettante pour intégrer Normale, termine ses licence/maîtrise à Lyon III . Abandonnant finalement l'idée d'enseigner, elle monte à Paris rejoindre des amis, partis tenter leur chance comme réalisateurs. A leurs côtés, elle devient scénariste, tout en poursuivant son travail littéraire. Après moult petits boulots alimentaires et nombre de textes refusés, elle intègre finalement en 2007 la maison Lattès avec Cabine Commune, son premier roman. Ont suivi  Twist, L'effet Larsen, Grâce, Le soleil à mes pieds, et en février 2015, Les corps inutiles.



Encore un immense merci à Delphine Bertholon pour sa gentillesse et disponibilité, Tous les romans de Delphine Bertholon ayant fait l'objet d'une chronique sur le blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré permettant en cliquant dessus l'accès à la chronique correspondante.


jeudi 29 janvier 2015

Vera



Vera de Jean-Pierre Orban aux éditions Mercure de France




    Vera est fille d'immigrés italiens. Elle est arrivée en Angleterre avec ses parents alors qu'elle était toute petite. Ses parents étaient venus là à la recherche d'un travail pour assurer une vie meilleure à leur fille. Ils s'installent dans le quartier de Little Italy à Londres. Un quartier qui comme son nom l'indique est habité à majorité par des immigrés italiens. Augusto, le père,  personnage insignifiant, est docker dans un port de la Tamise. Ada, elle,  gère tant bien que mal une sorte d'épicerie bazar. L'essentiel pour eux est de ne pas se faire remarquer, de se fondre dans la masse. A la maison on ne parle pas italien, pas celui des livres en tout cas, les deux parents parlent deux patois différents, et leur fille communique avec eux dans ces deux langues et en anglais.


    Vera est approchée par Nunzia Chiegi, femme proche de l'Ambassade italienne, qui va la persuader de suivre des cours du soir d'italien. Mais cette école où elle se rend quelques soirs par semaine prodigue des cours à la gloire du régime fasciste de Mussolini. Vera va succomber aux sirènes de cette Italie forte, rassurante pour elle qui ne sait pas qui elle est. Elle n'est pas anglaise, son passeport et son apparence sont italiens, mais elle ne sent pas italienne non plus. Elle n'a jamais vécu dans son pays d'origine. Petit à petit elle va gravir les échelons dans ces jeunesses italiennes, jusqu'à ce voyage de groupe en Italie où elle aura l'insigne honneur de remettre un bouquet au Duce lui-même de la part de la communauté anglaise. Ce voyage va amplifier son détachement de ses parents, elle va les considérer comme des étrangers.


   Churchill ayant décrété au début de la guerre que tous les ressortissants des pays étrangers ayant déclaré la guerre au Royaume Uni étaient des dangers potentiels, de grandes rafles furent organisées. Augusto fut arrêté puis conduit par bateau vers une destination inconnue. Augusto ne revint jamais, le bateau ayant été coulé par un sous-marin allemand. Jamais la famille ne récupèrera le corps. Nous retrouvons Vera à Soho où elle va travailler dans un restaurant "français", elle va se lier d'amitié avec une juif apatride amoureux de la culture française qui va l'initier à la langue et à la culture françaises par le dialogue et par les livres. Sa quête d'identité déçue par le fascisme mussolinien va se tourner vers la France par la découverte de sa langue.

    Vera est un premier roman magistral. Poignant, il nous parle d'un fait méconnu de la deuxième guerre mondiale, ces rafles d'immigrants ordonnées par Churchill. Ce roman pose le problème de l'identité, de l'appartenance, des racines. Les deux personnages principaux Vera et Ada sont particulièrement saisissants. Vera est en quête d'elle-même, de qui elle est vraiment. Est-elle définie par son pays d'origine dont elle n'a aucun souvenir et qu'elle fantasme au début du roman au travers du prisme de l'idéologie fasciste? Est-elle définie par un pays d'accueil qui la méprise du fait de son physique typé? Va-t-elle réussir à se trouver grâce à son goût pour la langue française et pour sa culture?  Ada, elle, réagit différemment, elle va peu à  peu se murer dans le silence. Elle regrette d'avoir quitté son  pays et surtout ses enfants morts. Elle va errer dans les cimetières, communiquer avec les morts qui tous appartiennent au genre humain pour se rapprocher de ses chers disparus. Dans ce roman Jean-Piere Orban  nous montre l'importance de la langue comme vecteur d'identité. Dans la famille de Vera personne ne parle réellement la même langue on  se comprend, mais il n'y a pas une langue commune. Les membres de la famille vivent les uns à côté des autres, ils ne sont pas unis par le langage.


  Vera est un roman fort, riche, merveilleusement écrit, un roman poignant, sur l'identité, la difficulté à s'intégrer. Un roman qui a reçu en 2014 le prix du premier roman. Un livre marquant.



lundi 26 janvier 2015

Le roi des rêves Louis II de Bavière

A



Le roi des rêves Louis II de Bavière de Isaure de Saint Pierre aux éditions Albin Michel





      Tour à tour adulé, puis décrié, Louis II de Bavière, personnage romantique s'il en est, a marqué de son empreinte le XIXème siècle européen. Isaure de Saint Pierre nous décrit dans cette biographie un personnage attachant bien que fantasque et excessif.


      Baigné dès sa plus tendre enfance dans les légendes germaniques, Louis est un jeune homme profondément attaché à la culture allemande. Très tôt il développe une passion pour la musique de Richard Wagner. Une de ces premières actions en tant que roi est de faire rechercher ce musicien errant, fuyant ses créanciers. Une très forte amitié (amour platonique pour le roi et amitié sincère mais intéressée pour le compositeur) va se nouer entre les deux hommes. Ces deux-là se ressemblent par leurs excès et par leur intransigeance. Louis II n'aura de cesse de faire accepter la musique de son protégé,  fermant les yeux sur ces dépenses faramineuses. Une profonde amitié qui malgré les désaccords durera jusqu'à la mort du compositeur.


    Louis II n'est pas seulement ce roi excessif admirateur des arts et mécène passionné. Ce roi malgré lui fut très proche de son peuple, qui l'aimait profondément. Défenseur de la paix et favorable à l'unité allemande tant que l'indépendance de la Bavière n'était pas remise en cause, c'est la mort dans l'âme qu'il engagea son royaume au côté de la Prusse dans la guerre contre la France en 1870.


     Cette biographie de Louis II de Bavière, émaillée d'extraits de sa correspondance avec Wagner et sa bien aimée cousine Sissi dont il partageait le peu de goût pour la fonction de monarque, nous montre un personnage torturé. Torturé entre son homosexualité et sa ferveur religieuse, entre son amour du peuple et son désir de laisser une trace en bâtissant des châteaux plus coûteux les uns que les autres qui mettront le royaume au bord de la ruine. Torturé entre la haute idée qu'il avait de sa fonction et son peu de goût qu'il avait pour l 'exercer. Une biographie passionnante qui se lit comme un roman tant la personnalité de ce roi est riche et contrastée.


Date de parution prévue le 04/02/2015



dimanche 25 janvier 2015

Résultats du concours Le Noël des bloggers 2014






Résultats du concours le Noël des bloggers 2014








Voila, les jeux sont fait ...

Nous avons procédé aux tirages au sort.

Mais avant tout chose, nous souhaitons remercier les participants d'avoir joué le jeu. Nous espérerons que vous avez par la même occasion découvert différents univers, de nouveaux auteurs et des blogs dans lesquels vous aurez plaisir à revenir flâner.

Donc sans plus attendre voici les heureux gagnants et tout cela en image :

Lot n°1 : un roman " la méthode Schopenhauer" d'Irvin Yalom : Christine P.



Lot n° 2 : Lot Saules aveugles, femme endormie" de Haruki Murakami et "13 à table" : Nat S.



Lot n°3 : un roman "Un hiver avec Baudelaire" de Harold Cobert en grand format : Samantha L.



Lot n°4 : un roman "Irradié" Collectif des auteurs du noir : Cheyenne Tala

Lot n°5 : un roman au choix : "Une disparition inquiétante Dror Mishani" OU "Les Origines de l'amour" de Kishwar Desai : Maryline M.


 

Lot n°6 : un roman "le magasin des suicides" de Jean Teulé : Doty1980


Lot n°7 : un lot " Tapis rouge" de James Patterson & Marshall Karp et "Le dernier déluge" de David Emton : Systia





Lot n°8 : un roman "Avant d aller Dormir" de Watson, Éd Sonatine. : Pierre M.



Vous allez tous recevoir un mail afin de récupérer vos coordonnées.

samedi 24 janvier 2015

Les insurrections singulières




Les insurrections singulières de Jeanne Benameur aux éditions Actes Sud



 Antoine a la quarantaine et il revient vivre chez ses parents. Karima, sa compagne l'a mis à la porte,  l'usine dans laquelle il travaille est au bord de la fermeture. Antoine est perdu dans sa vie. Il l'a toujours été. Il a toujours trouvé la vie de ses parents trop étriquée pour lui. Une vie se résumant à un travail harassant pour son père à l'usine et la gestion de la maison pour sa mère. Une petite vie à l'image des maquettes que son père fabrique lors de son  temps libre

   "Les maquettes, c'était le monde en miniature, un monde qui tenait dans le creux d'une main. Réduit. Moi, le monde, je le voulais grand. Pas réduit.
     Et ma respiration se cognait contre les bords."


 Depuis qu'il est tout enfant, Antoine a ce désir d'ailleurs, d'autre chose, un désir non articulé qui se manifeste par la rage. La rage contre l'usine qui détruit son père, la rage contre ses parents qui ne cherchent pas à se sortir de leur petite vie, la rage contre son incapacité à communiquer avec Karima. il n'arrive à se fixer sur rien. Il entreprend des études dans divers domaines qui ne mènent à rien, il lâche en cours de route. Ce qui le passionne ce sont les mots et les pierres. Il aurait aimé être architecte mais ne s'en est jamais donné les moyens. Comme avec les mots qu'Antoine n'arrive pas à articuler entre eux avec Karima, il n'arrive pas à articuler ses désirs, ses projets. Les seules occasions où il trouve les mots, c'est en groupe à l'usine, ce sont des mots engendrés par sa rage, des mots violents à l'égard des actionnaire qui veut délocaliser la production au Brésil.

Un dimanche matin Antoine accompagne sa mère sur le  marché où elle tient un étal de mercerie pour arrondir les fins de mois. Il y fait la connaissance de Marcel, ami et voisin de ses parents, qui vend des livres sur les marchés. Avec Marcel, il va découvrir les livres, ces livres qui vont l'attirer dans ce joyeux désordre qu'est la maison de Marcel. L'homme va le prendre sous son aile, l'aider à poser des mots sur ses maux, l'aider à oublier sa rage, à articuler ses désirs. Ils vont partir tous les deux pour le Brésil sur les lieux-mêmes ou les emplois vont être délocalisés. Un voyage à la découverte des autres, à la découverte de lui-même, un voyage renaissance.

Les insurrections singulières sur fond de délocalisation et de tensions dans le monde du travail est un roman sur la révolution personnelle. Un roman sur la recherche des mots à poser sur ses maux, sur l'exploration de ce qu'il y a de plus obscur en nous, pour en faire jaillir la lumière, sur la nécessité de ce voyage intérieur pour vivre sa vie, et non celle qui nous est imposée par les événements ou le milieu social. Un roman fort, bouleversant, plein d'espoir porté par la plume exceptionnelle de Jeanne Benameur. Un style plein de rythme, de souffle, d'émotion, de sincérité. Un livre qui m'a secoué profondément, un gros coup de coeur et la découverte d'une auteure dont je vais rapidement lire les autres romans.

  "Dans les toilettes du bar, je pleure comme un môme.
    De tout.
    De ce monde où je ne peux serrer dans mes bras une femme qui n'est pas morte et que j'aime toujours.
    De ce monde où un vieux types aux cheveux blancs va lire sur une tombe de banlieue des pages et des pages depuis des années.
    De ce monde où je suis en RTT forcées et où je n'ai plus envie d''aller me battre contre des moulins.
    De ce monde où Franck et tant d'autres ne savent plus que dire à leurs mômes pour tracer une route de vie.
     De ce monde que mes parents vont quitter un jour aussi humblement qu'ils l'ont habité.
     Je pleure."

   "Tu vois, moi j'ai des passions, les livres, ça me sauve... je traverse mes temps morts avec des gens qui ont oeuvré pour ça, ceux qui ont écrit... je les aime et je leur suis infiniment reconnaissant du temps passé devant leur table... ils m'aident à traverser. Et qu'eux soient morts ou vivants, ça n'a plus aucune importance. J'ai le livre en main et c'est du carburant pour ma vie à moi. C'est pour ça que j'en fais le commerce, je ne connais pas de meilleur commerce."

   "Aujourd'hui je sais  que les zones obscures sont des zones pleines et que les mots, les vrais, c'était là qu'ils étaient à attendre."




vendredi 23 janvier 2015

Les tremblements essentiels




Les tremblements essentiels de Viktor Lazlo aux éditions Albin Michel




  Alma Sol, ex-star de la chanson a disparu. Comme personne de son entourage ne la recherche, aucune enquête de police n'est ouverte. Tour à tour trois personnages vont venir nous raconter leurs relations avec elle, comment chacun à leur façon, ils l'ont aimée, nous apportant un éclairage sur cette personnalité qui a brûlé sa vie aux feux de la rampe.


   Aurèle est l'ami d'enfance d'Alma, l'amoureux transi, c'est lui qui va partir à la recherche d'Alma, celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer. Dès l'enfance il n'a cessé d'être attiré par cette fille venue des caraïbes, fille d'une luxembourgeoise ayant eu son quart d'heure de gloire dans la chanson et d'un coureur cycliste sanantonien. Pendant toute son enfance Aurèle est resté proche d'elle, malgré les moqueries car Alma ne parlait pas français. Ils vont être proches jusqu'à l'âge de dix-sept ans, quand Alma sera découverte et sélectionnée pour représenter la France à l'Eurovision. Ces deux-là ne vont cesser de se perdre de vue et de se retrouver.

   "Je ne l'avais pas perdue de vue depuis le temps. Je ramassais tout ce que je pouvais collecter sur elle. Pas comme un fanatique misérable amoureux d'un rêve, non , plutôt ou essayer de comprendre ce qui m'était arrivé à moi, de récupérer le fil de mon existence, comme dans un jeu de piste, pour que mes questions trouvent enfin des réponses. A travers sa vie, c'est la mienne que j'essayais de reconquérir. Je suis ce qu'on veut, un idiot, ou un lâche, sûrement pas la victime d'un fantasme entretenu par le mythe de ce qu'elle est devenue. Je suis ce que l'amour à fait de moi."


   Le couple Diane et Damien Montagne ont tour à tour été les amis et les amants de la star. Alma représentait pour l'un un trophée de choix à son tableau de chasse, pour l'autre une révélation de la sensualité une révélation de son propre corps. Tous deux, chacun pour des raisons différentes ne sont pas pressées qu'on retrouve la trace de la chanteuse.


   A travers leurs témoignages, les trois narrateurs nous décrivent un personnage détruit par son statut, par le succès et l'exposition qu'elle n'avait jamais désirés.  Le portrait poignant d'une femme qui n'aspirait qu'à la paix, d'une femme qui a perdu son identité. Un roman passionnant, poignant, porté par la style plein d'émotion et de poésie de l'auteure et sûrement par son expérience personnelle.


  "Il faut que je respire, que je reprenne mon souffle. Chaque fois que je repense à cette époque, alors qu'il me semble l'avoir vécue sans pathos, dans une grande clairvoyance, les souvenirs me submergent et m'évincent, j'aimerais être une enfant, toute petite, oublieuse. Les enfants n'ont pas de mémoire. La mémoire leur vient avec la conscience de leurs actes. Je sais cela, le début de ma vie coïncide avec celui de mes choix."


Roman à paraître le 5 février 2015

 

 


mercredi 21 janvier 2015

Les corps inutiles



Les corps inutiles de Delphine Bertholon aux éditions JC Lattès




Quinze ans

   Clémence, jeune fille couvée par ses parents a pour une fois l'occasion de sortir. Ella a l'autorisation d'aller fêter le début des grandes vacances chez une copine.  Sur le chemin, à deux pas de chez elle, elle est victime d'une tentative de viol qu'elle réussit a déjouer par son sang-froid. Elle se rend malgré tout à la fête retrouver ses amis mais elle est en état de choc. Pour elle c'est la mort de l'enfance, le début de la peur, la mise de côté du corps, ce corps qui suite à l'agression va perdre petit à petit toute sa sensibilité.

   "Clémence voyait les mains de Virgile s'agiter sous l'étoffe, mais les sentait à peine. Les caresses étaient une brise, un léger frôlement. Sa peau semblait anesthésiée, retournée de l'intérieur comme un gant de cuir doublé de velours, de satin, un tissu fluide et lourd sur lequel tout glisse."

   Clémence sait que si elle veut continuer à vivre, à avoir un minimum de liberté elle ne peut parler de l'agression à ses parents alors elle va se murer dans le silence, faire comme si tout allait bien. Parler pour elle :

    "Ce serait à tout jamais fillette, protégée en serre, telle une fleur fragile en voie d'extinction. A tout jamais victime, à tout jamais coupable, à tout jamais salie. Qu'elle avoue le malheur (qu'elle essaie donc!) et elle serait punie pour un crime qui n'était pas le sien."

  Clémence va devoir vivre avec son traumatisme,  vivre avec ce corps qui ne sent plus rien, prendre des mesures pour avancer, pour se protéger à sa manière.


Trente ans

  Clémence travaille à la Clinique. La Clinique contrairement à ce qu'indique ce nom, n'est pas un établissement médical. C'est une usine particulière qui fabrique des poupées à tailles humaines, des poupées censées satisfaire les hommes seuls, les aider à mieux vivre leur solitude. Clémence, maquilleuse professionnelle, leur donne leur aspect final. D'une certaine façon elle se sent proche de ces poupées qu'elle appelle les filles.

   "Mais en réalité je ne pouvais me mettre qu'à la place des filles. Néanmoins, elles différaient de moi : elles ne sentaient rien, certes, mais n'espéraient rien non plus, aucun miracle, aucun 29. Ce qui nous différenciait plus que tout autre chose était l'espoir."

  Clémence à trente ans est toujours hantée par l'agression, par son traumatisme. Son corps ne ressent toujours rien. Elle vit seule. Tous les 29 du mois, date anniversaire de son agression, elle revêt sa tenue de combat et part en chasse pour séduire un homme, trouver l'homme qui lui fera ressentir quelque chose, l'homme qui lui rendra son corps.


  Les corps inutiles est un roman passionnant, poignant, émouvant, un roman qui secoue, un roman sur l'agression, sur le traumatisme, sur le rapport au corps. Le roman d'une mort physique, celui d'une renaissance progressive,  d'une lutte permanente contre les fantômes du passé. Un roman porté par un style vif, énergique et poétique à la fois. Un livre qu'on ne peut plus lâcher une fois commencé et qu'on a du mal à refermer une fois la fin arrivée. Je suis fan de l'écriture de Delphine Bertholon.


   "Son esprit battit en retraite, repartit en voyage, hurla entre les cactus dressés comme des sexes dans le grand désert rouge, survol les falaise au-dessus desquelles l'aigle majestueux, tel un cerf-volant de plume, maintenant tournoyait.
    Que vois tu de là-haut?
    Le monde est-il plus beau ou plus terrible encore?"

Date de parution : 04/02/2015



lundi 19 janvier 2015

Celui qui ne meurt jamais




Celui qui ne meurt jamais de Dominique Faget aux éditions Les Nouveaux Auteurs


   600 avant J.C après une sévère défaite contre Nabuchodonosor, l'Egypte se trouve amputée. Nekao, pharaon charge son frère Enmoutteff de se mettre en rapport avec les phéniciens et de faire construire des bateaux pour s'étendre au-delà des mers. Le chantier est colossal. L'expédition est périlleuse, elle n'a jamais été réalisée. La traversée est longue. Pour Enmoutteff elle est agrémentée par la présence d'Elyssa, la jeune femme grimée en homme a accompagné son mari jaloux, Hannan Baal, capitaine de l'expédition. L'expédition connaît les tempêtes, elle doit s'arrêter une saison entière pour faire le plein de vivres. Les bateaux doivent être entretenus, réparés. Hannan Baal comprend la relation entre le frère du pharaon et sa femme et  l'abandonne à terre, pendu par les bras à un arbre. Il va réussir à se libérer et n'aura de cesse de retrouver Elyssa l'amour de sa vie. Il va se lier d'amitié avec le  jeune roi d'une tribu africaine, leurs destins vont s'unir, jusqu'à la mort d'Enmoutteff.


   En 1919 sur le chantier d'e voie de chemin de fer Dimbokro-Bouaké,  des ouvriers découvrent à l'abri dans une coffre métallique un masque funéraire. Le gradé français en charge du chantier en revendique la propriété pour l'État français mais le contremaître l'assomme et charge un de ses employés d'aller le cacher le plus loin possible dans la forêt.


  1930, le jeune Alain vit avec ses parents en Côte d'Ivoire. Dans la journée il assisté a une danse des masques qui l'a effrayé. Son père, médecin, est parti en mission dans un dispensaire éloigné. Pendant ce temps là  sa mère cède aux charmes d'un militaire qui lui offre un masque. Lors d'un orage dantesque, le jeune Alain découvre sa mère et cet homme et surtout tombe nez à nez avec le masque en question.

 1976 à Arcachon, Alain a pris possession de la maison de vacances suite au décès de sa mère. Il en fait l'inventaire, et dans le bureau de son père c'est le passé qui lui saute au visage en présence du masque et des armes traditionnelles africaines que collectionnait son père. Alain est toujours aussi mal à l'aise en présence du masque, il a des absences, des visions, le masque semble lui parler. Le séjour d'Alain va être perturbé par une série de meurtres. Des meurtres horribles perpétrés sur des femmes. La police lors de son enquête est amenée à interroger Alain et l'inspecteur Maurin en fait son principal suspect, surtout qu'il a vu dans le bureau les  armes africaines. L'inspecteur Awa Blanc, métisse, de père français et de mère ivoirienne est très attirée par Alain, une attirance très réciproque.


  Celui qui ne meurt jamais est un  roman au passionnant, on ne le lâche plus une fois commencé. Un thriller porté par le souffle de l'Afrique, de ses traditions, de son histoire, de ses paysages. L'Afrique est un personnage à  part entière de ce roman passionnant, dépaysant. L'enquête policière, les meurtres en série m'ont paru secondaires dans cet hymne au berceau de l'humanité.  Une réussite. Ce roman a reçu le prix du polar 2014 des lecteurs de VSD.


dimanche 18 janvier 2015

Petit éloge du charme




Petit éloge du charme de Harold Cobert chez François Bourin Éditeur



   Qu'est ce que le charme, comment le définir? Difficile à dire. Plus d'un penseur s'y est cassé les dents. Harold Cobert choisi de nous en montrer les différents aspects, ses différentes manifestations. Pour cela il commence par nous parler étymologie. Ce qui frappe d'emblée c'est le caractère double du charme son caractère à la fois physique et métaphysique.


  Pour bien expliquer ce qu'est le charme, il va tour à tour le confronter à ses corollaires que sont la beauté, le mystère, la séduction, à l'érotisme,à la transgression. En appelant comme témoins des personnages historiques, ou littéraires, en  les faisant défiler par couples, l'un  représentant le côté lumineux et l'autre le côté sombre de ce don comme par exemple Casanova et Valmont, le personnage des liaisons dangereuses. Il traite du charme, ce pouvoir d'attraction aussi bien du point de vue individuel que du point de vue collectif, évoquant le charisme des hommes politiques.



  Ce sujet, Harold Cobert le traite avec érudition, mais aussi avec facétie, avec humour, avec charme. On sent qu'il s'amuse à le décrire sous toutes ses facettes et nous le suivons avec  plaisir dans ses explications, le sourire aux lèvres. Un ouvrage à la fois sérieux et plein d'humour, plein de connaissance et plein de verve. Cet essai est une réussite, un vrai régal!


   "Souvenons nous du vicomte de Valmont descendant lentement entre les cuisses de Cécile de Volanges. Que murmure-t-il à la novice en volupté? "D'abord quelques mots de latin..." Sur quoi se concentre-t-il? L'Origine du monde.
     Oui l'étymologie nous précipite  dans le coeur ancestral  et toujours battant des mots - et ce n'est pas là le moindre de ses charmes."


    "Le charme comme tout ce qui échappe est mystérieux. Le mystérieux comme tout ce qui intrigue, charme. Tous deux attirent d'une manière irrésistible, non par ce qu'ils dévoilent, mais par ce qu'ils dissimulent. Tous deux sont fils de  l'ombre."


    "Rétif à une trop grande clarté, le charme est de fait hostile à l'une des valeurs portées aux nues par notre époque : la transparence. Celle-ci bannit les zones d'ombre, les ambiguïtés et ne cherche en définitive qu'à rompre le charme."




samedi 17 janvier 2015

Le coeur du pélican



Le coeur du Pélican de Cécile Coulon aux éditions Viviane Hamy



  Anthime et sa soeur Helena emménagent avec leur famille dans une petite ville de province. Loin de la grande ville et de ses fureurs dont leurs parents veulent les protéger. Le rêve d'une vie meilleure plus confortable. Dans cette ville, il va falloir s'intégrer, prendre sa place. Lors d'une fête de quartier Anthime et Helena, sa soeur adorée, son inséparable, se sentent observés, disséqués, deviendront-ils les souffre-douleur de leurs camarades? Lors de cette kermesse une partie de jeu de quille est organisée, Anthime va devoir faire ses preuves.


  "Nerveux, le coeur et les tempes affolés, il s'installa sur la bande de départ, tête baissée, le pied droit en avant, la jambe gauche légèrement fléchie, et attendit le coup de sifflet. Il devait ramasser cette foutue quille avant l'autre. S'il échouait, il signait pour sept ans de sacerdoce dans un collège où tout le monde le verrait comme l'abruti qui court lentement. Il ne pouvait pas se permettre de perdre. S'il loupait la quille, les idiots le lui feraient payer, jusqu'à ce qu'il quitte le lotissement."


  Cette partie de jeu de quille est une révélation pour Anthime. La révélation de sa vitesse, Une révélation pour lui-même et pour les autres, il gagne sa place dans la communauté. Il est repéré par Brice qui va devenir son entraîneur et va lui faire franchir les étapes vers la gloire locale, les championnats. Anthime devient la star de son école. Les maillots de l'équipe de son école étant floqués d'un pélican, il va à lui seul l'incarner.


  Anthime n'est pas particulièrement passionné par la course à pied. Tout ce qui l'intéresse c'est gagner. Quand il court c'est un combat, un combat contre lui-même, contre la douleur et contre les autres concurrents. "les gens ne se battent pas pour qu'on soit fier d'eux , les gens ne se battent pas pour mourir dignement. Les gens se battent pour gagner." Cette phrase va l'accompagner comme un mantra dans toutes les compétitions auxquelles il va participer. Ce désir de victoire, va le pousser à tout donner, pour lui, mais aussi et surtout pour les autres qui attendent tant de lui. Surtout ne pas les décevoir. Tel le pélican du mythe biblique il va s'arracher le coeur avec le bec pour le donner à manger à ses petits et cela jusqu'au drame  jusqu'à la blessure.

   Ce roman nous présente l'ascension et la chute d'un héros. La désillusion après avoir fait naître tant d'espoir dans la communauté. Anthime à la course comme en amour ne voulait pas décevoir. Sa blessure le contraint à se rabattre  sur une vie qui le dégoûte, une femme qu'il  n'aime pas mais qui est présente, alors qu'il rêve de la belle Béatrice qu'il ne veut plus approcher suite à sa chute.Il voulait lui donner le meilleur de lui même, il n'en n'est plus capable. Vingt ans de compromissions vont passer, vingt ans de laisser-aller. Suite à une réflexion d'un de ses anciens camarades, il va reprendre l'entraînement. Il va vouloir prendre sa revanche. Il va traverser le pays en courant.


   Le coeur du Pélican est un roman  riche, foisonnant. Ce n'est pas un roman sur la course à pied, c'est beaucoup plus que ça. Après quoi court Anthime à part la reconnaissance? Il court après lui-même, il se cherche, mais que va-t-il découvrir? Un roman passionnant où la psychologie des personnages est décortiqué, leurs relations entre eux disséquées, le tout porté par un style précis, vif, inventif, dynamique, on ressent presque physiquement les douleurs éprouvées par Anthime. Le roman le plus abouti de Cécile Coulon qui m'avait déjà bluffé avec Le roi n'a pas sommeil et Le rire du grand blessé.

vendredi 16 janvier 2015

La confusion des peines



La confusion des peines de Laurence Tardieu aux éditions Le livre de poche





     L'année 2000 est une année noire dans la vie de la narratrice. Cette année voit la mort de sa mère et l'incarcération de son père, dirigeant de la CGE pour corruption. Une année sur laquelle la chape de plomb du silence pèse dans la famille. Il ne faut surtout pas en parler. Un silence que la narratrice veut briser, et pour elle, écrivain la seule façon de briser le silence puisque personne ne parle, c'est de faire un livre de cette vie  marquée par le silence, le non dit . Et pour cela, pour la première fois, elle va désobéir à l'interdit paternel.


   "Tu ne veux pas que j'écrive ce livre. Tu me l'as dit. Tu me l'as demandé. Tu y avais pensé toute la soirée, toute la nuit, tu ne voulais pas. Ou, plus précisément, tu ne voulais pas que je l'écrive maintenant. Ce livre, Laurence, tu l'écriras quand je serai mort. Voilà ce que tu m'as dit."


   Avant la chute, Laurence voyait son père avec ses yeux de petite fille, elle l'idéalisait, ce père si intelligent, si fort, une force toute en douceur, toute en sourire, mais une force indéniable. Mais déjà dans ses moments heureux de l'enfance, le silence régnait, il ne fallait surtout pas se parler d'amour, surtout pas s'exhiber. C'est ce silence qui décrit le mieux les relations dans cette famille.


   "Comme toujours tu ne disais rien. Tu caches. Tu n'exprimes pas. Toujours le sourire, la douceur, l'enveloppement. Pas de problème, il n'y a pas de problème, jamais. Moi aussi avec toi je cache. Je tais. Je ne dis pas. Je formule des phrases , je prononce des paroles, mais pas celles que je voudrais te dire, celles que je porte en moi, qui sont ce que je vis, ce que j'éprouve, qui me définissent. Avec toi je contourne. Je fais semblant. Je passe à côté de moi."


   La condamnation du père va intervenir comme un séisme, une déflagration, le monde de Laurence, tout ce en quoi elle croyait va s'écrouler. Le père va subir et faire subir à sa famille une double peine, celle de son incarcération avec tout ce que cela comporte comme douleur, et celle du silence qui va l'englober, l'amplifiant, la doublant. Elle ne comprend pas, elle ne comprend plus. Par ce livre, en brisant le silence, c'est de son père tant aimé qu'elle veut se rapprocher. C'est de cet être imparfait qu'elle veut se rapprocher. Et le seul moyen pour elle de le faire c'est l'écriture. C'est par l'écriture de ce livre qu'elle va comprendre ce père, le faire tomber de son piédestal pour l'aimer encore plus.



   Ce superbe livre, est une magnifique lettre d'amour d'une fille son père. Un amour adulte, un amour débarrassé de toutes les idéalisations de l'enfance. Par ce livre la petite fille devient une femme, en cassant cette image du père parfait. Un texte porté par le style de Laurence Tardieu. Une écriture vivante, vibrante. L'écriture  du coeur, une écriture qui bat, qui palpite qui saigne. Encore une fois vous m'avez bouleversé Laurence.


   "Mais moi je n'en veux pas des vraies histoires, elles ne m'intéressent pas les vraies histoires, écrire ça n'est pas raconter des histoires, c'est tenter d'atteindre la lisière de la vie, cette matière-là mouvante, violente, imprévisible, or la vie ce n'est pas une histoire, la vie ça ne se déroule pas, ça ne passe pas, ça se tord, ça hoquette, ça n'a ni début, ni milieu, ni fin, pas de personnages, ce sont des corps qui avancent, qui tombent, qui aiment, qui ne savent pas, on avance tous en titubant, et personne n'en sort indemne, on finit tous par mourir."


mercredi 14 janvier 2015

Amours




Amours de Léonor de Récondo aux éditions Sabine Wespieser Éditeur


  1908 dans un bourg cossu du Cher. Victoire a épousé Anselme, notaire. Tous deux issus de bonne famille, elle a fait connaissance avec lui suite à une annonce qu'il avait publiée pour trouver une épouse suite au décès de sa précédente épouse. Un mariage arrangé qui satisfait les deux familles. Anselme a besoin d'un héritier. Le couple emploie trois domestiques, Huguette et Pierre, elle aux cuisines, lui cocher et jardinier et Céleste la bonne.


  Victoire a reçu une éducation très stricte dans laquelle le corps n'a pas sa place. Elle refuse ce corps, elle se trouve laide. Son couple avec Anselme est plus une cohabitation qu'autre chose. Elle évite le plus possible les contacts avec son mari. Anselme, lui, satisfait les besoins de son corps avec Céleste qui ne peut que subir ses assauts sans rien dire de peur de perdre sa place. Alors que le couple Anselme-Victoire reste stérile, Céleste elle est enceinte de Monsieur.


   "Céleste ira aux champs aider son père. Elle transpirera, exténuée par le labeur et la chaleur, elle vomira parfois au bord du chemin. Elle ira dans sa clairière s'asseoir sur une souche en se demandant pourquoi elle se est si émue à la vue des fougères vert tendre, pourquoi elle se sent à l'affût de la vie, les larmes toujours au bord des yeux. Instants de bonheur fugaces où Céleste, à son insu, entre dans la danse de la nature, lui donnant corps."



   Pour éviter le scandale, Céleste doit avorter mais malheureusement il est trop tard. Victoire y voyant son intérêt, décide que l'enfant sera celui du couple, ainsi plus de problème d'héritier, et peut -être qu'Anselme la laissera tranquille. De plus elle veut connaître le bonheur d'être mère. Cet enfant, Adrien va rapprocher les deux femmes. Il va être le déclencheur de leur passion amoureuse. Toutes les nuits les deux femmes se rejoignent dans le petit lit métallique de la bonne, d'abord très chaste leur amour devient plus sensuel, les deux femmes découvrent qu'elles ont un corps. Mais que va devenir cet amour dans un monde verrouillé par les conventions sociales, par la morale.


   Dans ce superbe roman, nous assistons à la naissance d'un amour. Un amour "contre nature" d'abord étouffé par la morale. Un amour qui ne peut se développer dans le huis-clos de cette maison bourgeoise, métaphore de la société, de ces convenances, de ses obligations. Une amour qui connaîtra son apothéose que quand il  prendra l'air lors d'une escapade à Paris, la grande ville où tout le monde est invisible. Un roman porté par un style poétique, musical. La musique très présente dans ce roman, sous la forme du piano, de la Sonate au Clair de Lune qui fera prendre conscience à Victoire de la force de son amour pour Céleste.

   "Oui ce morceau a été écrit pour elles, une délicatesse infinie, sans sourdine. Plus exactement pour eux trois. Les trois croches du triolet sont liées ensemble, chacune découlant de l'autre. Victoire, Céleste, Adrien."



 


mardi 13 janvier 2015

Pardonnable, impardonnable




Pardonnable, impardonnable de Valérie Tong Cuong aux éditions JC Lattès


   Alors qu'il était sous la responsabilité de sa jeune tante, Marguerite, Milo, douze ans est victime d'un accident de vélo. C'est en sortant de chez le notaire pour une donation secrète que Jeanne, la grand-mère, Céleste, la mère, et Lino le père sont mis au courant. Milo a été transporté à l'hôpital inconscient, il est toujours dans le coma, victime d'un traumatisme crânien qui peut se révéler lourd de conséquences. Cet accident va être un séisme pour cette famille apparemment unie, un séisme aux multiples ondes de choc.

   Pendant que Milo se bat pour sa vie, pour sortir de l'inconscience, sa famille se délite. Les langues se délient, les reproches fusent, les vieilles histoires remontent à la surface, inexorablement. Milo est sur son lit d'hôpital mais c'est sa famille qui se meurt, victime des rancoeurs trop longtemps tues, du mensonge et du poison à lente action du secret.


    "Je sais aujourd'hui qu'il faut se méfier de l'euphorie. Elle nous transporte loin des monstres qui nous hantent, loin des dangers qui guettent, si loin qu'on ne revient jamais plus les affronter. On se croit tiré d'affaire, passé à autre chose. On décrète les dossiers classés, tandis qu'ils nous consument lentement."


   "Famille je vous hais" écrivait André Gide. La famille   ce lieu qui devrait être protecteur et qui parfois est si destructeur, machine à broyer les individus alors qu'elle devrait les soutenir, les accompagner dans leur développement.


  Tour à tour, Céleste, Lino, Jeanne et Marguerite viennent nous livrer leur réflexions, leurs états d'âme lors des différentes étapes qui vont les mener vers le pardon, la colère, la haine, la vengeance, l'amertume et enfin le pardon. Car c'est du pardon qu'il est question dans ce livre. Le pardon si difficile parfois à accorder car le chemin est long et douloureux pour y parvenir, mais quel soulagement quand on y arrive.


   Ce roman poignant, intense, fort nous touche car il est universel. Nous sommes tous issus de familles plus ou moins aimantes, plus ou  moins dysfonctionnelles. Un roman qui nous touche au coeur. Une écriture directe, violente, sans fard qui exprime toute l'intensité de la douleur que peuvent nous causer les gens qui nous aiment ou sont censés nous aimer et le courage qu'il faut pour pouvoir pardonner. Pour moi, Pardonnable, impardonnable est le meilleur des romans de Valérie Tong Cuong que j'ai lus et j'avais déjà  beaucoup aimé les précédents.







lundi 12 janvier 2015

Tourterelle




Tourterelle de Mélanie Richoz aux éditions Slatkine




   Rose est chef de service en gériatrie dans un hôpital, elle est sérieuse, professionnelle, elle semble froide, parfois hautaine, absorbée par sa tâche, muselée par son éducation. Mais c'est aussi une femme qui veut vivre qui ne supporte plus d'être enfermée dans ce carcan, dans ses peurs, vivre sa vie de femme.

  "Je veux vivre. Éprouver la joie, la solitude, le doute, la douleur , l'enthousiasme, l'inspiration, l'audace.
    Choisir.
    Échouer.
    Exister."


   En dehors de son activité professionnelle, qu'elle a de plus en plus de mal à supporter, Rose écrit. Elle fait partie d'un groupe qui se retrouve régulièrement pour écrire des chansons. C'est là qu'elle le rencontre, lui, ce musicien plus jeune qu'elle et à qui elle s'adresse, (à lui et à elle même ), lui ce jeune homme qui la fait se sentir femme, pour qui elle éprouve une attirance, des sentiments qui la font se sentir vivante, vibrante. Une lutte intense a lieu en elle, entre ce qu'elle a toujours été, ce qu'elle montre d'elle et ce qu'elle veut être mais qu'elle n'estime pas avoir le droit de vivre, tout en le désirant ardemment. Elle est mariée, mais si seule. Elle a peur de ce qu'elle ressent.

   "La plénitude de nos silences, de nos hésitations. De ton brûlant et craintif désir d'aimer.
     C'est peut-être ceci que l'on a en commun. La peur d'aimer. Amère, douloureuse, contagieuse mais connue.
     L'insatiable peur d'aimer.
     L'insatiable peur d'aimer, par peur d'aimer trop.
     Et la prodigieuse capacité à le cacher."

Rose porte bien son nom. Rose c'est le rouge de la passion, du feu qui couve sous le blanc de la glace,  de la sagesse. Rose c'est la mélange de ces deux couleurs, c'est le résultat de cette lutte violente qui a lieu en elle.

   "Entre le dedans et le dehors
     Il y a des océans,
     des tsunamis,
     des ouragans.
     Des montagnes.
     De peur."

   Tourterelle est le premier roman de Mélanie Richoz, le deuxième que je lis de cette auteure. Deux romans lus, autant de coups de coeur. Un roman plein d'émotion, un roman fort, porté par un style tout en musique, la musique de l'émotion. Une poésie simple, une poésie vraie, qui frappe au coeur.

   "Écrire pour moi, sans contrainte de style qui biaise l'essence d'un message au profit du nombre de pieds exigés ou d'une rime riche qui rendent la poésie niaise et prévisible. Je préfère le fond à la forme. La prose est la plus jolie robe que porte la poésie.

   Et qu'elle est belle votre poésie Mélanie, qu'elle est émouvante! Quelle est belle  votre musique!

   "Ma musique,
     c'est le tempo de ma solitude.
     Une solitude retranscrite en images.
     En mots.

      Je n'entends pas.
      Je vois."

dimanche 11 janvier 2015

Le projet Bleiberg



Le projet Bleiberg de David S. Khara aux éditions 10/18



   Jeremy Novacek est trader à New York, très talentueux il dispose d'une grosse fortune mais sa vie est un désastre. Au tout début de sa carrière alors qu'il avait bien arrosé un succès professionnel il a tué dans un accident de voiture un bébé en renversant son landau. Depuis cette date, sa vie n'est qu'un lent suicide, entre alcoolisme, et tabagisme effréné. Un matin il reçoit la visite de deux militaires qui lui remettent un drapeau américain en lui disant que son père, ancien militaire est mort. Jeremy se réjouit de cette nouvelle, son père l'ayant abandonné avec sa mère. Il s'arrange avec son patron et ami Bernard Dean pour prendre quelques jours pour aller voir sa mère à l'hôpital dans lequel elle est soignée pour dépression afin de lui annoncer la nouvelle. Celle ci lui remet un pendentif dans lequel se trouve une clé décorée de la croix nazie et un papier sur lequel est noté un numéro.


   Bernard Dean inquiet pour son employé et ami, lui révèle qu'il connaissait très bien son père. Qu'ils étaient amis et qu'ils avaient travaillé ensemble dans l'armée et à la CIA. Jeremy apprend que son père ne les a pas abandonné lui et sa mère, qu'il s'est éloigné pour les protéger car il avait découvert un terrible secret mettent en danger sa vie et celle de sa famille. Bernard toujours membre de la CIA confie Jeremy à Jacky une de ses employées et ils partent en Suisse  pour commencer l'enquête. Ils partent dans l'urgence car ils sont poursuivis par des tueurs qui se sont aussi chargés de liquider sa mère. Ils sont aussi surveillés par un agent du MOSSAD, le service de renseignements israélien. Jeremy veut comprendre ce qui se passe, il veut aussi venger la  mort de sa mère. Pour Jeremy et Jacky va commencer une enquête dangereuse qui va  les plonger dans l'horreur de l'Histoire.


  Le projet Bleiberg est un thriller merveilleusement bien mené. Sa construction nous faisant voyager dans l'espace et dans le temps. L'auteur alternant le point de vue des personnages (je pour Jeremy et récit pour le reste des personnages), on s'attache à eux, on vibre pour eux. Ces personnages sont passionnants, leur psychologie est fouillée et ils évoluent tout au long du roman Ce roman au rythme haletant est servi par un style enlevé, dynamique, les dialogues sont particulièrement vivants , bref  ce roman passionnant est une réussite totale. Ce livre est le premier volet d'une trilogie que je vais  m'empresser de compléter.

   "-Ne tombez pas dans ce piège Eytan. Les bourreaux sont des hommes et seulement des hommes. Les considérer autrement reviendrait à nous affranchir de notre responsabilité en tant qu'espèce. C'est pourquoi nous préférons les prendre vivants. Afin des les exposer dans toute l'horreur de leur vraie nature. La nôtre."


vendredi 9 janvier 2015

L'envolée belle




L'envolée belle de Mylène Mouton aux éditions A plus d'un titre




  Apolline est malade. Elle est enfermée dans sa chambre d'hôpital depuis un long moment déjà. On ne sait pas exactement ce qu'elle a, les médecins non plus d'ailleurs qui multiplient les examens, les analyses. Elle ne reçoit que peu de visites : ses parents, une mère pour qui elle n'est qu'un fardeau car elle ne répond pas à ses attentes, un père qui n'a plus toute sa têtes, ses neveux qui lui apportent un peu de réconfort au début. La seule qui s'intéresse vraiment à elle est une infirmière. Elle va l'appeler Aimable, la nommant par le trait de caractère qui la définit le mieux.


   Le temps est long pour Apolline, seule dans sa chambre d'hôpital. Ella a toujours été fascinée par les oiseaux. Elle passe son temps par la fenêtre à les observer, à les dessiner et à penser à son passé. Elle ne rêve que d'une chose, s'évader de cette chambre, s'envoler. Elle reçoit la visite d'un moineau glouton et surtout d'un albatros. Visite étrange car l'hôpital se trouve non loin du massif de la Chartreuse donc très éloigné de la mer. A chaque fois qu'elle reçoit la visite étrange de cet oiseau de mer, Apolline constate des changements physiques sur son corps, elle se métamorphose peu à peu en oiseau. Loin d'être effrayée par cette mutation, elle l'appelle de tous ses voeux, elle veut quitter cette chambre d'hôpital par la voie des airs, s'envoler loin  de ce monde qu'elle ne supporte plus.

   "Quand Noël arriva, j'étais seule dans ma chambre. J'entendais de loin des chants, des rires, je savais que des petites lumières brillaient sur de jolis chemins de table - mais qu'importe? J'avais les  miennes blotties au fond d'un grand ciel noir, entre les plis profonds de ma mémoire. Elles me chuchotaient à l'oreille que je devais partir, m'envoler loin de ce monde où les rêves sont fugaces et nos corps sont trop lourds."

   L'envolée belle est un roman fantastique d'une profonde poésie. Un très beau texte plein d'espoir dans lequel la volonté prend le pas sur le corps, le transforme. Apolline veut fuir ce monde qui l'enferme. Sa volonté de s'envoler lui donne physiquement des ailes. Sans mauvais jeu de mots tout au long du roman on est porté par la plume légère, poétique, sensible de Mylène Mouton. Un beau moment de lecture.



jeudi 8 janvier 2015

La société




La société de Dan Franck aux éditions Grasset



 Il n'a fallu que vingt-deux secondes à Off pour dégringoler de l'appartement du sixième étage qu'il occupait dans le bâtiment D et se retrouver "locataire" du local à vélos. Un local où il n'est éclairé que par intermittence, la seule lumière dont il dispose étant soumise à une minuterie commandée par les habitants de l'immeuble à leur passage.


   Cette dégringolade de l'appartement au local à vélo est la métaphore, et la conséquence de la chute de Off, de son déclassement. Suite à un drame, ce scénariste si prometteur n'y arrive plus, ses commanditaires ne veulent plus de ces textes, il n'a plus ni femme ni enfants, il se retrouve seul, regardé de travers par tous les habitants de l'immeuble, et même par un chien. Il se sent inutile, passant ses journées à errer pour ne pas rester à se morfondre dans son gourbi


   "En plus, grâce au chien, j'aurais une utilité sociale. Tirant sa laisse pour le plus grand bénéfice des locataires du bâtiment D, j'occuperais une place dans le fonctionnement des sociétés. Un an et quelques poussières mensuelles après avoir emménagé dans le local à bicyclettes, il serait peut-être bon qu'on parle de moi dans les étages; que je sois reconnu; qu'on m'estime; surtout, qu'un jour peut-être, on m'aime."


   Off cherche à établir le contact avec ses voisins, avec ses anciens collègues, fournisseurs, mais rien à faire, tout le monde l'ignore, personne ne veut avoir à faire à de déclassé qu'on tolère mais auquel on ne veut surtout pas adresser la parole des fois que ce serait contagieux. N'ayant rien à faire, il passe son temps à errer physiquement et mentalement, à penser, à ressasser son passé, à tourner en rond. Il est résigné, vaincu. Il vit dans ses souvenirs.


   "Le temps ayant joué son rôle de papier de verre, limé les aspérités les plus douloureuses, émondé ma mémoire des zébrures diurnes et nocturnes qui l'assaillaient en toutes circonstances , je suis aujourd'hui capable de me mouvoir à peu près normalement dans les ruelles de mes cités intérieures. Cela ne s'est pas fait sans souffrance."


  La société est un roman d'une rare noirceur, d'une tristesse profonde, il reflette la cruauté de ce monde où tout est soumis à résultat, tout ce qui ne convient pas, ne donne pas satisfaction est jeté au rebut. Une société ou l'ignorance, le mépris frappent  avec violence ces déclassés. L'aspect cruel et douloureux du roman est renforcé pas le style de Dan Franck, un style plein d'humour noir, parfois presque jubilatoire. Un roman dur à ne pas mettre entre toutes les mains, mieux vaut avoir le moral quand on le lit, mais un régal de lecture.


   "Dans ma vie professionnelle, j'ai souvent tout confondu. Un petit appât suffisait à me faire croire que de l'amitié se glissait sous le tapis des bonnes manières. Hélas, une fois le service rendu et le plancher débarrassé, il ne restait plus des grandes claques dans le dos que la marque d'ecchymoses douloureuses."