dimanche 19 février 2017

Les harmoniques


Les harmoniques de Gérald Tenenbaum aux éditions de L’Aube


Lundi 2 février 2015 à Venise.

Un homme, engoncé dans son imperméable, fait les cent pas le long du débarcadère du vaporetto. Visiblement nerveux, il attend quelqu’un. Une femme brune descend de l’embarcation, le rejoint. Tous deux ils entrent dans le hall du Danieli, célèbre palace vénitien.

Jeudi 14 juillet 1994

Trois mathématiciens sont réunis à proximité de l’Ambassade de France en Argentine à Buenos Aires. Ils sont invités à une réception en marge d’un colloque sur le hasard. Ils attendent Pierre, le quatrième larron. Pierre est en retard, il a oublié son invitation mais décide malgré tout de tenter sa chance. C’est une jeune femme qui le fera entrer.

Cette femme, c’est Keïla, jeune actrice argentine. Toute la soirée, ils vont la passer à parler, à échanger, oubliant tout autour d'eux. Ils décident de se revoir dans trois jours, attendant, chacun de leur côté ce rendez-vous avec impatience.

Un grain de sable, un attentat va se dresser entre eux. Tous deux en seront le témoin, prêteront, chacun à leur façon assistance aux victimes, mais ils vont se manquer. Suite à ce rendez-vous avorté, Pierre et Keila vont reprendre leur vie, lui à Paris, elle a Buenos Aires avec un sentiment d’inachevé. Jamais ils n’oublieront cette rencontre et ce coup du destin qui les a empêché de se retrouver.

Cette rencontre de deux personnes va faire s’entrecroiser les destins des quatre personnages principaux de ce roman. Quatre personnages avec leurs failles, comme empêchés de vivre leur vie pleinement.

Pierre, le mathématicien ne vit que dans son monde peuplé de chiffres, dans lidéal et la  poésie mathématiques.

Keïla, elle, vit dans le souvenir de sa sœur jumelle disparue pendant la dictature militaire. Elle n’aura de cesse de la retrouver, laissant se vie être dictée par l’absence de sa sœur.

Belen, amie de Keïla est écrivain, elle écrit des livres à succès pour la jeunesse et ne semble vivre pleinement que dans les mondes qu’elle invente, elle se dissout dans ses histoires.

Samuel, l’ami de Pierre est journaliste scientifique, pigiste pour un magazine. Il ne vit que lorsqu’il enquête pour son travail. Bouleversé par la tristesse de Pierre qui n’ose pas entreprendre les recherches pour retrouver Keïla, il va mener l’enquête pour son ami.

De juillet 1994 à février 2015 nous sommes emportés par les coups du destin qui vont frapper les quatre personnages. Comme eux nous sommes ballotés par le hasard de Buenos Aires à Paris, de Madrid à Jérusalem. Mais le hasard existe-t-il ?

Avec Les harmoniques, Gérald Tenenbaum nous offre un roman construit comme une symphonie. Porté par une langue musicale et poétique, je l’ai dévoré d’une traite. Ces quatre personnages, comme quatre notes de musique réussiront-il à vibrer ensemble pour obtenir l’accord parfait majeur. Vous aussi laissez vous emporter par ce roman dense et poétique. Un gros coup de cœur.


« Pierre s’est effacé le jour où elle s’est retrouvée errant parmi des monceaux de pierres carbonisées et de restes humains. Il y a un dessein sinon une logique, dans cette disparition. Toutes les disparitions ne se valent pas, cependant, elle l’a appris dans sa chair, toutes se répondent dans les harmoniques d’un vaste concerto silencieux recouvrant le temps humain comme un édredon de plumes. Keïla n’a ni l’audace ni l’impudence de perturber cet arrangement par un cri de rage ou de désespoir. »

samedi 18 février 2017

Métamorphose d’un crabe



Métamorphose d’un crabe de Sylvie Dazy aux éditions Le Dilettante


Christo a passé son enfance à Bapaume dans le nord au pied de la prison centrale. Titulaire d’une licence d’anglais dont il ne sait que faire et intrigué par les commentaires satisfaits des gardiens, au bistrot, il décide de tenter sa chance dans la pénitentiaire et de présenter le concours. Admis, il est nommé à la Santé, à Paris.

Christo n’est pas un gardien comme les autres. Plus intellectuel que ses collègues, il voit son métier comme une mission d’ethnologue. Il veut étudier ce monde clos. Il s’intéresse à la psychologie des détenus (trop) ainsi qu’à celle de ses collègues. Ce gardien étrange est vu d’un mauvais œil par les autres surveillants, mais son supérieur le prend sous son aile et lui fait prendre du galon.

 Christo commence à se fondre dans le murs de  la  prison, comme la prison se fond en lui. Les murs de la Santé sont poreux, Christo emporte la prison, ses odeurs, son atmosphère, à la maison. Comme les détenus,  même si lui peut sortir, il semble vivre enfermé, tourner en rond dans un vase clos.

« Mais ici, c’est comme chez les flics, à voir de la misère et des agressions, à entendre des insultes, des coups fourrés, que sais-je, qui parlent de l’homme comme d’un animal si peu amène, c’est toute la vie privée qui prend une gifle, à long terme ; ou alors les couples de pénitentiaires ça marche, ils vivent dans ce bain si particulier qui les tient l’un à l’autre comme de la colle. Le pire c’est à Fresnes où ils habitent tout autour dans des logements de fonction, pas d’échappatoire, c’est de l’incarcération pour de vrai, parce qu’ils n’ont rien fait mais ont pris du ferme quand même. »

Métamorphose d’un crabe nous plonge dans l’univers carcéral. Sylvie Dazy nous le fait découvrir du point de vue d’un surveillant qui veut l’étudier de manière ethnologique, mais qui peu à peu va se faire dévorer par l’objet de son étude. Ce milieu, l’auteur le connaît bien puisqu’elle a été éducatrice chargée de la réinsertion à la Santé.

L’univers carcéral y est décrit comme une société comme une autre, mais un monde qui vit en huit-clos, soumis à la promiscuité. Un monde qui déteint aussi sur les gardiens. Christo a de plus en  plus de mal à rentrer chez lui, ne se sentant à l’aise qu’entre les murs « protecteurs » de la prison. C’est un monde où tout est amplifié, lieu de tous les trafics, mais aussi lieu de travail, d’étude, chance de rédemption pour certains détenus. Sylvie Dazy nous y décrit, sans complaisance, les conditions de travail du personnel pénitentiaire, en constant sous-effectif, peu soutenu par sa hiérarchie. Un roman très réussi qui a fait ressortir ma légère tendance à la claustrophobie.

« Personne n’a l’air de réaliser la bizarrerie de ce lieu qu’est la Santé au coeur de Paris, de ces murs avec dedans ces gourbis. Deux mille hommes, des suicides, des viols, de la souffrance, des remords et des rancoeurs, tout un monde qui rêve aussi, ânonnant des souvenirs et des projets emmêlés, un concentré de haine et de petits garçons mal grandis qui écrivent des poèmes et réclament leur mère, l’image d’un malheur ordinaire qui tourne en rond et appelle au secours en vain. Notre malheur. »

mardi 14 février 2017

Je suis un tueur humaniste



Je suis un tueur humaniste de David Zaoui chez Paul & Mike Editions

À quoi tiennent une vie, un destin ? À un don ? À une rencontre. C’est la douloureuse expérience que va faire Babinsky.

Babinsky a été abandonné très jeune et c’est à l’orphelinat qu’il va rencontrer sa destinée. Jeune garçon sans histoire, Babinsky se distingue par une empathie chevillée au corps. Il s’occupe des plus jeunes, console les orphelins, prend sous son aile les plus tristes. Babinsky a un don. Tout ce qu’il vise, il le touche sans coup férir, même les yeux fermés. Ce talent est remarqué par le professeur de sports de l’orphelinat. Un jour celui-ci lui présente son cousin, qui intéressé par son talent va le faire sortir de l’orphelinat. Son but : travailler ce talent.

Cyrus le gros, le nouveau mentor de Babinsky a une idée en tête. Il gagne sa vie de manière particulière. Il est le chef d’une équipe de tueurs à gages. Babinsky n’ayant pas de diplômes, pas d’autres don que cette aptitude de tireur d’élite est tiraillé entre son empathie et des considérations plus alimentaires.

« C’est à partir de cet instant-là que toute mon innocence est partie en fumée dans les flammes de la réalité. Il fallait que je vive, que je vole de mes propres ailes et pour faire quoi ? Quoi au juste ? Que pouvait bien faire un type comme Babinsky ? Surtout avec son  maudit talent ! Je me souviens alors lui avoir répliqué très spontanément :
- Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les autres, pas moi.
- Écoute, tu vas t’intéresser aux autres puis les buter, m’avait-il répondu. »

Babinsky n’a pas d’autre choix que de céder. Pour essayer de faire taire sa conscience, il va se fixer une éthique. Il ne liquidera ses contrats qu’une fois qu’il les aura rendu heureux, qu’il leur aura fait vivre le plus beau jour de leur vie. Combien de temps, Babinsky pourra-t-il cette ligne de conduite ?

Babinsky vit très mal cette situation. Il ne dort plus. Pour l’aider, il contacte un psy haut en couleurs et se plonge dans la lecture et la musique. Il devient un inconditionnel de Brahms.


Attiré, intrigué par ce titre j’ai plongé dans ce roman. Un livre délicieusement politiquement incorrect. Un roman plein d’humour. On s’attache à Babinsky, cet homme dont le talent particulier se heurte à son désir de rendre heureux ses semblables. Si vous aimez les livres qui sortent des sentiers battus, laissez vous tenter par Je suis un tueur humaniste. Un très bon moment de lecture.