Simple de Julie Estève aux
Éditions Stock
« On fiche la
caisse dans le trou et on jette la terre sur le bois clair. On regarde au fond,
s’imaginant plus tard, pareils, de guingois dans le caveau familial. Il n’y a
pas de bruit. Bizarre, ce silence du monde. Les oiseaux et le vent tiennent
leur langue pendant que l’on pleure des larmes de faux-jetons. On pense, bon
débarras !
La mère Biancarelli s’avance, coincée dans
ses habits noirs, jupe longue, chemisier simple, des chaussures plates, châle
autour de la tête. On croirait une poupée de mémé en mauvais état, d’un autre
siècle, dont les cils clignent sur des yeux froids, très bleus. Elle plie ses
jambes pleines d’os et tombe à genoux, les mains vieilles au milieu des herbes
hirsutes. Elle se racle la gorge, flanque le crachat dans le trou. »
L’homme dans le trou, c’est Antoine. Antoine Orsini. Mais
personne au village ne l’appelle plus comme cela depuis son enfance. Antoine, c’est
le baoul. On l’a privé de son identité, parce
qu’il est différent. C’est l’idiot du village, le simplet.
Avant ses quinze ans de prisons pour le meurtre de Florence
Biancarelli, il était la mascotte du village. Une mascotte bien particulière.
Il était l’objet de toutes les moqueries, la victime de jeux cruels. C’est
tellement facile d’être forts quand on est en bande. La liberté d’Antoine, une
liberté dont il n’a pas lui-même conscience, fait peur, elle dérange alors on
se venge comme on peut.
Antoine a une mémoire prodigieuse, il est un peu voyant, il
fait des rêves prémonitoires qu’il ne cache pas. Ses souvenirs, il est
tellement seul qu’il les partage avec sa chaise. Il la promène sur les lieux qu’il
a arpentés et lui raconte son histoire. Une vie de souffrance et d’exclusion.
« Mon père était
furax, dès qu’il m’a vu. Il disait que j’étais un tueur né, qu’il aurait dû m’étouffer
avec un coussin, que bébé j’avais déjà une tronche de baoul, pas proportionnée,
que c’était pas de chance d’avoir fait un gosse aussi moche et aussi con par
rapport aux deux premiers qu’étaient normaux. Il disait que ma tête avait beau être
énorme, y avait que dalle à l’intérieur. – Dans ton crâne, c’est le désert des
Carpates ! Il disait »
Antoine était le coupable idéal pour le meurtre de Florence
Biancarelli. En racontant sa vie à sa chaise, il revient sur la vie du village,
sur les tensions qui y règnent, sur les non-dits. Il mène en quelque sorte l’enquête
sur le meurtre dont il a été le bouc émissaire.
Simple est un roman poignant, bouleversant. Julie Estève
trempe sa plume dans les méandres du cerveau d’Antoine. Les mot qu’elle met
dans sa bouche sont simples, miroirs de ses émotions, en prise directe avec la
nature. Des mots libres de toute contrainte et pleins de poésie.
« J’ai mis les provisions
dans mes poches pour aller bouffer avec ma chaise derrière la chapelle,
tranquilles, planqués. Les autres, ils viennent ici que l’dimanche. Le reste de
la semaine, y se traînent dans la boue, mais l’dimanche, ils font une trêve
chez le curé : ils chantent des prières. Moi, c’est aux arbres et aux
cailloux que j’en donne, pas à la messe, je peux pas gueuler à la messe, alors
que dans le maquis et dans les bois ! À la messe, y a pas de surprise,
tout est décidé à l’avance et en plus faut obéir aux ordres ! Et je suis
pas dressable. »
Vous aussi, suivez Antoine dans le maquis corse, nul doute
que vous n’en sortirez pas indemne.
Un grand merci à Netgalley et aux Éditions Stock de m’avoir
permis de découvrir cet excellent roman.
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