jeudi 29 novembre 2018

Vesoul, le 7 janvier 2015




Vesoul, le 7 janvier 2015 de Quentin Mouron chez Olivier Morattel Éditeur


Les romans picaresques classiques nous contaient les aventures de vagabonds, de marginaux qui, poussés par la misère, cherchaient par tous les moyens à se faire une place au soleil. Pour cela ils devaient user de ruse et de débrouillardise et agir sans scrupules.

Le picaro d’aujourd’hui est bien différent. C’est un  cadre dynamique, sûr de lui, avide d’expériences et de légèreté, qui a des avis sur tous les sujets même ceux dont il ignore tout.. Il roule le plus souvent en Audi.

C’est l’un de ces picaros modernes qui prend notre narrateur en stop. Il fuit une vie trop morne et les obligations administratives de son pays natal, la Suisse. Il veut courir le monde sans trop savoir ce qu’il cherche sinon la liberté.

Impressionné par le charisme de son chauffeur, il va bientôt le reconnaître comme son mentor et décider de le suivre dans ses aventures.

Saint-Preux, le maître picaro, est attendu à un congrès à Vesoul. Arrivés en avance, les deux compères sont bien décidés à profiter des animations du cru. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont bien choisi le moment. En ce début janvier, à Vesoul, c’est l’effervescence.

Le programme des réjouissances commence par l’Hivernale des poètes. Un festival de poésie. Ils y apprennent que pour être politiquement correcte la poésie classique se doit d’être légèrement modifiée. Il ne faudrait stigmatiser personne.

« Nous traversâmes le « Tunnel des citations ». Sur des panneaux en bois aggloméré, on avait calligraphié des centaines d’extraits de poèmes, de romans ou d’essais. Ces vers mutilés de Reverdy frappèrent ma vue : « Le rêve est un houmous à la crème de soja / Lourd / Qui pend au plafond. »
« Comment ! Un houmous ? » m’exclamai-je. « C’est plus républicain » abonda Saint Preux, qui avait lu ceci dans un journal : plusieurs dizaines d’associations juives et musulmanes, rabibochées pour l’occasion, avaient fait valoir que l’identification du rêve à un jambon avait quelque chose de stigmatisant pour les minorités ne consommant pas de porc. Bien entendu, ils n’accusaient pas Reverdy d’être antisémite ou islamophobe, c’était seulement une maladresse de sa part qui se corrigerait aisément. »

Sortis de ce festival, les voilà confrontés à l’agitation des rues vésuliennes. Nos deux nomades vont se heurter à la masse des sédentaires en manifestation. Ils vont faire le coup de poing contre tous ces tristes sires qui refusent la légèreté, le picaresque. Tout ce que la ville compte de religieux, de populistes et de nationalistes.

Arrive le 7 janvier 2015 et les attentats parisiens contre Charlie Hebdo. Toute la France est en deuil, le peuple à sa grande majorité se rassemble. Tout le monde est Charlie. Même ceux qui ne supportaient pas l’humour corrosif de ce journal. Tous unis pour la liberté de la presse quelle qu’elle soit, contre le fanatisme religieux.

Les aventures rocambolesques et déjantées de nos deux picaros nous montrent les ridicules de notre époque. Elles soulignent l’insignifiance des discours creux amplifiés par internet et les chaînes d’information en continu. Ces vies déchirées par des combats d’un autre temps.

Que dire du style de Quentin Mouron ? Une découverte. Il y a du Rabelais dans cette plume-là.  Vesoul, le 7 janvier 2015 est un roman plein de verve et de jubilation, porté par une langue précieuse et délicieusement surannée. D’aucuns pourront dire que Quentin Mouron en fait trop, qu’il cabotine. Certes... Mais un cabotinage aussi talentueux, on en redemande.

« Les bars étaient barricadés. Les commerçants tombaient leurs stores. Les rues bourdonnaient de militants politiques, de minorités humiliées et d’utopistes sanguinaires. La police, qui protégeait d’ordinaire les citoyens, s’était rassemblée, trois rues plus bas, pour protester contre quelque chose. Nous étions livrés à nous-mêmes. Saint-Preux sélectionna l’option « Dark Vador », et son Iphone libéra un ray de lumière rouge. « Te bile pas ! On va y arriver. » Son optimisme me fortifia. Je n’avais plus peur. J’étais prêt à combattre. »

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