Délation sur ordonnance de
Bernard Prou aux éditions Anne Carrière
Oreste, spécialiste en livres anciens, est appelé à Pau pour
estimer la bibliothèque dont Laurence Lepayeur vient d’hériter de son
grand-père. Il commence par fureter parmi les livres, se saisit d’un volume,
quand un papier en tombe. Il s’agit d’une ordonnance bien particulière. Sur un
papier à en-tête au nom du Docteur Saint Marly, il découvre une lettre de
délation datant du 19 décembre 1942, dénonçant quatre « mauvais français ».
Perturbée par cette découverte, Laurence charge Oreste d’enquêter sur l’histoire
de sa famille. Peu de temps avant de mourir, son grand-père lui avait dit que
cette bibliothèque contenait tout l’histoire de la famille.
Oreste accepte la mission. Cette période le fascine pour des
raisons que vous apprendrez en lisant le livre. Il commence par inspecter le
volume duquel s’est échappée l’ordonnance : Les Beaux Draps de Louis-Ferdinand
Céline. À la fin du pamphlet, il découvre cette phrase sibylline : « La
cuisine était propre ». Intrigué par cette inscription, Laurence lui
propose de chercher cette phrase sur internet. C’est l’incipit de La Table aux
Crevés de Marcel Aymé. Oreste et Laurence se lancent à la recherche de ce
volume dans la bibliothèque. Commence alors un jeu de piste qui va révéler aux
deux enquêteurs une partie de l’histoire de la famille. L’auteur nous invite d’ailleurs
à enquêter nous-mêmes en nous proposant les phrases écrites à la fin de chaque
livre pour dévoiler le suivant. Comme moi, jouez le jeu, cela donne encore plus
de sel à la lecture. Pour ceux qui veulent s’éviter cette peine, les réponses
se trouvent à la fin du roman.
Cette lettre de dénonciation nous plonge dans la période
trouble de l’occupation. Le docteur Saint Marly ne se doutait pas en l’écrivant
qu’elle allait avoir des conséquences pour toute sa famille. Les quatre « mauvais
français » qu’il dénonce avait tous des relations quelconques avec ses
enfants.
Bernard Prou nous fait vivre l’occupation comme si nous y
étions. Il décrit la vie quotidienne au travers de personnages qui auraient pu
appartenir à la majorité des familles de l’époque. Du trafiquant profitant du
marché noir, au lycéen résistant de la première heure, de l’amoureuse d’un
soldat allemand au haut fonctionnaire collaborationniste qui couvre ses
arrières pour éviter d’être inquiété après la libération, c’est le portrait de
la France pendant la deuxième guerre mondiale que nous dresse Bernard Prou. Ce
roman nous interroge : qu’aurions nous fait à cette période et dans ces
circonstances. Aurions-nous été résistants, collabos, ou plus simplement, comme
une majorité de français aurions-nous juste cherché à survivre le moins mal
possible.
« - C’est une
banale lettre de dénonciation, si j’ose dire, comme il s’en écrivit des
centaines de milliers à la même période. Celle-ci a le mérite de ne pas être
anonyme, ce qui ne diminue pas la laideur du geste. Vous savez, Laurence, cette
époque a marqué toutes les familles qui depuis lors trimballent d’inavouables
turpitudes ! Il y avait alors 2,5 pour cent de collabos acharnés, 2,5 pour
cent de résistants obstinés et 95 pour cent de Français inertes. Il fallait
subsister. Nos grands-parents étaient des subsistants. Comme nous le serions nous-mêmes
si cela se reproduisait. »
Fasciné par cette période extrême, révélatrice de l’âme
humaine, j’ai dévoré ce passionnant roman. Bernard Prou par sa plume pleine d’une
verve souvent jubilatoire m’a cueilli dès le début du roman pour ne plus jamais
me lâcher. Les dialogues entre le docteur Saint Marly et Louis Destouches alias
Louis-Ferdinand Céline, sont particulièrement savoureux. Avec Délation sur
ordonnance, j’ai découvert un auteur que j’ai hâte de retrouver. Je vous le
recommande vivement.
Bernard Prou est diplômé de l’École nationale de Chimie
Physique Biologie à Paris et de l’université de la Sorbonne. Il a enseigné les
mathématiques et la physique. Délation sur ordonnance est son deuxième roman.
Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant, son premier roman
a été publié en 2016. Je vous en parle bientôt.
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