Vesoul, le 7 janvier 2015
de Quentin Mouron chez Olivier Morattel Éditeur
Les romans picaresques classiques nous contaient les
aventures de vagabonds, de marginaux qui, poussés par la misère, cherchaient
par tous les moyens à se faire une place au soleil. Pour cela ils devaient user
de ruse et de débrouillardise et agir sans scrupules.
Le picaro d’aujourd’hui est bien différent. C’est un cadre dynamique, sûr de lui, avide d’expériences
et de légèreté, qui a des avis sur tous les sujets même ceux dont il ignore
tout.. Il roule le plus souvent en Audi.
C’est l’un de ces picaros modernes qui prend notre narrateur
en stop. Il fuit une vie trop morne et les obligations administratives de son
pays natal, la Suisse. Il veut courir le monde sans trop savoir ce qu’il
cherche sinon la liberté.
Impressionné par le charisme de son chauffeur, il va bientôt
le reconnaître comme son mentor et décider de le suivre dans ses aventures.
Saint-Preux, le maître picaro, est attendu à un congrès à
Vesoul. Arrivés en avance, les deux compères sont bien décidés à profiter des
animations du cru. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont bien choisi le
moment. En ce début janvier, à Vesoul, c’est l’effervescence.
Le programme des réjouissances commence par l’Hivernale des
poètes. Un festival de poésie. Ils y apprennent que pour être politiquement
correcte la poésie classique se doit d’être légèrement modifiée. Il ne faudrait
stigmatiser personne.
« Nous traversâmes
le « Tunnel des citations ». Sur des panneaux en bois aggloméré, on
avait calligraphié des centaines d’extraits de poèmes, de romans ou d’essais.
Ces vers mutilés de Reverdy frappèrent ma vue : « Le rêve est un
houmous à la crème de soja / Lourd / Qui pend au plafond. »
« Comment ! Un
houmous ? » m’exclamai-je. « C’est plus républicain »
abonda Saint Preux, qui avait lu ceci dans un journal : plusieurs dizaines
d’associations juives et musulmanes, rabibochées pour l’occasion, avaient fait
valoir que l’identification du rêve à un jambon avait quelque chose de
stigmatisant pour les minorités ne consommant pas de porc. Bien entendu, ils n’accusaient
pas Reverdy d’être antisémite ou islamophobe, c’était seulement une maladresse
de sa part qui se corrigerait aisément. »
Sortis de ce festival, les voilà confrontés à l’agitation
des rues vésuliennes. Nos deux nomades vont se heurter à la masse des
sédentaires en manifestation. Ils vont faire le coup de poing contre tous ces
tristes sires qui refusent la légèreté, le picaresque. Tout ce que la ville
compte de religieux, de populistes et de nationalistes.
Arrive le 7 janvier 2015 et les attentats parisiens contre
Charlie Hebdo. Toute la France est en deuil, le peuple à sa grande majorité se
rassemble. Tout le monde est Charlie. Même ceux qui ne supportaient pas l’humour
corrosif de ce journal. Tous unis pour la liberté de la presse quelle qu’elle
soit, contre le fanatisme religieux.
Les aventures rocambolesques et déjantées de nos deux
picaros nous montrent les ridicules de notre époque. Elles soulignent l’insignifiance
des discours creux amplifiés par internet et les chaînes d’information en
continu. Ces vies déchirées par des combats d’un autre temps.
Que dire du style de Quentin Mouron ? Une
découverte. Il y a du Rabelais dans cette plume-là. Vesoul, le 7 janvier 2015 est un roman
plein de verve et de jubilation, porté par une langue précieuse et délicieusement surannée. D’aucuns pourront dire que Quentin Mouron en fait trop, qu’il
cabotine. Certes... Mais un cabotinage aussi talentueux, on en redemande.
« Les bars
étaient barricadés. Les commerçants tombaient leurs stores. Les rues
bourdonnaient de militants politiques, de minorités humiliées et d’utopistes
sanguinaires. La police, qui protégeait d’ordinaire les citoyens, s’était
rassemblée, trois rues plus bas, pour protester contre quelque chose. Nous
étions livrés à nous-mêmes. Saint-Preux sélectionna l’option « Dark Vador »,
et son Iphone libéra un ray de lumière rouge. « Te bile pas ! On va y
arriver. » Son optimisme me fortifia. Je n’avais plus peur. J’étais prêt à
combattre. »