Rencontres

mercredi 27 mai 2015

Souvenirs de lecture 11 : Aude Le Corff



Souvenirs de lecture 11 : Aude Le Corff



   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Aude Le Corff qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.



LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?





ALC : J'ai surtout lu des classiques entre le collège et le lycée, ma mère en s'installant avec mon père avait emporté ses cartons de bouquins et je me souviens encore des tranches colorées, de l'odeur de ces vieux livres de poche parfois gondolés, des illustrations usées sur la couverture. Je dirais que c'est L'Assommoir qui m'a particulièrement marquée, je l'ai lu plusieurs fois entre  14 et 17 ans. Les méfaits de l'alcool, la déchéance des personnages et du couple, Paris et ses petites métiers au XIX ème siècle, dépeints avec une grande précision et beaucoup de justesse me touchaient et me fascinaient.







LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?

ALC : Zola retranscrit superbement les rapports humains, les faiblesses, l'univers intérieur et le quotidien de ses personnages. Lire à l'adolescence Flaubert, Zweig, Maupassant ou Zola m'a permis d'apprécier une virtuosité de l'écriture plus rare de nos jours, l'art de la métaphore et des descriptions détaillées, une vision crue et réaliste de la société. Creuser et comprendre nos failles m'intéresse. Mon écriture est influencée aussi par mon pays natal, le Japon, mon enfance et mes lectures de petite fille, leur fantaisie et l'immense imaginaire déployé dans ces livres. J'ai dévoré les contes du monde entier et j'adorais Roald Dahl.
  
            Désolée je m'égare un peu, mais on est bien chez le Hibou. D'autres livres me sont précieux, il est difficile de n'en citer qu'un seul. Une question intéressante circulait sur les réseaux sociaux récemment : Quelle lecture obligatoire pendant vos études s'est révélée passionnante ? La mienne a été Le Désert des Tartares de Buzzati. Ce roman a laissé une empreinte en moi. Le désert qui aimante, la solitude, l'angoisse floue, l'attente vaine.

            Pour chaque livre aimé, des images me reviennent avec force lorsque je l'évoque, les mêmes qu'à la lecture qui date parfois d'une vingtaine d'années, ains que l'atmosphère, des ressentis. C'est fantastique d'avoir autant de bons romans derrière soi, encore en soi.



LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

ALC : Les chaussures italiennes de Henning Mankell, acheté chez un bouquiniste en avril. Toujours ces solitudes qui me touchent, les poids que l'on traîne, des étendues sauvages, l'influence de l'autre.

           L'épuisement de Christian Bobin, très émouvant : "L'écriture, c'est le coeur qui éclate en silence."

           LoveStar de l'islandais Andri Snaer Magnason, hors-norme, bourré de fantaisie, un roman d'anticipation peut-être pas si délirant.

           On ne joue pas avec la mort d'Emily St John Mandel : un polar puisque c'est la saison, mis en avant par un libraire à Nantes. Contrairement à la narratrice de mon deuxième roman, je ne suis pas fan de ce genre mais celui-ci a su me plaire, le personnage principal est un anti-héros attachant, il y a de l'introspection, un chat, un certain désespoir et de l'humour.

          Pour finir, une BD que ma fille a aussi beaucoup aimée, émouvante et drôle : Le grand méchant renard de Benjamin Renner.



Biographie


   Je suis née au Japon en 1976, j'y ai passé ma petite enfance puis j'ai vécu et étudié à Paris. Malgré ma préférence pour une voie littéraire - j'écris et je lis énormément depuis l'enfance - j'ai suivi des études de Gestion à Dauphine. Après avoir travaillé quelques années dans un cabinet d'audit, j'ai déménagé à Nantes. La vie avec des enfants y est plus accessible et agréable qu'à Paris, et j'ai pu y trouver des sujets d'inspiration. J'ai repris des études de psychologie, accompagné des personnes en difficulté dans leur recherche d'emploi, puis je me suis consacrée à l'écriture.

   Mon premier roman, Les arbres voyagent la nuit, a été publié chez Stock en 2013. Le deuxième, L'importun, vient de paraître chez le même éditeur.


    Encore un grand merci à Aude Le Corff pour sas gentillesse et son temps. Les deux romans d'Aude ont été chroniqués sur ce blog, leur titre est colorisé et dispose d'un lien vous permettant d'accéder aux chroniques d'un simple clic. Les deux romans d'Aude Le Corff m'ont beaucoup touché et je vous les recommande vivement.








mardi 26 mai 2015

Le port




Le port de Jean-Yves Loude, illustrations de Nemo aux éditions Vents d'ailleurs




   Djibril est Guinéen. Djibril est le fils d'un ancien tirailleur sénégalais abandonné par le pays pour lequel il a combattu. Djibril rêve du Port. Le Port c'est le Nord, le Port c'est l'Europe. Djibril collectionne les vignettes contenues dans les boîtes de lait "Petit nid d'oiseau" qui représentent cette Europe rêvée, cet endroit où tout est possible, où tout est plus facile, où tout est bleu, cette Europe qui avait colonisé son pays et qui l'a jeté, comme elle jette tout ce dont elle ne veut plus.



  Djibril est prêt à tout abandonner pour réaliser ce rêve. Il est prêt à abandonner la terre qui l'a vu naître, cette terre aride, stérile qui l'a façonné. Il est prêt à laisser Assa cette femme exclue car jugée stérile par son mari, cette femme à l'image de la terre de son pays, répudiée, jugée comme une sorcière "dévoreuse d'enfants". Il viendra la chercher quand il aura réussi.


   "Fait-il jour ou nuit ? Le froid congèle chaque minute qui passe. Mes pensées se figent une à une. Ma tête s'alourdit. J'ai peur du sommeil. Il est le meilleur allié du serpent. Je lutte. Je ne veux pour rien au monde perdre conscience. Les grands magasins du Port ont ils déjà ouvert leurs portes? Je tenterai, demain, d'être le premier à entrer et à dire merci."




   Jean-Yves Loude porte la voix de Djibril, il exprime son rêve désespéré, son désir d'un ailleurs où la vie serait plus facile. Il le fait avec émotion, avec une poésie toute africaine. Il est le chantre  de tous ses candidats au voyage clandestin, de ces enfants perdus, ceux que l'on retrouve au large de Lampedusa, ou transis de froid cachés dans les trains d'atterrissage des avions.  Le port est un livre fort, un livre à la beauté tragique. Un livre où  la superbe plume de Jean-Yves Loude se marie avec les illustrations de Nemo. Un bel objet où l'on retrouve les vignettes collectionnées par Djibril glissées dans la reliure, indépendantes. Le port est un court roman, un petit livre par la taille mais un grand livre par l'émotion et la poésie désespérée qui s'en dégagent. Un livre qui porte la voix de tout ces êtres que l'on entend pas, que l'on écoute pas. Merci pour ce grand moment de leture.

  Jean-Yves Loude et le guitariste Bruno-Michel Abati ont fait de ce livre une lecture-concert où les extraits du roman et les morceaux de guitare  classique se succèdent. Une heure d'émotion pure. S'ils passent près de chez vous n'hésitez pas.

 

samedi 23 mai 2015

Cannisses



Cannisses de Marcus Malte aux Éditions de l'Atelier in8, collection Polaroïd




   Ils avaient pourtant choisi leur cocon avec soin. Un pavillon dans un lotissement calme. Ils avaient abrité leur vie de famille derrière des cannisses pour la préserver jalousement. Pourtant le malheur a fini par les retrouver. Nadine, la femme du narrateur, est morte d'un cancer, laissant à son homme anéanti la tâche de s'occuper de leurs deux enfants. Tout à sa douleur il s'y attelle tant bien que mal, les nourrissant exclusivement de gaufres, c'est plus simple pour lui. 


  Notre narrateur en deuil, se pose des questions, se fait des reproches. Rien de tout cela ne serait arrivé s'il avait été plus vigilant. Il y avait pourtant eu des signes.


  "Maintenant que j'y songe, la chatte Guimauve elle s'est fait écraser dans les tous premiers jours de notre arrivée. Ça ne faisait pas une semaine qu'on avait emménagé ici. On aurait dû comprendre que c'était un signe. Une sorte d'avertissement. Je m'en veux, c'est moi qui aurais dû y penser."


   Il passe son temps à observer ses voisins, le regard masqué par les cannisses. Ces voisins qui étalent leur bonheur familial sans se soucier de sa douleur. Il avait longtemps hésité entre les deux maisons au moment de l'achat. Manifestement il a choisi la mauvaise maison. En face, les voisins sont heureux, pourquoi eux et pas lui ?


Marcus Malte nous décrit un homme qui sombre progressivement dans la jalousie, puis la folie. Les questionnements, et les réponses délirantes se succèdent dans l'esprit ravagé du narrateur. Nous sommes les témoins de sa descente aux enfers. Il lui faut absolument réparer ses erreurs. Il lui faut la maison d'en face pour enfin être heureux avec ses enfants.


  Dans cette novella, court roman de moins de cent pages, Marcus Malte nous montre comment la souffrance ordinaire peut laisser la place à la folie. Dans Cannisses, il n'y a pas un mot de trop. J'ai plongé avec le narrateur, été immergé dans son subconscient et le moins qu'on puisse dire est que ce livre secoue. Il suffit de pas grand chose pour sombrer dans la folie. Marcus Malte est un maître dans l'art de nous faire explorer les méandres de l'âme humaine. Un excellent roman.

mercredi 20 mai 2015

Zou !




Zou ! d'Anne-Véronique Herter aux éditions Michalon



   A là mort de leur père, Chance et ses frères et soeurs doivent se séparer de la maison familiale. C'est un crève-coeur car cette maison porte en elle tous les souvenirs familiaux, les joies, les peines, les rires les colères. Elle abrite les fantômes du passé, certains gentils d'autres moins. Chance est bouleversée par cette vente. On la retrouve devant son ordinateur, devant la page blanche. Elle essaie de mettre en mots tout ce qu'elle ressent pour cette maison, pour les souvenirs qu'elle abrite pour les garder en mémoire mais aussi pour s'en libérer, passer à autre chose, vivre.

  Tour à tour les souvenirs de Chance viennent lui parler. La maison qui a abrité la famille depuis l'arrivée de l'arrière-grand-père, le mur qui donne sur la mer et sur lequel les membres de la famille ont passé tant de temps à contempler l'océan, son frère aîné décédé avant sa naissance mais dont l'absence est si présente, si pesante, tous vont intervenir pour l'aider à se libérer d'eux, à prendre son envol. Chance doit briser ses chaînes pour pouvoir vivre sa vie.


 "Notre maison bretonne. C'est chez moi. C'est beau, parfois effrayant. C'est gigantesque, mais suffisamment petit pour entendre l'écho des blessures familiales. Celles qu'on ne règle qu'en famille. Qui touchent le coeur des choses, les culpabilités, les remords, la responsabilité de chacun devant les morts."

   "Le poids des choses , mes liens familiaux, ma grand-mère, mon frère, mon père, chez les morts. Ma mère, mes frères et soeurs, les gens que j'aime. Tous me lient. M'enchaînent. M'empêchent d'avancer dans ma propre histoire. Je dois m'en libérer. Je sais je dois me libérer."


  Nos maisons d'enfance, nos familles, tous les souvenirs qui y sont liés, jamais nous ne les oublierons. Ils forment un socle plus ou moins solide sur lesquels nous nous construisons. Nos racines poussent dans ce milieu quel qu'il soit, plein d'amour ou de joie,  de tristesse de désamour.On a parfois du mal à y trouver sa place et toujours de la peine à s'en extraire. Pour nous épanouir, nous devons transplanter nos racines ailleurs, ne pas nous laisser enfermer dans nos souvenirs, ne pas rester prisonniers d'une vie qui n'est pas la nôtre. Ces souvenirs qui sont en nous, qui vivent en nous doivent servir de base de lancement pour que nous trouvions notre propre orbite. Si nous restons murés dans les souvenirs familiaux, prisonniers de la maison de notre enfance, nous nous étiolons.

   Cette nécessité de prendre des distances avec l'histoire familiale pour pouvoir vivre sa propre vie, est le thème de ce magnifique roman d'Anne-Véronique Herter. Un livre qui m'a bouleversé, qui m'a donné la chair de poule, certains passages m'ont tellement ému que les larmes aux yeux, je devais les relire pour être sûr de ne pas en avoir manqué un mot. Un livre qui touche au plus profond car il nous parle de nos racines, de la base sur laquelle nous devons nous construire. Ce roman touche par son universalité. Nous avons tous eu des familles plus ou moins fonctionnelles, plus ou moins aimantes, une maison d'enfance dont il est difficile de se libérer. La plume pleine de sensibilité, de poésie, de nostalgie, mais aussi d'humour, m'a frappé au coeur. Zou ! restera longtemps gravé dans ma mémoire et c'est un livre que je relirai avec bonheur. Un livre à lire absolument.

mardi 19 mai 2015

L'importun




L'importun d'Aude Le Corff aux éditions Stock


   La naissance d'un deuxième enfant, le désir de s'éloigner du stress de la grande ville, poussent la narratrice et son mari à chercher une maison en Province. L'occasion se présente quand deux soeurs décident de vendre la maison familiale. Leur père ayant une santé fragile a été placé en maison médicalisée. Le déménagement s'organise. Il y a des travaux à faire, la cave à vider des outils et des souvenirs du vieil homme, mais tout ça peut bien attendre. Peu de temps après leur emménagement, la narratrice, écrivain de thrillers, a la désagréable surprise de voir entrer chez elle le vieil homme. Toujours en possession de sa clé, il arrive sans prévenir, n'adresse quasiment pas la parole à la nouvelle propriétaire de sa maison si ce n'est pour lui préciser qu'il est chez lui ou pour lui faire des reproches.


   La narratrice n'a pas le coeur de signaler ces visites indésirables à son mari. Il déciderait de changer la serrure mettant fin aux allées et venus du vieillard. Elle est agacée par ses visites mais n'a pas la force de priver l'ancien propriétaire des lieux de ces moments d'évasion, il doit tellement s'ennuyer entre les quatre murs de sa chambre médicalisée, lui qui était habitué à passer son temps dans le jardin ou dans son atelier à la cave. Petit à petit nos deux personnages principaux s'apprivoisent et le dialogue devient possible. Ils vont se parler de leurs blessures. Des blessures d'enfance qui ont du mal à cicatriser. Des blessures liées à la relation au père : l'absence, la violence. Ils vont peu à peu se confier, se décharger un peu du fardeau du passé. L'importun devient important.


  Dans ce roman, il est question des cicatrices laissées par l'enfance, de ces marques que l'on n'oublie pas et qui conditionnent notre vie d'adulte. La narratrice et le vieil homme se comprennent car ils reconnaissent en l'autre cette souffrance. Tous deux avaient trouvé leur refuge : pour lui la nature et sa maison (surtout son atelier à la cave),  pour elle l'écriture. Mais qui de mieux qu'une personne qui a vécu les même douleurs que vous pour vous comprendre pour se comprendre soi-même, pour enfin pardonner ?


   "Guy me fuyait, maintenant il recherche ma présence. C'est mon sale caractère, dit-il, qui a tout foutu en l'air. Il craint d'avoir été aussi égoïste que mon grand-père, aussi nerveux et dépressif que mon père. Il creuse en moi à coups de pioche pour y chercher un peu d'espoir et de lumière. Il m'étudie comme un rat de laboratoire, il aimerait isoler mes blessures, les effets exacts du comportement de mon père sur ce que je suis devenue, mon épanouissement et mes états d'âme. Et c'est son propre procès qui se déroule sous ses yeux."


  Après Les arbres voyagent la nuit, j'ai retrouvé avec plaisir la plume d'Aude Le Corff. Comme dans son précédent roman elle décortique les relations familiales, les non-dits, les remords. Les deux personnages principaux, blessés par leur enfance sont très attachants. L'importun est un roman touchant porté par la plume sensible, sincère et poétique d'Aude Le Corff. Un excellent moment de lecture.


lundi 18 mai 2015

Fragments d'une traque amoureuse





Fragments d'une traque amoureuse de Fleur Zieleskiewicz aux éditions l'Éditeur



    " Il faudrait être amoureux mais ne jamais le tomber.
      Tomber amoureux : l'expression est pourtant prophétique ; l'essentiel résumé : une chute. À a la fin tu t'exploses par terre. Pareil quand tu t'envoies en l'air : l'attraction du sol est toujours la plus forte. La chute est la même, la confusion règne."

     Le moins qu'on puisse dire, est qu'Hana est confuse. Son amour pour Dick, un amour à sens unique, puisqu'il a rompu,  l'a éparpillée "façon puzzle" comme dirait Audiard. Pour rassembler les morceaux de sa vie, de son coeur en miettes, pour prendre du recul, elle parcourt l'Europe. Cela ne suffit pas. Il faut qu'elle voie Dick, qu'elle le retrouve, qu'elle lui dise ce qu'elle a sur le coeur. Elle le harcèle sur Facebook, Twitter, par mail, par SMS. Sa traque de l'homme qu'elle aime lui fait parcourir les Etats Unis. Elle aime les aéroports, pas les trajets en avion, les gens y sont trop statiques, engoncés dans leurs sièges. Les aéroports sont des fourmilières. Elle observe les gens et en les observant c'est elle même qu'elle découvre. Chaque aéroport a sa personnalité qui lui permet de réfléchir de mieux appréhender sa vie.

   Elle traque celui qui l'a tuée, sur les réseaux sociaux d'abord, il l'a éliminée "skypassinée"et qui lui a brisé le coeur. Mais lors de cette traque, c'est elle-même qu'elle traque. Elle se découvre petit à petit, elle se dévoile à nous : striptease émotionnel, mise à nu. Hana est excessive, excentrique, bipolaire, elle tient grâce aux cigarettes, à l'alcool et aux médicaments.

   Son parcours, Hana nous le décrit de sa plume pleine d'humour et de violence, une plume trempée dans l'acide ( ne me demandez pas lequel). Elle se moque du politiquement correct, peste après les vieux et les handicapés dans les files d'attente. Elle nous entraîne dans son aventure par sa verve. On compatit, on a envie de la secouer, de lui mettre des claques pour qu'elle sorte de son rêve, de son monde imaginaire. Oui embarqué, je l'ai été. Ce roman doit se lire en écoutant la playlist fournie en début de roman et en allant voir les photos sur le site fleurz.com. Elles nous permettent de ressentir de manière encore plus forte les émotions d'Hana. 


   Fragments d'une traque amoureuse est un roman original tant par le fond que par la forme. Un roman à la fois poignant, violent, drôle.  Un roman très prometteur, j'attends la suite avec impatience. Alors videz vos poches dans les bacs, passez le portique de sécurité et laissez vous embarquer.

   "Nous crèverons tous en bonne santé. D'épuisement à force de jogger. D'un souffle au coeur à force de se fendre d'aimer tout le monde. D'une crise du tofu fou. D'une rupture d'anévrisme à force de prendre des postures insensées au yoga. On vit, on meurt, tout le reste n'est que remplissage, comme pour une histoire d'amour. Alors remplissons."



dimanche 17 mai 2015

Souvenirs de lecture 10 : Gaëlle Nohant


Souvenirs de lecture 10 : Gaëlle Nohant



   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Gaëlle Nohant qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?


GN   :  Je ne vais pas parler d'un livre, mais d'une série de livres, la série des Claudine, de Colette. Je les avais découverts, je me souviens, dans la bibliothèque de mon arrière-grand-mère, où je passais de longues journées quand il pleuvait. Je ne sais pourquoi, j'avais eu l'idée de chercher à tâtons derrière les rayonnages et j'avais ramené un trésor caché : toute la série des Claudine dans une ancienne édition usée jusqu'à la corde, avec des gravures un peu licencieuses. Je n'ai parlé à personne de mon trophée, je l'ai emporté et dévoré pendant les vacances avec une impression de liberté incroyable. Bien sûr l'histoire était prenante, le ton alerte, drôle et insolent me séduisait, mais ce qui m'a le plus marquée c'est la liberté du style, une liberté où tous les sens se mélangeaient, une liberté qui était avant tout  un manière d'aimer la vie totalement, jusqu'à s'en enivrer, comme un bouquet de ronces qu'on serrait contre soi au risque de s'y blesser. Cette découverte de Colette a été un coup de foudre littéraire, dans l'année qui a suivi j'ai lu la presque totalité de son oeuvre !


LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?

GN   : En réalité, c'est en lisant Jane Eyre, à huit ans, que j'ai décidé d'écrire. Mais Colette m'a enseigné que l'écriture pouvait être ce langage des sens où la poésie naissait du mélange des odeurs, des saveurs, des émotions et des sons. Elle m'a aussi appris qu'à travers ce qu'on écrivait, on faisait passer sa manière d'être au monde. La sienne était terriblement sensuelle et pleine d'irrévérence et d'intelligence, et j'étais remplie d'admiration  devant son style et ce qui dégageait d'elle, cet amour fou de la vie, cette force d'être soi sans se conformer au modèle fixé par d'autres... Cette liberté je l'ai d'abord cherchée à travers la poésie, qui allait bien avec cet âge où tout est mouvant, fluctuant, fragile et suspendu.
            Colette m'a appris enfin que l'écriture est avant tout un territoire de liberté où on fait l'école buissonnière, où on franchit les fils barbelés et se perd parfois dans une forêt pour le plaisir de se perdre... Je dirais même qu'accepter de se perdre est souvent la condition pour trouver le chemin qui est le sien. J'ai mis des années à en faire l'expérience dans mon écriture, j'ai vraiment commencé à le faire en écrivant  L'Ancre des rêves, mon premier roman. Avec ce roman, beaucoup de sensations d'enfances sont remontées qui étaient liées à ce bonheur de débusquer des trésors, d'écouter le bruissement des fantômes, d'avoir peur, de retenir sa respiration ... et cette liberté enfantine enivrante où l'on a sentiment qu'on peut tout inventer tous les jours, à commencer par soi-même...


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

GN   :  Dernièrement je me suis régalée à lire Une vie après l'autre de Kate Atkinson, dont j'avais adoré le premier roman, Dans les coulisses du musée. Une vie après l'autre raconte l'histoire d'une jeune fille qui ne cesse de mourir de plein de manières différentes, elle naît au début du siècle, et au fil de ses vies successives elle traverse l'après-guerre, le Blitz... C'est un personnage très attachant mais qui porte en elle une forme de mélancolie profonde et de pressentiment, et c'est comme si elle avait besoin de nombreux brouillons de vie pour écarter toutes les ombres menaçantes qui lui barrent le chemin. C'est un roman très troublant, original, poignant et drôle à la fois. Une petite merveille.

            Dans un autre style, j'ai beaucoup aimé Avec mon corps, de Nikki Gemmell. J'ai découvert Nikki Gemmell à travers ses premiers romans, notamment une très belle histoire d'amour, Love Song, qui se passait dans le bush australien dont l'auteur est originaire. Nikki Gemmell, c'est le mélange irrésistible d'une sauvage du bush possédant une forme d'incandescence et d'une Anglaise d'adoption cultivée et raffinée. Dans Avec mon corps, elle met en scène une Madame Bovary moderne emprisonnée dans une existence de Desperate housewife, qui se rappelle douloureusement la jeune fille qu'elle fut, qui aimait la vie au risque de la brûler et connut une éducation sentimentale particulière avec un écrivain réfugié dans le bush. Pour sortir d'une vie conjugale où son appétit de vivre s'enlise, elle doit retourner à ses racines et exorciser ses chagrins les plus profonds. C'est un livre qui irradie la lumière aveuglante des espaces sauvages et des amours fous.


Biographie


          Je suis née à Paris 1973, et j'ai décidé d'écrire à l'âge de huit ans. Je me consacre à l'écriture depuis une douzaine d'années. J'appuie mes histoires sur une base documentaire importante, et je m'efforce de défendre une littérature à la fois exigeante et populaire. Depuis sept ans, j'ai deux activités distinctes mais liées : mon écriture de fiction et une activité d'animation culturelle, via mon blog, Le café littéraire de Gaëlle (http://cafedegaelle.blogspot.fr), et sur le site des librairies Charlemagne dans le Var. J'y fais des portraits d'auteurs, des critiques de romans, une manière de partager mes coups de coeur.


J'ai déjà publié :

       L'Ancre des rêves (Editions Rober Laffont) en 2007 qui a reçu le prix Encre Marine et a été publié par Pocket en 2011. Epuisé, il vient de ressortir chez Pocket en mars 2015 en synergie avec la parution de La part des flammes, mon dernier roman.

      En 2008, j'ai écrit un essai sur l'épopée du Rugby Club Toulonnais (Rugby Club Toulonnais 1908-2008, EPA Editions; 2008)

      J'ai aussi publié en 2010 un recueil de nouvelles (L'homme dérouté, Géhess, 2010

      Mon deuxième roman La part des flammes est paru le 19 mars aux éditions Héloïse d'Ormesson


  Encore un grand merci à Gaëlle Nohant pour sa sa gentillesse et son temps. La part des flammes a fait l'objet d'une chronique sur ce blog, le titre est colorisé et dispose d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique d'un simple clic. Si vous ne connaissez pas encore la plume de Gaëlle Nohant je vous invite à la découvrir au plus vite.








samedi 16 mai 2015

Le sourire des femmes




Le sourire des femmes de Nicolas Barreau aux éditions Le livre de poche




    Aurélie est propriétaire du restaurant "Le temps des cerises". Elle en a hérité et elle le fait tourner avec Jacquie, l'ancien chef de son père qui fait partie de la famille. Sa vie se résume à son restaurant et à ses nuits avec son petit ami. Lorsque celui-ci la quitte avec un simple mot, sa vie s'écroule. Le lendemain de la rupture, elle noie son chagrin dans les rues d'un Paris pluvieux. Pour échapper à l'inquiétude pressante d'un policier qui la suit la croyant suicidaire, elle entre dans une librairie. Aurélie ne lit pas mais pour se donner une contenance elle achète un livre dont la quatrième de couverture lui plaît. Elle passera sa nuit à lire. Ce livre va selon ses termes lui sauver la vie. Étrangement dans ce roman il est question de son restaurant et l'héroïne lui ressemble étrangement. Aurélie n'a plus qu'un but : entrer en contact avec l'auteur anglais de ce roman et l'inviter à dîner dans son restaurant. Sur les conseils de sa meilleure amie Aurélie va donc contacter l'éditeur du livre qui a changé sa vie.


   André Chabanais travaille pour la maison d'édition qui a publié ce fameux livre "Le sourire des femmes" Il est chargé par son patron de faire venir l'auteur à Paris pour une lecture, tant ce petit roman sans prétention s'est bien vendu. Lourde tâche pour André car Robert Miller est un auteur insaisissable qui fuit le monde comme la peste. André va aussi devoir gérer les assauts d'Aurélie qui veut absolument  rencontrer l'auteur qui l'a sauvée.


   Ce livre gentillet lu dans le cadre de Prix des lecteurs Livre de poche,  respecte tous les codes de la comédie romantique hollywoodienne. Pour moi, en  général, ça fonctionne (oui je suis fleur bleue),  N'allez rien y chercher de profond, c'est une jolie bluette d'été. L'intérêt principal de ce roman a été pour moi le fait qu'il se passe dans le monde de l'édition. Sinon tous les clichés y sont, quiproquos, rencontre, mensonges, séparation, retrouvailles, le Paris romantique...  Le style de l'auteur est agréable sans être remarquable. Ce roman est  un divertissement sympathique pour la plage cet été ce qui en soi n'est déjà pas si mal. C'est doux, sucré, agréable comme un bonbon, mais ça donne soif. Soif d'autre chose de plus fort, de plus enivrant. Amateurs de comédies romantiques ce livre est pour vous, si ce n'est pas le cas vous pouvez l'ignorer. J'oubliais, autre intérêt de ce livre, les recettes des plats qui composent le menu d'amour d'Aurélie sont retranscrites en fin de livre. C'est toujours ça de gagné. 


vendredi 15 mai 2015

Un agent nommé Parviz




Un agent nommé Parviz de Naïri Nahapétian aux éditions de l'Aube




   Toutes les agences de renseignement sont sur les dents. En Iran, les recherches, la création d'infrastructures pour permettre à cette république islamique de se doter du nucléaire, inquiètent l'occident. Le régime affirme qu'il veut se doter de cette technologie à des fins civiles mais personne n'est dupe. La république des mollahs veut se doter de l'arme atomique et faire changer le rapport de forces dans cette région. Il faut à tout prix éviter que la bombe atomique se retrouve entre les mains d'islamistes. Alors quand un ingénieur iranien travaillant dans ce secteur est en voyage en France, l'occasion est trop belle. Tout va être fait pour le "retourner" et transformer son voyage en passage à l'ouest.


   L'homme chargé du retournement de l'ingénieur se nomme Parviz. C'est un personnage insaisissable, sensé être mort, exécuté par le régime de Khomeini en 1979. A l'époque, Parviz travaillait pour la CIA. Étudiant, opposant au régime du Shah, il avait pourtant aidé l'ayatollah à prendre le pouvoir avec le soutient de l'agence américaine. Dans la scène d'ouverture, nous voyons ce personnage trouble expliquer à l'épouse de l'ingénieur que son mari a décidé de passer à l'Ouest. Ils ne rentreront pas en Iran. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. La DGSE pour qui Parviz travaille à présent en relation avec Florence Nakash, ne parvient plus à le joindre. L'agent semble avoir disparu. Est-il un agent double travaillant toujours pour la CIA ou pire, travaille-t-il pour l'État islamique ? Florence Nakash est chargée d'enquêter et de retrouver son ami.


   Si vous cherchez un roman d'espionnage à la James Bond, ce roman n'est pas pour vous. Pas de courses poursuites, pas de femmes fatales prêtes à tout, pas de gadgets invraisemblables. Un agent nommé Parviz est un roman d'espionnage sobre beaucoup plus en rapport avec la réalité. Nous somme plongés dans le monde du renseignement. Un monde trouble, secret. Un monde où les agences de pays amis coopèrent mais sont aussi parfois rivales. Ce court roman portant sur un fait d'actualité mais totalement fictif est passionnant. Les personnages sont complexes, attachants. Un roman porté par un style à la fois sobre et poétique aux saveurs orientales. Un vrai plaisir de lecture. Alors plongez dans ce roman vous ne serez pas déçus.

jeudi 14 mai 2015

Chroniques de la débrouille




Chroniques de la débrouille de Titiou Lecoq aux éditions Le Livre de poche





 Autant le dire tout de suite, si je n'avais pas reçu ce livre dans le cadre du Prix des lecteurs Livre de poche, je ne l'aurais pas acheté. Mais l'avantage de ce genre d'expériences est que cela permet de sortir des sentiers battus, d'explorer de nouveaux genres, de découvrir l'univers de nouveaux auteurs.



   Titiou est un femme de trente ans qui vient de subir une rupture amoureuse,  qui galère dans sa vie professionnelle, d'ailleurs elle hait le travail. Elle navigue entre un poste de pionne et des piges dans des journaux. Elle passe son temps à déménager, et quand elle emménage c'est avec un nouvel homme. Elle nous parle de ses expériences, de ses questionnements, des ses doutes, de sa difficulté à vivre en société. Elle n'est bien que chez elle, sur internet ou avec ses amis.

   "Une rupture amoureuse, ça s'apparente à une maladie auto-immune. Vous vous retrouvez à lutter contre un élément qui était naturellement constitutif de votre vie - le couple."


   "Je ne savais même pas ce que je voulais faire dans la vie. J'avais une espèce de théorie comme quoi il fallait que j'ai lu tous les livres du monde avant de me décider. (Ce qui sous-entend que je pensais aussi que je vivrais éternellement.) (C'est sympa, un jeune, mais qu'est-ce que c'est con.)



  Tout ceci pour vous dire que ce livre n'avait pas de grandes chances de me tenter. Et pourtant, le livre m' a plutôt plu. D'abord par le fait qu'il soit composé de courts textes librement inspirés du blog de l'auteur, qui rendent la lecture très fluide, très digeste. Le ton du livre y est pour beaucoup aussi. L'auteur sous couvert d'un blog autobiographique nous décrit la vie d'une femme de trente ans aujourd'hui. Elle le fait avec sincérité, intelligence, crudité, mais surtout avec beaucoup d'humour et d'autodérision. j'ai beaucoup ri à la lecture de ce livre. Ce livre axé sur le quotidien d'une femme de trente ans nous décrit le monde actuel. Un monde basé sur la précarité, sur l'immédiateté, sur la quête de sens dans une période où tout va si vite. Un texte intéressant, drôle, agréable à lire mais qui ne restera pas gravé dans ma mémoire.

mardi 12 mai 2015

Un roman anglais



Un roman anglais de Stéphanie Hochet aux éditions Rivages




   1917, l'Angleterre est ravagée par la Grande Guerre. Anna Whig se voit contrainte pour éviter les bombes de fuir Londres avec son mari et son fils de deux ans pour leur maison du Sussex. Anna souhaitant reprendre son activité de traductrice, ce couple de bourgeois se voit dans l'obligation de trouver une garde d'enfant. Une petite annonce est publiée dans le Times mais tout est rendu plus difficile par la guerre. Les femmes remplacent, leurs maris, leurs pères, leurs frères dans les usines pour soutenir l'effort de guerre, ou sont parties sur le front pour soigner les blessés. Enfin une réponse arrive. Anna est séduite par une lettre. Le prénom de la candidate la ravit : George, comme George Eliot, une femme de lettres qu'elle admire.

   Quelle n'est pas la surprise d'Anna, quand elle s'aperçoit, sur le quai de la gare, que George est un homme. N'osant lui parler de sa méprise elle se résout à lui donner sa chance, à se moquer du qu'en dira-t-on. George va donc s'installer dans la famille et faire preuve d'une grande efficacité et d'une grande tendresse pour Jack.


  Nous sommes dans un monde en pleine mutation, un monde où, du fait de la guerre, les femmes commencent à prendre dans la société, une place que certaines d'entre elles demandaient depuis longtemps. La première guerre mondiale marque la fin d'une époque, la fin de la société victorienne qui devient obsolète face aux nouvelles connaissances, aux nouveaux enjeux du monde.


  Comme l'Angleterre l'est par la guerre, Anna est ravagée par son combat intérieur. Entre son rôle d'épouse et de femme, entre son métier et l'amour pour un enfant dont elle ne sait pas, dont elle ne veut pas s'occuper. Dans la société qu'elle a connue avant, dans son monde, les mères ne s'occupaient pas de leurs enfants, c'était un travail de domestique. Ce combat intérieur qui se livre en Anna, est toute l'essence de ce roman. On y voit une femme aussi tourmentée que ces paysages de guerre. Une femme tiraillée entre les convenances, ce mariage avec un homme qui n'a qu'une passion l'horlogerie et sa vie de femme, ses aspirations. Cet homme qui arrive pour s'occuper de Jack va mettre le feu aux poudres. Il parvient à calmer les accès de violence d'Anna, et se montre beaucoup plus maternel qu'elle avec l'enfant. Cet homme devient rapidement une image fantasmée de son bien aimé cousin John, parti au front et dont elle est sans nouvelles. Il va être en quelque sorte le catalyseur, l'accélérateur des tourments d'Anna


  Un roman anglais est un superbe livre qui nous plonge dans la tourmente. Celle qui frappe un pays, une société et celle, qui est à l'oeuvre dans l'esprit, dans la vie d'Anna. La plume de Stéphanie Hochet nous immerge avec beaucoup de talent et de finesse dans cette période de transition, dans ces champs de ruines que sont le pays et la vie d'Anna. Un roman à la fois tourmenté et plein de pudeur. Un roman inspiré de la vie de Virginia Woolf, tout en intériorité. Un long monologue intérieur, un flot de pensée (stream of consciousness ) parfaitement retranscrit. Un roman coup de coeur.

  "Le 14 février arriva. Les Dardanelles pour le pays dont l'armée partait en expédition en Turquie, le jour de Jack pour moi. L'enfer comme point commun. Le bébé me déchira le ventre en venant au monde. La naissance de Jack-le-tant-attendu me propulsa un temps dans le chaos. Cette expérience hurlante m'aura secoué le corps, rappelant à l'intellectuelle, à la traductrice pinaillant sur les variations de sens, que la matière première de l'existence  est d'abord et avant tout un choc physique, c'est la terre qui vous cogne et vous percute, ce n'est pas le flot de pensées, stream of consciousness, comme on avait tendance à le croire jusqu'alors."

  "Non, George n'est pas un réconfort. Un réconfort, ça ne vous retient pas , ça ne contient pas l'élan destructeur qui loge en soi. Un réconfort, c'est gentil et doux. Ça n'a rien d'un barrage contre le remous morbide qui m'a envahie. Qui d'autre serait capable de voir ce que je cache ? Qui pourrait supporter la proximité d'une femme abritant cette chose vicieuse qu'elle ne reconnaît pas elle-même."


Roman disponible en librairie à partir du 13 mai.

dimanche 10 mai 2015

Souvenirs de lecture 9 : Laura Alcoba



Souvenirs de lecture 9 :Laura Alcoba


   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avait marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Laura Alcoba qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?



LA :    J'ai commencé à lire alors que j'étais très jeune, encore enfant. La lecture m'a accompagnée durant toute l'adolescence, j'ai grandi avec elle - elle était à la fois mon jardin, mon temple, mon refuge. J'attendais TOUT des livres. Je ne lisais pas pour me distraire ou m'évader mais véritablement pour me trouver. Entre mes douze et seize ans, j'étais dans une quête d'absolu sans concession, typiquement adolescente et dont je garde un souvenir fort. J'étais une lectrice boulimique mais je cherchais LE livre, celui qui répondrait à toutes les questions, celui qui me comblerait.

             Lorsque j'ai lu Siddhartha de Herman Hesse, j'ai eu l'impression d'avoir trouvé le livre qui correspondait à cet idéal. Je devais être dans ma quatorzième année. C'est un livre que je n'ai pas relu depuis, peut-être serais-je déçue aujourd'hui... Mais je me souviens d'avoir été fortement impressionnée par son propos philosophique, j'avais le sentiment de faire ma vraie première lecture de "grande"

             Siddhartha est une sorte de conte retraçant une quête spirituelle dans laquelle je me retrouvais totalement. C'est aussi une initiation au bouddhisme, dont j'ignorais tout à l'époque. Cette lecture est vraiment lointaine, mais j'en ai gardé des images qui sont encore très belles dans mon souvenir notamment toutes les scènes de méditation au bord de l'eau. A la toute fin du livre, Siddhartha retrouve son ami, Govinda. Ils étaient partis ensemble à la recherche de la sagesse, mais leurs chemins s'étaient séparés. Leurs retrouvailles à la fin de leurs parcours, m'avaient profondément émue.


LLH : En quoi ce livre a-t-il influencé votre désir d'écrire ?

LA :    Je ne sais pas si ce livre a influencé directement mon désir d'écrire. Mais il y a dans le souvenir que j'ai de Siddhartha quelque chose qui me semble correspondre à ce que je recherche dans mon écriture. J'essaye d'écrire de manière à la fois concise et fluide, à dépouiller mes textes de tout ce qui ma paraît gratuit ou superflu. Je crois qu'il y a là quelque chose qui est en relation avec le sujet de Siddhartha.


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coup de coeur ?

LA :    J'ai fait de très belles lectures ces derniers mois. J'ai particulièrement aimé Monastère d'Eduardo Halfon (Quai Voltaire). Tout ce que j'aime en littérature est là. L'auteur s'attache à des petites choses, des petits détails apparemment anodins qui portent une histoire immense - familiale et collective. C'est un texte mélancolique et profond, écrit tout en subtilité.

            Comme Un vague sentiment de perte d'Andrezej Stasiuk  (Actes Sud) un beau livre sur la mémoire, assez proche dans l'esprit du livre d'Eduardo Halfon.

            J'ai aussi beaucoup aimé Le chaste monde de Régine Detambel (Actes Sud) - un livre bien différent des deux précédents, une histoire de voyage et de découverte sensuelle librement inspirée du parcours d'Alexander Von Humboldt. C'est un livre vivifiant, truffé de trouvailles littéraires.



Biographie



           Romancière de langue française, Laura Alcoba a passé son enfance en Argentine.

            En 2007, elle publie aux éditions Gallimard Manèges. Petite histoire argentine où elle évoque une épisode de son enfance sous la dictature. ce premier livre a été traduit dans de nombreuses langues (anglais, espagnol, allemand, italien et serbe). Toujours dans la collection blanche de Gallimard, elle publie ensuite Jardin blanc, Les passagers de l'Anna C. et enfin Le bleu des abeilles, paru à la rentrée 2013. Dans ce dernier roman, elle s'inspire de son arrivée en France en 1979 : elle y évoque notamment la correspondance avec son père, alors prisonnier politique en Argentine, et l'apprentissage de la langue française.

           Après avoir longtemps exercé comme maître de Conférence à l'Université de Nanterre, depuis le mois d'octobre 2013 elle est également éditrice aux éditions du Seuil. Laura Alcoba est aussi traductrice.


    Encore un grand merci à Laura Alcoba pour sa gentillesse et son temps. Tous le titres des romans de Laura Alcoba ayant fait l'objet d'un chronique sur ce blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique en question d'un simple clic. Si vous ne connaissez pas encore la plume de Laura, je vous invite à la découvrir au plus vite.




samedi 9 mai 2015

les gens de Holt County



Les gens de Holt County de Kent Haruf aux éditions Robert Laffont collection Pavillons poche




   Raymond et Harold McPheron sont deux frères qui à la mort de leurs parents se sont trouvés dans l'obligation de reprendre le ranch familial. Jamais ils ne se sont quittés. Leur vie s'est trouvée bouleversée le jour où ils ont recueilli Victoria, lycéenne de 17ans chassée par sa mère car enceinte. La jeune fille doit vivre sa vie et les McPheron la poussent à reprendre ses études. Ils refusent qu'elle reste prisonnière du ranch comme eux. Ils l'installent sur un campus à deux-cents kilomètres du ranch familial. Quand Harlod est tué par un taureau, Victoria revient au ranch pour aider son bienfaiteur, mais Raymond ne peut accepter ce sacrifice. Il la renvoie à l'université, Victoria reviendra pour les vacances. Mais comment gérer tout le travail du ranch seul ?


   Betty et Luther est un couple qui vit de l'assistance sociale.  Ils vivent dans un mobil home qui a connu des jours meilleurs. Ils sont gentils, mais simples, très simples. Ils ont deux enfants qu'ils ne parviennent pas à protéger lorsque débarque chez eux l'oncle de Betty, alcoolique et violent, qui veut inculquer par la manière forte la discipline aux enfants du couple.

   DJ est un garçon de onze ans qui a perdu sa mère et qui vit avec son grand-père usé par la vie de cheminot. Il s'occupe de tout, prépare les repas après l'école, effectue des travaux de jardinage pour gagner quelques sous. Il est là pour son grand-père. Il fait la connaissance de la fille de la voisine qui lui permettra quelques moments d'évasion. Ils vont se soutenir mutuellement car la mère de la petite fille, élève seule deux enfants avec l'argent que leur envoie leur père parti travailler en Alaska, jusqu'au jour où il décide de ne plus rien envoyer.


   Holt County dans le Colorado, c'est l'Amérique profonde, l'Amérique des sans-grade. Une Amérique dans laquelle la vie est simple, sans artifice. Il faut lutter pour vivre, travailler durement pour pouvoir subsister. Les seuls moments de répit on les trouve de temps en temps au saloon du coin. Dans ce roman Kent Haruf nous montre une Amérique bien loin de l'image de superpuissance, bien loin de l'image d'épinal que l'on peut avoir de ce pays. Un monde dur dans lequel les enfants grandissent plus vite qu'ils ne devraient. Kent Haruf signe ici une ode à cette Amérique profonde, un hommage à cette Amérique d'en-bas dans laquelle le seul espoir est l'entraide. Un roman porté par une langue simple, une langue juste qui reflète la modestie des gens qu'elle décrit. Un roman plein de poésie, la poésie de l'espoir. Un roman, des personnages qui m'ont beaucoup touché par leur humanité. Ce roman est la suite de "Le chant des plaines "mais peu parfaitement se lire de manière indépendante. Premier tome que je lirai d'ailleurs très bientôt tant j'ai apprécié celui-ci.


vendredi 8 mai 2015

Cavalcades romaines



Cavalcades romaine de Murielle Levraut aux éditions Julliard



 Uti le Dace, esclave affranchi, vient d'acheter lors d'un voyage pour le compte de son maître un groupe d'esclaves étrangers. Il ne sait pas comment son maître va le prendre car dans ce groupe se trouvent des Gaulois. Les Gaulois ont très mauvaise réputation comme esclaves. D'abord ils sont effrayants, parlent une langue barbare et se montrent particulièrement récalcitrants. Ce petit groupe, trois Gaulois dont deux femmes, un Grec et un Germain prend donc la route de Rome sous la férule de l'esclave affranchi.

   Tout ce petit monde fait connaissance. Les langues commencent à se délier. Les deux Gauloises se connaissent et sont particulièrement bavardes, le savetier gaulois est bien timide, le grec dépressif, et l'effrayant germain, mutique. Ils se mettent au travail dans un champ qu'ils doivent fertiliser . Tout ce petit monde se parle en "romain"sauf le Germain. Un tremblement de terre qui détruit la propriété leur donne l'occasion de s'échapper. Leur but atteindre : Rome, pour se faire affranchir. Ne vont-ils pas se jeter dans la gueule du loup?

   Dans cette odyssée hilarante, les personnalités vont se révéler. Le Germain pas si muet que ça, va prendre la direction des opérations malgré les protestations du scribe grec qui a toujours été un esclave et à qui la liberté fait peur. On va assister à un bon exemple de coopération entre les peuples Comme quoi avec un peu de bonne volonté...

Cavalcades romaines est un roman joyeusement décalé, fourmillant d'anachronismes désopilants.

   "- "Via Appia"
    Perlen hocha le menton et montra deux autres groupes de signes.
     - Et là ?
     - "Brindisi". Et "Rome".
     Sourires dans toute la troupe.
    - Rome ! S'extasia Perlen. Rome.
    Elle toucha la pierre , la caressa d'une main ferme, et se retournant vers ses compagnons, elle prit la pose.
    - Regardez moi, regardez moi bien et souvenez-vous tous de ce moment là !
    Elle sourit, et s'écartant, elle appelé Burbuja.
    - Burbuja, fais comme moi, je vais te regarder, et je m'en souviendrai, je pourrai en parler.
   Premières photos de vacances sans appareil."

   Murielle Levaud signe un roman enlevé, drôle qui se lit d'une traite. Un roman plein d'inventivité et d'imagination. Une lecture divertissante, très agréable.

   "Perlen rendit sa tablette à un Démosthène chagrin qu'on en ait piétiné la cire de si vilaines griffes. Il tenait à sa tablette et aux mots qu'il y avait tracés. Depuis le début de leur voyage, chaque soir, il avait noté sa phrase du jour, en tout petit, pour laisser la place aux suivantes, une phrase qu'il avait portée tout le jour, comme couvée. La phrase du jour, phrase d'une vie. Il aimait les relire au matin, attendri, se demandant comment serait la prochaine, si elle s'entendrait bien avec les autres. Et Perlen avait tout effacé comme une brute. Démosthène lui en voulait beaucoup. Ses phrases d'une vie, raclées comme des malpropres."


 

jeudi 7 mai 2015

Les noces fabuleuses du Polonais



Les noces fabuleuses du Polonais de Fouad Laroui aux éditions Julliard



   Dans la nouvelle d'ouverture de ce recueil, suite à un accord entre le Maroc en mal de médecins, et la Pologne à la recherche de devises, des immigrés polonais arrivent à Khourigba, sur les lieux d'une gigantesque mine de phosphates. Les nouveaux venus ne se mélangent pas à la population locale, ils restent entre eux. Sauf Matchek, un dentiste, très curieux des us et coutumes locaux. Un jour il fait part à une de ses connaissances du cru de son désir de participer à un mariage traditionnel. Qu'à cela ne tienne, flairant le gogo, Moussa se charge de tout organiser. Le dentiste sera aux premières loges puisque c'est à son propre mariage fictif que Matchek va assister. Un mariage pas si fictif que ça et qui sera lourd de conséquences.


   La nouvelle qui ouvre le recueil donne le ton  il sera question du mensonge et des situations absurdes qui en découlent. On y verra comment un catcheur doit "tuer" le père pour pouvoir exister, on y verra la tentative de mise en équation de l'amour, on y suivra les aventures rocambolesques d'un menteur patenté, racontées à la table d'un café.


  On est pris dès le début par le style plein de poésie et d'humour de l'auteur, par son imagination débordante. La plume est pleine de verve, jubilatoire, les digressions (parenthèses et parenthèses à l'intérieur des parenthèses sont savoureuses ainsi que les notes de bas de page. Un univers qui m'a fait parfois pensé à celui de Pagnol notamment dans la nouvelle qui nous raconte les fanfaronnades du menteur à la terrasse d'un café. L'humour et la fantaisie de Fouad Laroui sont tendres quand il s'agit de raconter les petits mensonges du peuple mais beaucoup plus féroce quand il s'agit de dénoncer le mensonge institutionnalisé , le mensonge d' Etat.


   Ce recueil de nouvelles est un pur bonheur de lecture. Cette lecture est une découverte pour moi qui ne connaissait pas du tout cet auteur. Une lacune que je vais combler rapidement tant j'ai aimé ce livre et la plume de son auteur.

   "Après son départ (il avait rendez-vous avec l'archevêque de Casablanca), nous restâmes silencieux, méditant ce qui venait de se passer.
    Tout de même, c'était extraordinaire.
    De deux choses l'une, ou bien Driss Basri (ministre de l'intérieur marocain, exécuteur des basses oeuvres du régime) avait réellement mis en place un univers parallèle où le temps et l'espace étaient devenus  des catégories a priori de la police. Oui bien Torrès était le plus fieffé menteur de l'univers. Dans un cas comme dans l'autre, nous étions fiers d'être les compatriotes  d'hommes de cet acabit.
   Bien sûr, s'ils avaient employé leur génie à résoudre quelques problèmes majeurs de notre pays, comme la pénurie chronique d'eau potable, les épidémies de choléra ou la scolarisation des petites filles, au lieu de l'investir dans la police ou l'élucubration, c'eût été encore mieux. Mais on ne peut pas demander la lune. Avoir eu autrefois l'immense Basri, avoir aujourd'hui de minuscules Torrès (car il y en avait dans tous les recoins), voilà qui suffit à nous rendre heureux."


mercredi 6 mai 2015

Nabab




Nabab de Sophie Dacbert aux éditons Robert Laffont




   Vous voulez découvrir le monde du cinéma de l'intérieur? Alors suivez Zoé, aspirante réalisatrice dans son parcours du combattant pour réaliser son premier film. Vous êtes prêts? Alors silence! On tourne.

    Zoé, fraîchement diplômée de la Tisch School of Arts, célèbre école de cinéma de l'université de New York, rentre en France. Elle a un projet : transformer son court métrage de fin d'études en long métrage. Toute l'équipe est déjà constituée, le lieu de tournage déniché, il ne lui  manque plus que le financement pour mener son film a bien. Très vite elle obtient une avance sur recettes du Centre national du cinéma, mais c'est loin d'être suffisant. Elle va devoir s'armer de courage et de patience pour aller frapper aux portes des principaux producteurs et distributeurs qui font la pluie et le beau temps, qui se partagent les parts du gâteau qu'est le cinéma français.

   De décembre à mai 2011, avec Zoé, nous allons à la rencontre de tous ces pontes qui font le cinéma. Les personnages réels, car dans ce roman, seul le personnage de Zoé est fictif. Les interactions entre eux sont fictives aussi mais sûrement très proches de la réalité car les aspects de leurs personnalités respectives ont été respectés. Sophie Dacbert sait de quoi elle parle car elle a longtemps été rédactrice en chef du Film français, le journal des professionnels du cinéma.

  Le lecteur plonge avec Zoé dans ce monde marqué par les rivalités entre producteurs, distributeurs courtisés par les réalisateurs désireux de faire avancer leur projet. Des rivalités qui vont jusqu'à diviser des familles. On y voit les tractations qui ont lieu autour de la sélection des films pour le festival de Cannes. Cette période décrite dans le livre est riche et fascinante puisque c'est la période pendant laquelle Thomas Langmann cherchait à imposer à la France et au monde ce projet audacieux qu'était le film The Artist, avec le succès que l'on connaît.

   Dans ce roman passionnant qui mêle habilement réalité et ficiton, Sophie Dacbert décortique au scalpel cet univers impitoyable qu'est le monde du septième  art. Elle le fait avec une plume précise, incisive, acérée, sans fioritures. On découvre un monde bien loin des paillettes et des strass, un vrai panier de crabes ou seuls les plus forts survivent.

  "Mais après six mois de démarches infructueuses, la famille du cinéma commençait à lui donner des boutons. Ils ne répondaient en rien à ce quelle s'était imaginé. Elle s'attendait à de vrais cinéphiles, des passionnés, des saltimbanques, des hurluberlus, des curieux. Jusqu'ici, elle n'avait rencontré que des gens dénués de fantaisie, mi-financiers mi-hommes de marketing, qui lui rabâchaient le même discours : la dictature des télévisions dans le financement du cinéma, le trop grand nombre de films produits, la dérive des cachets des comédiens, l'obsolescence de la convention collective des techniciens. Tours et détours pour ne pas résoudre son problème : comment finir Girls, son premier et probable dernier film."



mardi 5 mai 2015

On ne joue pas avec les épées




On ne joue pas avec les épées de Fanny Salmeron aux éditions Robert Laffont




   L'amour est un jeu dangereux. Un jeu qui blesse qui tue, mais on ne peut pas vivre sans y jouer. En dix-huit nouvelles c'est ce que nous montre Fanny Salmeron dans ce recueil. L'amour décrit dans les contes de fées dont on nous abreuve étant enfant est bien loin de la réalité.

  "Vous savez on nous dit que peu importe les envies, peu importe vers où se porte l'amour, tant qu'il est là, alors ça va. On nous dit qu'on a le choix. On oublie de préciser que parfois les choses s'imposent et que parfois aussi s'impose le vide. L'absence. La lutte du rien, son invasion. On oublie de nous dire qu'il y a la vraie vie d'adulte et son lot de consolations. Le sexe pour faire taire le coeur et l'argent pour oublier que tout brûle.
    Bien sûr qu'il s'agit en fait de dragons à sauver et de princesses à apprivoiser. On achève bien les chevaux . Mais on devrait être prévenus."

   Car nul n'est préparé pour l'amour à la folie, nul n'est à l'abri de la folie de l'amour. Dans ces nouvelles Fanny Salmeron nous parle des ravages de l'amour. Elle nous montre l'amour fou, l'amour non partagé, l'amour rêvé, la solitude du coeur. Ce sont des coeurs qui souffrent mais des coeurs vivants qui sont décrits ici, des coeurs qui battent douloureusement, des coeurs blessés. Ces nouvelles sont  portées par la plume tour à tour tendre et cruelle de l'auteur, une plume pleine de poésie et d'humour. Une recueil plein d'émotion ou le rire n'est jamais loin des larmes. Un recueil plein d'imagination, d'inventivité, d'originalité pour décrire ce thème éternel de la littérature.

   On y voit notamment une jeune femme seule qui explique l'amour à Georges le sushi auquel elle a dessiné un visage pour lui tenir compagnie.

   "- L'amour : idiot et essentiel. L'amour: les épices et la lumière. L'amour : le réconfort et le supplice. L'amour : transforme ton coeur en Japon, des morceaux de volcan éparpillés dans un océan  - et des milliers de séismes. L'amour : tout de même joli. L'amour: important comme les arbres. L'amour : un gramme de cocaïne dans un monde de putes."

  Que dire de plus sinon que le style de Fanny Salmeron, ses histoires m'ont touché car ils retranscrivent à merveille, la douceur, la violence, la poésie belle et cruelle de l'amour. Une superbe découverte qui touchera tout le monde car qu'y a-t-il de plus universel que l'amour et ses aléas.

   

dimanche 3 mai 2015

Le premier qui voit la mer



Le premier qui voit la mer de Zakia et Celia Héron aux éditions Versilio




  Le livre commence en avril 1956 en Algérie. Leila  vit avec sa famille dans un quartier où les Français sont majoritaires. Ses amies sont françaises, Leila et ses soeurs partagent leurs occupations entre leurs tâches domestiques, l'école et le jeu avec leurs copines. La présence militaire se fait de plus en plus forte, les heurts entre communautés s'amplifient. La famille de Leila paie son tribut à la guerre, un frère de Leila disparait, son père est incarcéré dans un camp puis relâché. C'est une période traumatisante pour Leila qui perd ses amies françaises et doit fuir Alger pour être plus en sécurité, elle se retrouve au collège à Blida dans une école où les arabes comme elle, sont rares.


   En 1962, l'Algérie devient indépendante, maîtresse de son destin. Mais les choses difficiles commencent pour ce pays soumis aux tensions entre différentes factions. Peu à peu l'islamisme gagne du terrain, les femmes sont stigmatisées, elles doivent rester à leur place, porter le voile. Leïla devenue jeune fille, est athée, elle ne parle que l'arabe parlé et le français. Pour elle l'arabe classique que le gouvernement cherche à imposer est quasiment une langue étrangère. Dans ce pays qu'elle participe à reconstruire elle ne se reconnaît plus. Face aux dangers qui la guettent mais aussi par goût et par désir de liberté elle va choisir l'exil surtout qu'elle est mariée à un Français. Elle ne veut pas voir grandir ses filles dans ce pays.


    Dans ce récit où deux générations s'expriment, celle de Leïla puis celle de sa fille, il est question d'identité, de racines. L'identité de Leïla est bouleversée par le conflit, elle y perd ce qu'elle avait toujours connu, la présence française, l'école française, la langue. Cette langue qui l'a construite qui l'a faite telle qu'elle est, ou plutôt sa double langue, l'arabe parlé et le français. Elle va d'ailleurs trouver un palliatif à ce déchirement, un temps, en s'occupant d'enfant sourds muets et en apprenant la langue des signes, la langue de l'émotion. L'identité de Leïla va être bouleversée aussi sur le plan religieux. La religion a toujours eu une place importante dans la vie de sa famille de son peuple, Dieu est partout dans la langue, mais Leïla, elle, est athée, elle va se rebeller contre l'islamisme de plus en plus présent. Elle va tenter de se reconstruire en opposition à cette Algérie islamiste.

   Pour Dalya, le problème d'identité est différent, c'est la troisième des filles de Leïla elle n'a pas connu la vie en Algérie, ne parle d'ailleurs pas l'arabe. La construction de sa personnalité est rendue difficile par ce qu'elle ignore de ses origines, sa mère ne lui parle pas en arabe seulement en français. Elle est tiraillée entre ses deux cultures, l'une dans laquelle elle vit mais dans laquelle elle n'arrive pas à se fondre totalement et l'autre, la culture algérienne, qui lui est inconnue mais qui agit comme un manque dans sa vie.


    Zakia et Célia Héron, mère et fille, nous livrent ici un récit sur la guerre, l'exil, l'identité. Un récit passionnant, poignant sous forme de journal. Un livre où la mer est une frontière entre soumission et liberté, entre présent et passé pour les deux femmes. Cette mer que l'on franchit parfois pour les vacances mais avec la peur au ventre, celle de ne peut pouvoir revenir. Une frontière physique qui n'empêchera jamais les souvenirs, les bons et les moins bons de voguer d'un pays à l'autre.



   "Une goutte tombe du plafond, brulante sur ma nuque.
     Algérie. Une guerre, puis une autre. Dans la première nous étions "les autres". Dans la seconde, le "nous a implosé, ouvrant le champ à de nouveaux affrontements. Guerre gigogne.
     Une autre goutte s'écrase.
     France. Un peu de ce "nous" de là -bas se retrouve ici. Jeux de miroirs, ironie de l'histoire. Presque une histoire drôle sans tous ces morts. Comme dirait Coluche "On ne sait pas qui sont les autres et qui nous sommes, nous."
    Que fait-on si on est pris dans le feu croisé de regards, sans humanité, sans humour?"




vendredi 1 mai 2015

Souvenirs de lecture 8 : Frédérique Deghelt




Souvenirs de lecture 8 :Frédérique Deghelt


  Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui, c'est Frédérique Deghelt qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. je la remercie chaleureusement pour son temps si  précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?



FD :     Il ne peut y avoir un seul livre qui représente mon adolescence. Quand j'y pense, plusieurs se télescopent et disent combien ils ont apporté, chacun à leur manière, une ouverture , une piste, un champ de possibles explorations futures. Il n'y a pas d'ordre de préférence ou de chronologie dans ma réponse. Il y eut Autant en emporte le vent et les livres des soeurs Brontë, Jane Eyre et Les hauts de hurle-vent qui m'ont initiée à la grandeur romanesque inscrite dans un tissu social, dans une époque et une problématique particulière, mais avec la force que possède l'amour dans son intemporalité, son universalité. Je me suis imprégnée des paysages sonores, sensuels de la Louisiane, de l'Angleterre campagnarde ou même de la Russie avec Anna Karénine que j'ai lu à la même époque. C'est aussi le cas de Flaubert avec Madame Bovary, de Stendhal avec Le rouge et le noir, ou d'Ambre de Kathleen Winsor...

           Et par ailleurs, l'adolescence a été le moment où je découvrais Le journal d'Anne Franck, La vingt-cinquième heure de Virgil Gheorghiu, Pilote de guerre, Vol de nuit de Saint Exupéry (j'adorais cet auteur) des récits ou romans qui dénonçaient la destinée tragique d'un temps de guerre tout proche de mon existence puisque j'avais autour de moi des adultes qui avaient vécu ces événements.

          Je ne peux pas dire qu'un livre m'ait marqué plus que les autres, c'était plutôt la lecture qui était en train de me marquer. C'était une chose incroyable cette possibilité immense, magique, d'entrer dans d'autres mondes que le mien, d'autres époques, d'autres univers, sans bouger. S'extraire comme on s'absente. Vivre d'autres vies que la sienne. C'est aussi le cas quand on écrit.


LLH : En quoi ces livres ont ils influencé votre désir d'écrire ?

FD :     Ces livres ont influencé mon désir d'écrire en créant du vide. Ils ont ouvert une brèche, une absence de mots dans ma propre vie, un désir de nommer ce qui me venait. Ils ont apporté une réponse ou plutôt d'autres questions à la manière dont je regardais le monde. Tout d'abord avec la poésie parce que le temps de l'adolescence est celui qui est le plus propice à la résistance et la poésie est le berceau même de cette lutte émotionnelle, elle soutient les arcanes de la révolte. J'ai donc écrit très tôt, des poésies  et des textes courts. Parallèlement à ces lectures, les récits ne me venaient qu'en se cachant dans ce langage métaphorique, rythmé, puissamment sonore. J'étais née dans une famille de musiciens, il fallait donc que l'écriture chante. J'ai gardé ce désir harmonique plus tard, dans l'écriture de mes romans, dont la toute dernière relecture se fait avec un comédien qui vient me lire le roman en entier. Je l'écoute en annotant mon exemplaire. Tout ce qui n'est pas fluide au niveau sonore, je le modifie. C'est également un moment très important où je teste en direct sur une personne l'effet émotionnel de l'histoire. Même si chaque lecteur peut être touché par des choses différentes... Curieusement certains livres déclenchent une intense envie d'écrire et d'autres paralysent ou m'obligent à y penser longtemps avant de me jeter à l'eau. Tout ça est évidemment très intuitif et inconscient. Ce n'est pas en lisant un livre ou plusieurs qu'on se dit je voudrais écrire en analysant telle ou telle raison. On ne se "pense pas écrire", on n'incarne pas le désir charnel d'écrire dans une pensée réfléchie. On écrit, voilà tout. On enlace les mots, on court sur la page, on se jette parce que c'est là , en soi ; ça bondit, ça joue, ça chante, ça murmure, ça gueule, ça raconte... On est délicieusement soumis à l'impulsion.

LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur .

FD :     Le prix des âmes d'Emmanuelle Pol aux éditions Finitude. J'adore cet auteur et ces éditions qui représentent pour moi des livres bijoux, une maison comme le fut Actes Sud à ses débuts avec une qualité, une sensualité du contenant et du contenu. Quant à Emmanuelle, elle explore avec beaucoup de force  et de charme des problématiques originales.

            Liberace d'Amanda Sthers dans la collection Miroir chez Plon. C'est raconté à la première personne et tout y est si juste.

           L'ombre de nous-mêmes de Karine Reysset chez Flammarion, qui explore le thème de la maternité dans des conditions extrêmes avec une grande finesse.

           Le principe de Jérôme Ferrari chez Actes Sud. C'est totalement original et pertinent. L'écriture de Jérôme a une immense force. Il écrit toujours au bord du gouffre et j'aime énormément ça.

          Ce qui reste de nos vies, de Zeruya Shalev chez Gallimard. C'est une romancière israélienne très importante car elle a rendu leur vie intime aux lecteurs de son pays. J'aime beaucoup sa sensibilité.

          Un monde flamboyant de Siri Hudsvedt chez Actes Sud. Je l'ai découverte avec Tout ce que j'aimais et je n'ai plus cessé de la lire.

          Naked Woman Playing Chopin, de Louise Erdrich, publié chez Albin Michel sour le titre Femme nue jouant Chopin. C'est une romancière amérindienne qui intègre quasiment dans tous ses livres la problématique des indiens. Elle raconte de manière très intime les drames personnels sans jamais les dissocier du contexte du plus grand génocide américain.


Biographie

      Je suis née  "Graves", entre le Haut-Brion et le Pape Clément et j'ai passé 20 ans à Bordeaux dans une ambiance de musique, de surf et de navigation à la voile. Après une licence d'histoire Géo, puis une maîtrise d'Information et de Communication, je suis entrée dans des agences photos à Paris et j'ai alterné ces postes avec des enquêtes sur le terrain où je faisais photos et textes, puis très vite des documentaires ou des émissions de reportages pour la télévision. J'ai abandonné le journalisme en 2009 pour écrire à temps plein. Pendant toutes ces années où j'exerçais le métier que j'avais choisi et qui me passionnait, l'écriture était là , très prenante l'été et constante le reste de l'année. Je crois même que j'ai abandonné la presse écrite parce qu'elle m'enfermait dans des codes. J'ai préféré écrire pour mon métier avec une caméra. J'ai écrit mon premier roman à 29 ans  et personne n'en voulait. Le deuxième non plus, c'était La vie d'une autre et il est resté 4 ans dans un tiroir avant qu'Hubert Nyssen ne lise les 30 premières pages et décide immédiatement de le publier.



Livres :

    La valse renversante (Mistiguett et Maurice Chevalier) Paru en 1995 aux Editions Sauret
    La vie d'une autre janvier 2007 aux Editions Actes Sud, Collection Un endroit où aller (traduit en Allemagne, Italie, Pologne, République Tchèque, Pays Bas, Suède, Hongrie) adapté par Sylvie Testud avec Juliette Binoche et Mathieu Kassovitz, sortie février 2012)
    Je porte un enfant et dans mes yeux l'étreinte sublime qui l'a conçu (recueil de textes poétiques et photos de Sylvie Tergal paru en mai 2007)
    La grand-mère de Jade Janvier 2009 chez Actes Sud collection Un endroit où aller
    Le cordon de soie, Novembre 2009 (Deuxième opus des textes poétiques et photos de Sylvie Kergall)
    La nonne et le brigand, Janvier 2011 chez Actes Sud collection Un endroit où aller
    Ma nuit d'amour septembre 2011 chez Actes Sud Junior, collection D'une seule voix
    Un pur hasard, mars 2012 aux Editions du Moteur
    Cassée paru en février 2014 chez Actes Sud Junior collection D'une seule voix
    Les brumes de l'apparence, parue en mars 2014 chez Actes Sud
    Le voyage de Nina, paru en juin 2014 inédit au Livre de Poche
    L'oeil du Prince, paru le 2 septembre 2014 inédit chez J'ai Lu


   Encore un grand merci à Frédérique Deghelt pour sa gentillesse et son temps. Tous les titres des romans de Frédérique ayant fait l'objet d'une chronique sur ce blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique en question d'un simple clic.