samedi 3 décembre 2016

Les corps fragiles



Les corps fragiles d’Isabelle Kauffmann aux éditions Le Passage

Marie-Antoinette découvre très tôt sa vocation. Un jour alors qu’elle rentre de l’école, elle voit sa mère discuter avec la voisine. Au cours de la conversation, elle tombe en arrêt sur les mains de la vieille dame, des mains déformées par la polyarthrite. La jeune fille est bouleversée par ces mains, par la souffrance qu’elles engendrent.

« C’était injuste, je me révoltai. On m’expliqua qu’il n’existait pas de traitement miracle. Mais les sanglots retenus de madame Masson avaient déchiré le voile de mon innocence, je ne pouvais plus les ignorer. Je voulais soulager ses souffrances. Puisqu’elle ne pouvait plus se servir de ses mains, je lui prêterais les miennes. Je décidai d’aller, tous les matins, l’aider à mettre ses bas et ses chaussures. »

Cette vocation du soin et de l’aide, ne sera jamais démentie, elle accompagnera Marie-Antoinette pendant toute sa carrière d’infirmière. Quarante ans de bons et loyaux services qui accompagneront les avancées de la médecine et le progrès social. Elle deviendra la première infirmière libérale de Lyon.

Dans ce roman plein d’humanité, ce récit de vie, Isabelle Kauffmann a su éviter le piège du récit chronologique fastidieux. La construction du roman est originale puisque chaque chapitre traite d’un membre du corps. Un membre que Marie-Antoinette doit soigner, ou un membre de son propre corps qu’elle utilise dans l’exercice de son métier.

« Certainement la part essentielle. Je pense que c’est d’elle que j’ai le plus exigé. Comment aurais-je pensé que les jambes avaient tant d’importance dans cette profession où mes aspirations d’enfant ne voyaient qu’écoute et soins dispensés aux malades ? Faites un sondage, demandez à cent personnes quelles sont les qualités nécessaires à une infirmière pour exercer au mieux son métier, toutes vous parleront de dévouement, d’empathie, de rigueur, de dextérité, de vivacité, de connaissances ou d’initiative, vous déclineront une série d’aptitudes intellectuelles ou de cœur, mais personne ne mentionnera les jambes. Et pourtant, il les faut solides et réactives, aussi stables qu’endurantes et même infatigables. »

Les corps fragiles est un vibrant hommage rendu à ces personnes qui exercent la profession de soignants par vocation. Ces femmes, ces hommes qui entrent dans l’intimité de nos corps et de nos foyers pour apporter, les soins et l’apaisement. Ces infirmières, médecins, qui tentent de réparer nos corps et de soulager nos âmes. Leur travail ne s’arrête pas à la machinerie, l’aspect humain, l’écoute, l’empathie, le soulagement de l’esprit sont aussi primordiaux.

Les corps fragiles est un roman plein de cette humanité nécessaire dans l’exercice de cette vocation. Une humanité dont nous avons bien besoin par les temps qui courent.

« - Nous avons une génération d’écart, Françoise, mais sur le fond, rien n’a changé. Nous soignons des corps souffrants, nous les torchons, les lavons, les piquons, les frictionnons, les remuons, alors que ce sont les âmes qui nous importent. La relation avec nos patients anime notre vocation, c’est ce lien qui compte. Et pourtant, ces corps mènent la danse, ce sont toujours eux qui ont le dernier mot. »

2 commentaires:

  1. Habituellement, je ne lis pas de chroniques avant d'avoir moi-même découvert l'ouvrage. J'aime me sentir totalement libre de mes ressentis. Mais là, sachant que j'ai déjà tellement à lire... je viens de parcourir ton texte. Il est magnifiquement écrit et donne à coup sûr envie... Merci.

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  2. tout à fait la lecture émouvante dont je ponctue mes lectures, un peu de vraie émotion, des fictions, des frissons, découverte.
    donc je le met dans ma pal , merci Denis pour cette chronique d'une humanité sensible

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