mardi 26 mai 2015

Le port




Le port de Jean-Yves Loude, illustrations de Nemo aux éditions Vents d'ailleurs




   Djibril est Guinéen. Djibril est le fils d'un ancien tirailleur sénégalais abandonné par le pays pour lequel il a combattu. Djibril rêve du Port. Le Port c'est le Nord, le Port c'est l'Europe. Djibril collectionne les vignettes contenues dans les boîtes de lait "Petit nid d'oiseau" qui représentent cette Europe rêvée, cet endroit où tout est possible, où tout est plus facile, où tout est bleu, cette Europe qui avait colonisé son pays et qui l'a jeté, comme elle jette tout ce dont elle ne veut plus.



  Djibril est prêt à tout abandonner pour réaliser ce rêve. Il est prêt à abandonner la terre qui l'a vu naître, cette terre aride, stérile qui l'a façonné. Il est prêt à laisser Assa cette femme exclue car jugée stérile par son mari, cette femme à l'image de la terre de son pays, répudiée, jugée comme une sorcière "dévoreuse d'enfants". Il viendra la chercher quand il aura réussi.


   "Fait-il jour ou nuit ? Le froid congèle chaque minute qui passe. Mes pensées se figent une à une. Ma tête s'alourdit. J'ai peur du sommeil. Il est le meilleur allié du serpent. Je lutte. Je ne veux pour rien au monde perdre conscience. Les grands magasins du Port ont ils déjà ouvert leurs portes? Je tenterai, demain, d'être le premier à entrer et à dire merci."




   Jean-Yves Loude porte la voix de Djibril, il exprime son rêve désespéré, son désir d'un ailleurs où la vie serait plus facile. Il le fait avec émotion, avec une poésie toute africaine. Il est le chantre  de tous ses candidats au voyage clandestin, de ces enfants perdus, ceux que l'on retrouve au large de Lampedusa, ou transis de froid cachés dans les trains d'atterrissage des avions.  Le port est un livre fort, un livre à la beauté tragique. Un livre où  la superbe plume de Jean-Yves Loude se marie avec les illustrations de Nemo. Un bel objet où l'on retrouve les vignettes collectionnées par Djibril glissées dans la reliure, indépendantes. Le port est un court roman, un petit livre par la taille mais un grand livre par l'émotion et la poésie désespérée qui s'en dégagent. Un livre qui porte la voix de tout ces êtres que l'on entend pas, que l'on écoute pas. Merci pour ce grand moment de leture.

  Jean-Yves Loude et le guitariste Bruno-Michel Abati ont fait de ce livre une lecture-concert où les extraits du roman et les morceaux de guitare  classique se succèdent. Une heure d'émotion pure. S'ils passent près de chez vous n'hésitez pas.

 

1 commentaire:

  1. jolie idée de ressortir ces jours ci cette chronique, une pensée pour toutes ces destinés difficile car sans destination, à lire ou à relire

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