Souvenirs
de lecture 33 : Jean-Marie Palach
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont
profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se
souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a
semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que
nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui
c’est Jean-Marie Palach qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je
le remercie pour son temps précieux, sa
gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans
votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
JMP : C’est difficile de faire un choix, beaucoup de livres m’ont à l’époque
séduit. J’étais un gros lecteur, avec une forte inclination pour la poésie.
Pendant toute mon enfance, j’ai entendu ma mère réciter des poèmes entiers,
j’ai à mon tour été sensible à leur musicalité et aux émotions particulières
qu’ils véhiculent. Mais j’aimais aussi les romans. J’en citerai deux, qui ont
en quelque sorte encadré mon adolescence.
Le premier « Grappin d’or », de Jean Ollivier, décrit les
aventures d’un garçon de Saint-Malo qui embarque sur un navire de corsaire et
devient lui aussi un fameux marin. J’ai dû lire ce roman à douze ans. Il m’a
fasciné, je me suis identifié au héros et j’ai bourlingué avec lui sur
l’Atlantique, conquis des citadelles portugaises au Brésil, lutté au
corps-à-corps après un abordage et foulé des terres auparavant inconnues des
Occidentaux. Jean Ollivier a disparu de la mémoire collective. Pourtant, il a
écrit de nombreux ouvrages remarquables, en particulier sur les Vikings. Ils
m’offraient du dépaysement, une ouverture sur le monde, des peuples aux mœurs
différentes, des paysages magnifiques, le tout avec un zeste d’aventures et de
sentiments.
Le deuxième « L’attrape-cœurs » de J.D. Salinger, m’a cueilli
a froid vers quinze ou seize ans. A l’époque,
je lisais plutôt les grands romans du dix-neuvième siècle. Salinger m’a projeté
dans le vingtième siècle en exprimant parallèlement les doutes d’un adolescent
qui correspondaient pour partie à mes interrogations du moment. Le style
n’avait rien à voir avec Hugo, Zola ou Jules Vernes. Jusque là, j’avais une
conception classique de l’écriture, au moins lorsqu’il s’agissait de romans. La
poésie d’Appolinaire m’avait montré qu’on pouvait jouer avec les mots. Mais
l’écriture de Salinger a été une révélation. Elle colle parfaitement à l’état
d’esprit du personnage qui s’exprime à la première personne. Bref, ce roman m’a
passionné à plusieurs titres. Ensuite, Boris Vian, Raymond Queneau et d’autres
m’ont confirmé les infinies possibilités de l’assemblage des mots.
LLH :En quoi ces livres
ont-ils une influence sur votre désir d’écrire ?
JMP : Ils sont surtout des références. J’aimerais qu’un de mes romans produise
un jour un effet équivalent à celui que j’ai ressenti en les lisant. Ils sont
des exemples d’une alchimie réussie entre les histoires et les émotions que
veut transmettre l’auteur et le moyen - les mots - utilisé, peut-être même
au-delà de ce que l’auteur lui-même avait souhaité, si on en juge par ce qu’est
devenu J D Salinger après le succès de son roman. Donc, je ne suis pas certain qu’ils aient eu
un rôle prépondérant dans mon désir d’écrire.
En revanche, ils ont sans doute une influence sur ma manière d’écrire.
Pour l’anecdote, j’ai écrit l’an dernier un roman pour la jeunesse dont le
héros ressemble furieusement à celui de Grappin d’or. C’est peut-être une façon
de remercier Jean Ollivier de m’avoir fait rêver.
LLH : Quelles sont vos
dernières lectures coups de cœur ?
JMP : J’ai adoré « La fin de l’innocence » de Megan Abbott.
L’histoire se déroule dans une banlieue tranquille du Midwest dans les années
80. Une gamine de 13 ans est enlevée par un voisin nettement plus âgé, père de
famille, rangé, a priori sans problème. Sa meilleure amie raconte les réactions
de la famille et du quartier, au fur et à mesure que l’enquête progresse. Le
roman adopte volontairement un rythme lent, il est un brin subversif, le
lecteur n’est pas certain qu’il s’agisse véritablement d’un enlèvement, la
victime était probablement consentante. Le drame secoue les protagonistes et remet
en cause des relations qui paraissaient bien établies. Comme la narratrice a
elle aussi 13 ans, les bouleversements auxquels elle assiste et qu’elle décrit surviennent
alors qu’elle ressent intimement des changements profonds, d’où le titre du
livre. J’ai aimé ce roman. L’auteur réussit à nous captiver avec très peu
d’action, tout est dans la finesse de l’évocation psychologique, c’est un tour
de force.
Biographie
Né à Montauban, Jean-Marie PALACH ne passe que sept années dans la ville
natale d'Ingres et de Bourdelle, mais aussi d'Olympe de Gouges. Peut-être
a-t-il puisé dans l'histoire merveilleuse et tragique de la jeune femme une
admiration pour le sexe dit faible, qui l'a incité à créer des héroïnes à la
forte personnalité, indépendantes de caractère et parées de qualités
exceptionnelles.
À sept ans, cap sur la Capitale, du moins une banlieue de classes
moyennes, où les immeubles et les pavillons récents ont inexorablement remplacé
les cabanes de jardin et les WC équipés de lunettes en bois. Le matin, la
plupart des habitants foncent à la gare, direction Paris, d'où ils reviennent
le soir, dans l'attente d'un week-end salvateur. Toutes ces existences
ballotées sont un formidable matériau pour des œuvres futures.
Après le bac, Jean-Marie étudie cinq ans dans une école d'ingénieurs à
Toulouse. Diplôme en poche, il entre dans l'administration, puis réussit le
concours d’entrée à l’ENA et poursuit
aujourd'hui sa carrière à l’inspection générale des affaires sociales à Paris.
Jean-Marie est venu à l'écriture par les concours de nouvelles. Il a remporté
le premier concours auquel il a envoyé un texte et sa nouvelle a été publiée.
D'autres succès ont suivi. Encouragé par ces résultats, il a rédigé son premier
roman, La Conjuration des masques, en conservant dans cet exercice la densité
et la vivacité propres aux textes courts. Le roman est publié en 2012 Par
Corsaire éditions. Quatre autres ont suivi : Retour aux sources (Corsaire
éditions 2014) ; Souvenirs envolés (Corsaire éditions 2014), le théorème de
l’uppercut (Daphnis et Chloé 2015), Du sang sur le tapis rouge (Corsaire
éditions 2016).
Encore un grand merci à Jean-Marie Palach pour son
temps et sa gentillesse.
Jean-Marie a publié en 2015, chez Daphnis et
Chloé, Le théorème de l’uppercut. Ce roman a fait l’objet d’une chronique sur
le blog, en voici le lien : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2016/03/le-theoreme-de-luppercut.html
merci le HIbou pour ce portrait , longue et belle route Jean Marie, ce théorème est très séduisant
RépondreSupprimer