Souvenirs de
lecture 30 : Monique Ayoun
Nous
avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme
des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les
lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles
lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient
influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Monique Ayoun qui me fait l’honneur
de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa
gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans votre
adolescence vous a le plus touchée et pourquoi ?
M.A. : A l’âge de 17 ans, j’ai été éblouie
par « Noces » d’Albert Camus, C’était un vrai choc. J’ai adoré
le lyrisme, la poésie, la sensualité de ce texte magnifique où Camus exalte la
nature. Mon souvenir est précis : j’étais en classe de première, la prof
m’avait demandé d’en lire un passage à haute voix et je me souviens de cet
instant où tout s’est immobilisé autour de moi. J’ai eu un déclic. J’ai compris
tout à coup l’immense pouvoir des mots et de la littérature. A l’époque, je
lisais uniquement de la poésie (Rimbault, Apollinaire, Eluard...), mais à
fortes doses. J’étais imprégnée, pétrie de poésie. Les romans me tombaient des
mains, « La marquise sortit à cinq heures », je ne comprenais pas
bien quel intérêt cela pouvait avoir. Mais après la découverte de
« Noces », je me suis bien sûr jetée sur tous les romans de Camus. La
lecture du célèbre «Etranger » a produit en moi le même mystérieux
phénomène que « Noces ». Sans doute en plus fort. Quand j’ai lu la
phrase où Meursault appuie sur la gâchette et détruit d’une seule balle
« l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été
heureux », j’ai été ramenée des années et des années en arrière, à
l’époque où mon oncle a été assassiné, en Algérie, d’une balle derrière la
nuque et où mes parents se sont enfuis d’un pays qu’ils adoraient.
LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une
influence sur votre désir d’écrire ?
M.A. : Ces deux livres m’ont plongée dans une histoire
que je connaissais à peine et j’ai été happée. Ils m’ont donné envie de
retrouver quelque chose qui avait été perdu (même si à l’époque j’aurais été
incapable de dire quoi !). Je suis née en Algérie mais j’en suis partie
très jeune, je n’avais presque aucun souvenir. Quant à mes parents, ils n’en
parlaient jamais. C’était quelque chose de trop douloureux pour eux, ils se
sont murés dans le silence. J’ai reçu sans le savoir cette
blessure, ce traumatisme en héritage. Au
début, j’ai donc sans doute écrit pour briser le silence de mes parents, pour
comprendre leur histoire qui est aussi la mienne. Ce n’était bien sûr pas
conscient, je l’ai compris bien plus tard ! Ecrire, c’était pour
moi remonter à la source, revenir aux origines, raconter une histoire qu’on a
voulu refouler au plus profond de l’oubli. Mon premier roman, « Le Radeau
du Désir » raconte (en partie) l’histoire de cette famille, la mienne,
exilée à Paris.
LLH : Quelles sont vos dernières
lectures coups de coeur ?
M.A. : J’ai été très
impressionnée par « La cache » de Boltanski (Editions Stock). L’histoire d’une drôle de famille,
fusionnelle et phobique. Le grand-père, après avoir survécu à la boucherie de
14-18, dut se cacher pendant la seconde
guerre mondiale durant vingt mois chez lui, dans un réduit. Cette expérience
eut des répercussions sur toute sa famille… C’est un formidable premier roman,
plein de surprises et de générosité.
J’ai également eu un coup
de cœur pour « La Belle affaire » de Sonia Ristic (Editions
Intervalles). C’est l’histoire d’une jeune femme qui n’a jamais pu oublier son premier grand
amour, vécu en Afrique. L’écriture est merveilleusement fluide. C’est à la fois
léger et dense, plein de couleurs, de saveurs, de sensualité. Ce livre m’est
resté en mémoire très longtemps. C’est bien à cela qu’on reconnaît les bons
livres, vous ne trouvez pas ?
Biographie
Elle est Parisienne depuis sa plus
tendre enfance, mais elle n’a jamais oublié que sa ville natale c’est :
Alger. Enfant, elle en entendait parler dans toutes les conversations, elle en
goûtait la saveur dans tous les plats. C’était un lieu à la fois très présent
et totalement inaccessible. Ce lieu interdit, cet « ailleurs
merveilleux », elle l’a toujours recherché et beaucoup voyagé pour le trouver,
mais elle sait bien aujourd’hui qu’il n’existe que dans son imaginaire… et
heureusement bien sûr dans les livres !
A 18 ans, elle n’aime que la
poésie, elle lit et écrit des poèmes, rien d’autre ne lui plaît. Elle se
retrouve donc en Fac de Lettres.
Parallèlement, elle collabore à
divers journaux : Jeune Afrique, Femme, Psychologies, le Nouvel Obs etc.
Après une Maîtrise de Lettres sur
Henri Michaux à Paris III Sorbonne, elle publie plusieurs romans :
« Le Radeau du Désir »
(Belfond) où elle explore à la fois la névrose familiale et les tourments d’une
passion flamboyante ; « Viens ! » (Hugo-roman) (qui parle
du désir d’enfant autant que du désir tout court) ; « Histoire de mes
seins, avec des dessins de Wolinski » (Editions Plon) où elle poursuit,
sur le mode humoristique et burlesque, son exploration à la fois de la névrose
familiale et de l’intimité féminine ».
Elle vient de publier
« L’Amant de Prague » aux Editions La Grande Ourse, le double portrait
d’un homme et d’une ville.
Elle est également l’auteur de deux
essais : « Mon Algérie » (Editions Hugo.doc) et
« Musulmanes et Laïques en révolte » (Editions Hugo.doc)
Actuellement, elle est chroniqueuse
littéraire à Biba et anime une émission littéraire sur Radio Judaïques FM.
Encore un grand merci à Monique
Ayoun dont je vous invite à découvrir le très beau dernier roman ; L’Amant
de Prague. Les titres cités par Monique Ayoun ayant fait l’objet d’une
chronique sur ce blog apparaissent en couleur et disposent d’un lien vous permettant
d’accéder à la chronique correspondante.
chapeau bas, sur le parcours, les oeuvres, la sensibilité et la personnalité. à lire sans modération
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