mercredi 12 décembre 2018

Concours pour le Paradis



Concours pour le Paradis de Clélia Renucci aux Éditions Albin Michel



Venise, le 20 décembre 1577. Un terrible incendie ravage le Palais des Doges. Seul un orage providentiel parvient à sauver la structure de la bâtisse mais les dégâts à l’intérieur sont importants. La Salle du Grand Conseil est particulièrement touchée. Son joyau, l’immense fresque Le Paradis, est dévorée par les flammes.

Un concours est organisé pour remplacer ce chef-d’oeuvre qui faisait la gloire de la république vénitienne. Cinq artistes sont nommés : deux grands noms, Tintoret et Véronèse, un peintre reconnu, Zuccaro et deux jeunes peintres prometteurs, à peine sortis de l’atelier paternel, Palma le Jeune et Bassano.

Le tableau devra être à la gloire de Venise, au faîte de sa puissance après la victoire conte les ottomans à Lépante, mais aussi respecter les canons religieux édictés par le concile de Trente. L’Inquisition veille. Il faudra aussi ménager Rome, la grande rivale pour ne pas attiser les tensions.

Le tableau ne sera achevé et exposé à l’admiration du public que le 7 mai 1592 soit 15 ans après l’incendie.

La première partie du roman traite de l’organisation du concours, des dissensions entre les conseillers de la commission d’organisation. Les concurrents se mettent au travail, ils doivent proposer leurs esquisses. L’auteur met l’accent sur la rivalité entre les deux figures tutélaires de l’art vénitien : Le Tintoret et Véronèse. Deux personnalités bien différentes. Le Tintoret est un personnage bougon, bourru tout entier consacré à son art. Véronèse, quant à lui, est un artiste de génie mais plus dilettante, un mondain. Entre ces deux-là, tous les coups sont permis.

«Ce qui l’amusait le plus, c’était que le maître du clair-obscur ne pourrait jamais l’accuser de plagiat, ou il lui faudrait admettre avoir concouru avec une esquisse vieille de dix ans.
Ce genre de raisonnement digne de Machiavel plaisait à Véronèse qui, en plus d’avoir une âme d’artiste, possédait celle du plus roué des courtisans. Que la République crie au génie pour un faussaire et chasse l’honnête homme comme un paria, voilà à quoi voulait désormais arriver Véronèse. »

La deuxième partie nous montre tout le processus artistique, la réalisation du tableau. L’auteure nous plonge dans les affres de la création. Les moments de doute qui succèdent à l’euphorie. Elle nous montre tout le travail des ateliers, celui des petites mains, des apprentis qui préparent la toile. La création d’une telle œuvre est un travail d’équipe, même si seul le maître apposera sa signature sur la toile.

En refermant ce livre, je n’ose imaginer la somme de documentation ingurgitée par l’auteure. A l’image des différentes opérations réalisées par les apprentis des ateliers de l’époque pour apprêter la toile, un vrai travail de romain. Que de patience avant de voir l’œuvre finale prendre forme sur le papier. Un premier roman passionnant, éblouissant qui nous plonge dans la vie des artistes de la Renaissance à Venise.

Une auteure à suivre.

« Pardonnez-moi, mais je ne suis pas sûr de répondre avec subtilité à ces questions. Après tout, je ne suis pas peintre et ne me flatte nullement de posséder aucun talent en matière de symétrie et de perspective. Je lis les textes et je sais les transmettre. Comme Ézechiel, je reçois la parole de Dieu, la Vérité divine, et je dois tenter d’en propager la sève en gardant pour moi son amertume. Alors que vous, bel artiste, cher Véronèse qui avez montré tant de fois dans cette église votre talent et votre audace, vous devez en quelque sorte montrer à Dieu Lui-même, l’univers qu’Il a créé et, pire encore, vous devez Lui montre celui que nul n’a jamais pu voir. Par la réalité de vos pinceaux, vous allez révéler l’apparence de nos âmes, reproduire l’impalpable, engendrer l’inénarrable. »

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