Le guetteur de Christophe
Boltanski aux Éditions Stock
Alors qu’elle vient de mourir, Christophe Boltanski essaie
de reconstituer l’histoire de sa mère dont il s’était éloigné.
Qui était donc ce personnage énigmatique, cette silhouette
perdue dans le brouillard de ses gauloises ? Comment expliquer sa
réclusion volontaire ? Pour cela il faut reconstituer le puzzle de son
histoire, un puzzle dont les pièces semblent s’être perdues dans l’Histoire.
En vidant avec sa sœur l’appartement de sa mère récemment
décédée, l’auteur trouve dans un désordre indescriptible, les carnets de sa
mère : débuts de romans jamais terminés, listes diverses et variées. C’est
tout ce qu’il gardera. Il a peut-être trouvé là le moyen de savoir qui était sa
mère, de combler les nombreux vides, de percer les secrets de son existence.
Cette quête naît d’un désir de compréhension et d’un grand sentiment de
culpabilité.
« Quelque chose
de terrible s’était déroulé dans cet appartement. Je me sentais comme un intrus
qui aurait brisé les scellés apposés sur la porte d’entrée. J’hésitais à poser
les pieds par terre, à laisser des traces, à déplacer des objets. Je visitais
les lieux d’un crime dont je m’étais rendu complice. Inutile d’effacer les
traces de mon passage. Ce n’étaient pas des empreintes qui risquaient de m’incriminer
mais leur absence. Coupable de non-assistance à personne en danger. Déclaré
contumax. Pendant que je lui tournais le dos, ma mère avait failli finir en
fait divers. Dans l’une des coupures de presse qu’elle archivait. Sa matière à
roman noir. Sous la forme d’un entrefilet dans le Parisien : « Le
cadavre gisait au milieu de ses poubelles… La victime vivait seule… » Coiffé d’une des manchettes à la Libé qu’elle affectionnait : « Momie
dans le 13e », « Mangée par son chien », « Revanche
canine à Chinatown. »
Françoise était une mère effacée. Aimante à sa façon :
de loin. Elle vivait dans son monde, supportant mal d’être dérangée. Une bonne
partie de sa vie, elle l’a passé recluse dans son appartement, presque
catatonique, ne sortant qu’aux heures où elle était sûre de ne croiser
personne. Sa seule compagnie, son seul confident : Chips, son chien.
Parmi ces carnets, l’auteur est intrigué par celui intitulé
La nuit du guetteur. L’histoire d’un homme qui épie des femmes.
Dans cet embryon de roman, c’est sa propre insécurité que
révèle Françoise. Ce sentiment d’être constamment épiée qui la pousse à la
réclusion. Cette paranoia a pour origine sa jeunesse militante. En pleine
guerre d’Algérie, ce qu’on appelait pudiquement à l’époque, les événements,
Françoise faisait partie d’un groupe d’activistes militant pour la libération
de l’Algérie. Cette période étant frappée de tabou, l’enquête de l’auteur est
difficile. Quel était vraiment le rôle de sa mère au sein du FLN. Il se heurte
à la disparition des archives, à l’étrange amnésie des camarades de sa mère ou
à leur mutisme pur et simple. La guerre d’Algérie pour eux n’est pas terminée,
ils se sentent encore traqués.
Ce roman est un devoir de mémoire, Un très bel hommage d’un
fils à sa mère. Une femme qui n’a pas vraiment vécu sa vie, traumatisée qu’elle
était par son passé de militante. L’auteur devient le guetteur de la vie de sa
mère par-delà la mort. Un livre qui se
lit comme un véritable polar mais un polar où l’émotion et l’amour filial plein
de culpabilité sont présents à chaque
page.
« Ma mère était
ce que je ne savais pas d’elle et que je chercherais indéfiniment toute ma vie.
Elle se barricadait, elle élevait des remparts et guettait un ennemi invisible.
Pour pouvoir l’appréhender, je devais la transformer en un roman policier, la
réduire à des informations consignées dans son carnet, méthode familière que je
pratiquais depuis des décennies, et la tenir à distance, parce que cette
histoire me faisait peur. »
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