Souvenirs de lecture 39 :
Martial Victorain
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont
profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se
souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a
semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que
nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui
c’est Martial Victorain qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je
le remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu
dans votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
MV : Je n’ai jamais été un grand lecteur au sens
« dévoreur de livres », d’abord parce que je lis très lentement,
que j’aime déguster les mots, analyser les structures de phrases, le style d’un
auteur, malaxer et faire tourner tout ça sous la langue et dans ma tête. Il se
dégage, je trouve, quelque chose de sensuel à la lecture d’un livre. Une bonne
dose de délicatesse et un rien de pas sérieux dans lequel j’aime me laisser
aller. Une petite débauche personnelle. C’est en tous cas comme cela que je le
ressens. Alors je prends mon temps, tout mon temps.
D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours ressenti une attirance intrinsèque pour les livres, un sentiment étrange et fusionnel passe
d’eux à moi, ou inversement. Je ne saurais pas dire ni déterminer quel a été le
déclencheur de cette fusion, car on ne lisait pas beaucoup dans mon entourage. Mais c’est une réalité, j’aime les livres, les
mots, oublier le temps et tourner des heures dans les rayons d’une librairie.
Un été, je devais avoir quatorze ou quinze ans, je
suis tombé amoureux. Elle s’appelait Cécile, elle était belle, fragile. Un peu
rose dans mon esprit. Un coup de foudre quoi ! Pour plusieurs raisons Bonjour Tristesse, car il s’agissait de
l’héroïne du livre de Françoise Sagan, a été un roman révélateur, peut-être parce
qu’il faisait chaud et que j’étais réellement amoureux à ce moment là. Toujours
est-il que par la suite, beaucoup d’autres aventures ont suivi. J’ai découvert
Barjavel, Dard, Duras, Jean Giono, Clavel, Zola, Richard Matheson, Steinbeck...
Et puis, en dehors des écrivains il y a eu les poètes, de Baudelaire à Prévert,
et puis, les chansonniers également, ceux qui ont des choses à dire, des
textes et qui savent écrire : Brel, Brassens, Thiéfaine, Higelin, Renaud,
Cabrel, Souchon… et j’en oublie. D’une manière générale j’aime les mots, les
jardiniers qui les sèment et les cultivent.
LLH : En
quoi ces livres ont-ils eu une influence sur votre désir d'écrire ?
MV : Les livres et leurs auteurs, m’ont enseigné le style, le ciselage, l’orfèvrerie
des mots, la « technique » du roman, mais ils ne m’ont pas donné, à
proprement parler, le désir d’écrire. Les livres sont d’indéniables maitres
d’apprentissage, les meilleurs que l’on puisse trouver, mais je crois très
sérieusement que l’écriture est une fonction inscrite en moi comme la veine
d’un arbre peut l’être dans la rétine de l’ébéniste. Je suis un autodidacte
convaincu, et j’avance en écriture comme on apprend à marcher, à tâtons, en me
rattrapant comme je peux, en me cognant parfois ; j’avance par le jeu des
coïncidences, l’assemblage et l’apprentissage des expériences qu’offrent la vie,
des rencontres qu’elle provoque. L’écriture en définitive, en ce qui me
concerne, est la résultante d’une étrange alchimie, je la vis non pas comme un
désir, mais comme une nécessité. Ça m’est très difficile d’expliquer ça. Je
dirais, sans une ombre de prétention, que j’écris pour vivre, comme on mange,
comme on respire. C’est sans doute ce qui explique que j’ai parfois autant de
mal à écrire.
Et puis, je ne pourrais pas terminer sans évoquer la sonorité des mots et
plus encore le côté architectural de l’écriture, les formes des lettres, leurs
lignes fines ou prétentieuses, leurs ventres rebondis, les petites queues par
lesquelles elles se tiennent les unes aux autres, les wagons de mots qu’elles
alignent et qui nous portent au voyage. J’ai toujours trouvé très beau les
arabesques des lettres manuscrites. Ça peu paraitre naïf, mais je trouve les
lettres magiques quand j’y pense.
LLH :
Quelles sont vos dernières lectures coups de cœur ?
MV : Je suis allé dans des univers très différents ces derniers mois. La petite fille de monsieur Linh est le
dernier de la liste. C’est un roman de Philippe Claudel, un petit livre plein
de tendresse et de poésie tissée sur font de drame humain. J’ai également adoré
La perle, de Steinbeck. Que ce soit Tortilla Flat ou Des souris et des hommes ou bien encore Johnny L’Ours, je suis un inconditionnel de Steinbeck. J’ai
également adoré Meurtre sur le grand Vaud
de Bernard Clavel, là aussi je suis un inconditionnel. Son écriture et d’une
justesse incroyable. Je pense que Bernard Clavel mériterait d’avoir plus de
place parmi nous aujourd’hui. J’ai également aimé La folle allure de Christian Bobin, l’écrivain-poète. Mensonges et Faux
semblants de Martine Magnin qui possède un style très épuré et très efficace je
trouve. Et puis je terminerai avec un roman qui m’a marqué par sa sensibilité
et qui à mon sens n’a pas encore rencontré le succès qu’il mérite. Entre les lignes de Noël Guillard. C’est l’histoire d’une enfance d’après
guerre dans un petit village du Beaujolais. Un grand moment de tendresse.
Biographie
Mon enfance a été estampillée BIO. Je
suis né et j'ai grandi tout au bord des gorges de la rivière d'Ain, dans un petit
village où la cueillette des mures annonçait les automnes et où les sous bois
avait des odeurs de champignons. Les hivers crépitaient au coin du feu, on
avait les pieds gelés et on mangeait autour de la cuisinière à bois des
tartines de fromage qu’on faisait grillé sur du pain fait maison. Ensuite, je
me suis égaré sur le terrain vague et compliqué des adultes. J’ai composé mes
premiers textes dans les années 80, des chansonnettes que j’interprétais au
sein d’un groupe de musiciens-amis. J’ai également commis, toujours à cette
époque, un conte pour enfants et un autre pour le bicentenaire de la
révolution. Et puis j’ai erré et tourné
dans ce grand labyrinthe jusqu’en 2011, date à laquelle je me suis arrêté de
tourner pour passer à des choses plus sérieuses : écrire pour de vrai. Mon
premier roman est paru l’année suivante. Depuis, j’écris, et je vis un peu
reclus j’avoue, en marge et un rien à l’écart du monde agité des hommes qui me
convient si mal. J’aimerais être un végétal, un arbre je crois.
Encore un grand merci à Martial
Victorain pour sa gentillesse et sa disponibilité. Les romans de Martial :
Fernand, un arc-en-ciel sous la lune paru aux éditions de L’Astre Bleu et l’homme
en équilibre aux éditions Paul & Mike, ont fait l’objet de chroniques sur
ce blog en voici les liens.
Amis rhône-alpins ou de passage, vous
aurez deux chances de rencontrer ce romancier poète cette semaine :
Vendredi 3 juin à 19h30 devant la
librairie La Plume Rouge : une rencontre coanimée par La Plume Rouge et
Les lectures du hibou.
Samedi 4 juin, au Biscuit Café
Créatif à Neuville sur Saône à 14h30 : rencontre animée par Les lectures
du hibou . Venez nombreux !!!
Détails de la rencontre avec Martial au Biscuit : ici
Détails de la rencontre avec Martial au Biscuit : ici
superbe rencontre avec un auteur original , sensible et passionné. je reste encore sous le charme de son livre "Fernand", bonne route à lui, c'est une plume qui va compter. j'attends avec impatience son prochain titre.
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