Souvenirs de lecture 37 :
Julia Kerninon
Nous
avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme
des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les
lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles
lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient
influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Julia Kerninon qui me fait
l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps
précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH :Quels livres lus dans votre adolescence vous ont
le plus touchée et pourquoi ?
JK :
Le plus
important, c’était La Cave de Thomas Bernhard, le récit autobiographique
de son expérience d’apprenti dans un magasin de condiments, ses phrases
interminables et bouleversantes, et sa façon de répéter au début, je voulais
aller dans le sens opposé. J’ai trouvé ça brillant, et c’était merveilleux
d’apprendre qu’on pouvait écrire comme ça, en prenant autant d’ampleur, en
construisant quelque chose avec un effet boule de neige, en répétant les mots
parce qu’il faut les répéter pour les comprendre, et même en traduction on
sentait la solidité de la langue allemande riche de verbes, et ça rendait tout
si précis et émouvant. Et Bernhard est tellement hostile, il a tellement de
raisons d’être hostile, et en même temps il est tellement fin. Pendant des
années, ça me paraît incroyable, mais j’ai eu seulement ce livre-là de lui –
même si c’était la meilleure chose que j’avais lue, je n’ai pas pensé à en
chercher d’autre. Et puis, quand j’avais vingt-cinq ans, je vivais à Rome et
j’ai vu Maîtres Anciens dans la devanture d’une bouquinerie, et c’était
encore mieux que La Cave. C’est une splendeur. Il y a tout dans ce
livre. On peut même le lire à voix haute tellement il est parfaitement écrit.
C’est un peu bizarre, parce que je lis principalement des auteurs anglais ou
américains, et je fais une thèse de littérature américaine, pourtant mon auteur
préféré est un Autrichien.
LLH :
En quoi ces livres ont-ils eu une influence sur votre désir d’écrire ?
JK :
Je ne crois pas que ça se
soit passé comme ça. J’ai toujours écrit, même quand j’étais petite fille. Ce
ne sont pas les livres que j’ai lus qui m’ont donnée envie d’écrire, ce sont
les livres que j’ai vus, toute mon enfance, partout dans la maison de mes
parents, les livres que je les ai vus lire, eux. Ça semblait la seule chose
vraiment importante.
LLH :
Quelles sont vos dernières lectures coup de cœur ?
JK :
Il
faut qu’on parle de Kevin, de Lionel Shriver. Je l’ai lu en une journée l’hiver
dernier, et je l’ai relu deux fois depuis, je trouve que c’est à tous points de
vue un chef-d’œuvre. Même chose pour Le Rabaissement de Philip Roth,
c’est vraiment un livre incroyable. Et là j’ai sous les yeux un livre que j’ai
lu il y a dix ans mais que je viens juste d’acquérir enfin, Portrait de
Picasso en jeune homme, par Norman Mailer. Je n’aime pas les romans de
Mailer, mais ce livre est peut-être ce qu’il a fait de mieux. Je lis
majoritairement de la fiction, mais j’ai un faible pour les livres sur les
peintres, les livres d’économie ou d’histoire comme ceux de Naomi Klein ou Congo,
de David Van Reybrouck. Et j’ai récemment été complètement fascinée par la
biographie de Gertrude Stein par Nadine Satiat. Et aussi La Cuisine
totalitaire, par Wladimir et Olga Kaminer. Je suis très heureuse qu’il
existe autant de livres.
Biographie :
Crédit photo : Vincent Fribault |
Je suis née à
Nantes en 1987. Entre vingt et vingt-cinq ans, j’ai vécu à Budapest,
Birmingham, Berlin et Rome, j’ai été serveuse, baby-sitter, traductrice, j’ai
publié deux romans jeunesse sous pseudo, en 2007 et 2009, aux éditions
Sarbacane, et trois poèmes dans l’anthologie de slam Blah. Mon premier
roman en littérature générale, Buvard, a été publié en 2014 et le
deuxième, Le Dernier Amour d’Attila Kiss, en janvier 2016. J’ai reçu
pour ce dernier une bourse d’écriture de la Fondation Lagardère. Je vis à
Paris, je termine ma thèse de littérature américaine et j’écris des livres.
Encore
un grand merci à Julia Kerninon pour sa gentillesse et sa disponibilité. Le
roman de Julia, Le dernier amour d’Attila Kiss publié aux éditions La Brune au
Rouergue a été chroniqué récemment sur le blog, en voici le lien : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2016/05/le-dernier-amour-dattila-kiss.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire