dimanche 9 septembre 2018

Simple d'Esprit Le Fada de Bousieyas



Simple d’Esprit Le Fada de Bousieyas de Jean-Claude Lefebvre aux Éditions La Trace


Jean-Noël naît un jour de Noël à la fin du XIXème siècle. L’accouchement a été difficile. Alors qu’elle se préparait à mettre au monde chez elle, la future mère a dû être conduite au village le plus proche car il lui fallait un médecin, les compétences de la sage-femme étant insuffisantes. Seulement pour atteindre ce village, quand on sait que Bousieyas est un hameau des Alpes Maritimes qui culmine à 960 mètres d’altitude, ce n’est pas une promenade de santé !

L’accouchement se passe mal. L’enfant bien au chaud ne veut pas sortir. Le médecin doit aller le chercher aux forceps. Jean-Noël en gardera des séquelles. Il ne verra plus le monde que d’un œil et aura le visage déformé. Son cerveau ayant manqué d’oxygène trop longtemps, l’enfant ne se développera pas normalement. Au village, on le connaîtra sous le nom de Lou Fada, le simple d’esprit . Seuls ses parents se souviendront de son prénom. Simple d’Esprit ! La plupart des gens s’arrêtent à ce jugement lapidaire. Mais qu’en est-il de son monde intérieur, de ses aspirations, de ses désirs ? Son monde est-il si différent du nôtre ? 


C’est Jean-Noël lui-même, qui nous raconte son histoire. Les moqueries de ses camarades, le peu de temps qu’il passe à l’école. Sa colère face aux brimades. Une rage vite canalisée par sa mère qui lui conseille de sourire aux rebuffades pour ne laisser aucune prise à la méchanceté des gens. 


« - Les gens ne sont pas gentils, ils n’aiment pas que l’on soit différent ni que l’on ne pense pas comme eux. Toi tu es différent, plus doux et tes idées dans ta tête ne suivent pas le même chemin, alors ils ne peuvent pas comprendre. Aussi, quand quelqu’un te traite de Fada, de simple d’esprit, t’insulte ou te dit quelque chose que tu ne comprends pas , souris, es ben mieil.
Mais je n’ai pas envie de sourire quand ils sont méchants !
- C’est pour cela qu’il faut sourire » m’a-t-elle répondu, s’ils voient qu’ils te mettent en colère , que leurs paroles te blessent, ils continueront et ce sera pire. Alors que, si tu leur souris, s’ils te croient toujours content, ils se lasseront rapidement et te laisseront tranquille. Souviens-toi de cela et souris. »


Il n’a pas les mots pour se défendre. Ou plutôt si, il les a. Dans sa tête. Et qu’ils sont beaux ces mots ! En prise directe avec la nature dont il est si proche, avec ses émotions. Seulement quand il ouvre la bouche, ils se bousculent, le faisant bégayer, perdre le fil.

C’est une vie simple, rythmée par les saisons. Une existence vécue à la vitesse du pas de son baudet du Poitou, son seul ami, Néan. Une vie à l’unisson de la  nature qui a parfois la douceur du miel, parfois la dureté de la pierre. Une nature qui peut être vengeresse quand on la surexploite. 

Avec tendresse et poésie, Jean-Claude Lefebvre nous plonge dans l’esprit de Jean-Noël. Il nous montre un être différent mais ô combien attachant dont le monde intérieur est très similaire au nôtre. Il vit sans filtre les émotions qui lui font ressentir la nature, les êtres qui l’entourent.

« Le soleil n’était pas encore sorti, le ciel se déshabillait de la nuit palie, pour se vêtir de mauve et de rose, alors que le disque rouge, là-bas, sortait de la mer bleue sombre, pour devenir une boule de feu. Brusquement illuminé, entre ses belles maisons décorées, le cours grouillait d’activités. Tous les étals étaient en place, fruits, légumes, fleurs, un assortiment de couleurs vives et pastel. Des épices disputaient les parfums aux roses et aux œillets, poivrés, sucrés avec une pointe d’olive. Des poissons juste arrivés de la plage, sautaient dans les paniers. Un torrent de gens s’écoulait, tourbillonnait, entre les tables sous des auvents de toile, avec des cris, avec des rires qui montaient entre les tentes jusqu’au soleil qui rend heureux…
Je m’emplissais de tout ça comme on boit du lait au miel, ça me rentrait dedans comme un bonheur. La gourmandise des yeux et des narines, la farandole des couleurs et des gens, une musique de vie sous la chaleur brillante du soleil, c’était un peu de paradis.

Ce roman, je l’ai lu d’une traite tant j’ai été emporté par le style de l’auteur et par l’histoire en elle-même. Si comme moi vous aimez les romans de Jean Giono, Henri Bosco, laissez-vous tenter par cette pépite. Nul doute que vous vous laisserez séduire par Jean- Noël ! Un grand merci à Martine Cadéo de m’avoir fait découvrir ce très beau livre.

6 commentaires:

  1. Très belle chronique Denis, je l'ajoute sur ma liste.

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  2. Emouvante et merveilleuse critique. Merci Denis.

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  3. UNE LECTURE EMOUVANTE :
    « Le Fada de Bousieyas » de Jean-claude Lefebvre – Editions « La Trace » - Mai 2018.
    Très beau livre qui évoque de façon précise et imagée la vie paysanne au début du vingtième siècle, époque où le machinisme était encore inexistant dans nos montagnes.
    L'action se déroule sur le versant sud du Col de Restefond, autour du petit village de Bousieyas.
    Le "déroulé" de la vie du "Fada de Bousieyas", héros de l'histoire, est sobre, ménageant avec habileté la curiosité du lecteur, jusqu'au dénouement final.
    Voici donc un fresque pudique, précise et terriblement émouvante de la vie dans nos montagnes durant siècle dernier, et pour finir, à la page 104 du livre, une recette de cuisine, originale et imagée, destinée à tous les candidats au mariage …
    Page 104 : (Jean-Noël est celui qu’on appelle « le Fada » ou « simple d’esprit ». C’est lui qui se raconte. Sophie est sa Maman en train de traire la chèvre pendant que lui étrille son âne, Néan)
    - Jean- Noël qu’est-ce qui se passe ? Ces derniers temps tu n’es pas comme d’habitude, qu’est ce qui te chagrine ?
    Sophie avait posé sa question à mi-voix, sans lever la tête ni modifier le rythme de la traite. Comme j’hésitais à répondre elle a poursuivi :
    - Tu peux me parler mon garçon, une Maman ça sent bien des choses.
    - Alors j’ai pensé au doute et j’ai demandé :
    - Maman, un Fada ça peut se marier ?
    Elle a arrêté son mouvement, s’est tournée vers moi et :
    - D’abord tu n’es pas un Fada, ceux qui te traitent ainsi n’ont rien compris, si tu penses et t’exprimes différemment, ça ne veut pas dire qu’ils valent mieux que toi, ce sont eux qui sont idiots de ne pas le comprendre ;
    - Oui mais un qui est différent est-ce qu’il peut se marier ?
    - Le mariage c’est une histoire d’amour, pas de différence, il faut deux êtres qui s’aiment … S’ils s’aiment, ils n’ont pas besoin d’être pareils. Un garçon et une fille ce n’est pas parce qu’ils sont différents de ceux qui les entourent qu’ils ne peuvent pas s’aimer, se marier et être heureux. Le mariage c’est comme une soupe de légumes à laquelle tu ajoutes de l’huile d’olive. L’huile et la soupe sont différentes, la preuve c’est que, l’huile flotte sur la soupe et comme cela, ce n’est pas particulièrement bon. Par contre si tu brasses les deux ça devient goûteux, mais si tu veux que ça le reste, il faut continuer à brasser jusqu’à la dernière cuillerée. Le mariage c’est pareil, ce n’est pas la différence qui importe, c’est d’entretenir l’amour jusqu’au bout.
    - Comment on fait pour brasser jusqu’au bout ?
    - Il faut seulement aimer, aimer l’autre pour lui, pour elle, pas pour soi, parfois même au détriment de soi.
    Je ne savais si j’étais l’huile ou la soupe, mais j’avais compris qu’on pouvait se marier même si on est différent et qu’il fallait beaucoup aimer l’autre, mais je l’aimais déjà tellement … m’aimerait-elle assez … pour qu’on brasse tous les deux l’huile et la soupe ? J’avais encore un peu de doute, aussi quand ma mère a demandé :
    - Tu veux te marier ?
    J’ai juste répondu :
    - Peut-être …
    Elle m’a caressé d’un regard de tendresse, chaud et doux comme une couverture un soir d’hiver, un regard de Maman … sans rien ajouter. Je l’ai trouvé tellement jolie, avec ses petites rides au coin des yeux et les fils d’argent dans sa chevelure, que je suis allé l’embrasser sur le front en lui disant :
    - Tu es la plus jolie Maman.
    Et je suis retourné étriller "Néan" (il s’agit de son âne répondant au nom de Neandertal …).
    « Le Fada de Bousieyas » de Jean-claude Lefebvre – Editions « La Trace ».

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