samedi 13 février 2016

Souvenirs de lecture 30 : Monique Ayoun



Souvenirs de lecture 30 : Monique Ayoun


Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Monique Ayoun qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.




LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touchée et pourquoi ?


M.A. : A l’âge de 17 ans, j’ai été éblouie  par « Noces » d’Albert Camus, C’était un vrai choc. J’ai adoré le lyrisme, la poésie, la sensualité de ce texte magnifique où Camus exalte la nature. Mon souvenir est précis : j’étais en classe de première, la prof m’avait demandé d’en lire un passage à haute voix et je me souviens de cet instant où tout s’est immobilisé autour de moi. J’ai eu un déclic. J’ai compris tout à coup l’immense pouvoir des mots et de la littérature. A l’époque, je lisais uniquement de la poésie (Rimbault, Apollinaire, Eluard...), mais à fortes doses. J’étais imprégnée, pétrie de poésie. Les romans me tombaient des mains, « La marquise sortit à cinq heures », je ne comprenais pas bien quel intérêt cela pouvait avoir. Mais après la découverte de « Noces », je me suis bien sûr jetée sur tous les romans de Camus. La lecture du célèbre «Etranger » a produit en moi le même mystérieux phénomène que « Noces ». Sans doute en plus fort. Quand j’ai lu la phrase où Meursault appuie sur la gâchette et détruit d’une seule balle « l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux », j’ai été ramenée des années et des années en arrière, à l’époque où mon oncle a été assassiné, en Algérie, d’une balle derrière la nuque et où mes parents se sont enfuis d’un pays qu’ils adoraient.

LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d’écrire ?

M.A. : Ces deux livres m’ont plongée dans une histoire que je connaissais à peine et j’ai été happée. Ils m’ont donné envie de retrouver quelque chose qui avait été perdu (même si à l’époque j’aurais été incapable de dire quoi !). Je suis née en Algérie mais j’en suis partie très jeune, je n’avais presque aucun souvenir. Quant à mes parents, ils n’en parlaient jamais. C’était quelque chose de trop douloureux pour eux, ils se sont murés dans le silence. J’ai reçu sans le savoir cette blessure, ce traumatisme en héritage. Au début, j’ai donc sans doute écrit pour briser le silence de mes parents, pour comprendre leur histoire qui est aussi la mienne. Ce n’était bien sûr pas conscient, je l’ai compris bien plus tard ! Ecrire, c’était pour moi remonter à la source, revenir aux origines, raconter une histoire qu’on a voulu refouler au plus profond de l’oubli. Mon premier roman, « Le Radeau du Désir » raconte (en partie) l’histoire de cette famille, la mienne, exilée à Paris.

LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

M.A. : J’ai été très impressionnée par « La cache » de Boltanski (Editions Stock).  L’histoire d’une drôle de famille, fusionnelle et phobique. Le grand-père, après avoir survécu à la boucherie de 14-18,  dut se cacher pendant la seconde guerre mondiale durant vingt mois chez lui, dans un réduit. Cette expérience eut des répercussions sur toute sa famille… C’est un formidable premier roman, plein de surprises et de générosité.
J’ai également eu un coup de cœur pour « La Belle affaire » de Sonia Ristic (Editions Intervalles). C’est l’histoire d’une jeune femme qui  n’a jamais pu oublier son premier grand amour, vécu en Afrique. L’écriture est merveilleusement fluide. C’est à la fois léger et dense, plein de couleurs, de saveurs, de sensualité. Ce livre m’est resté en mémoire très longtemps. C’est bien à cela qu’on reconnaît les bons livres, vous ne trouvez pas ?

Biographie

Elle est Parisienne depuis sa plus tendre enfance, mais elle n’a jamais oublié que sa ville natale c’est : Alger. Enfant, elle en entendait parler dans toutes les conversations, elle en goûtait la saveur dans tous les plats. C’était un lieu à la fois très présent et totalement inaccessible. Ce lieu interdit, cet « ailleurs merveilleux », elle l’a toujours recherché et beaucoup voyagé pour le trouver, mais elle sait bien aujourd’hui qu’il n’existe que dans son imaginaire… et heureusement bien sûr dans les livres !
A 18 ans, elle n’aime que la poésie, elle lit et écrit des poèmes, rien d’autre ne lui plaît. Elle se retrouve donc en Fac de Lettres.
Parallèlement, elle collabore à divers journaux : Jeune Afrique, Femme, Psychologies, le Nouvel Obs etc.
Après une Maîtrise de Lettres sur Henri Michaux à Paris III Sorbonne, elle publie plusieurs romans :
« Le Radeau du Désir » (Belfond) où elle explore à la fois la névrose familiale et les tourments d’une passion flamboyante ; « Viens ! » (Hugo-roman) (qui parle du désir d’enfant autant que du désir tout court) ; « Histoire de mes seins, avec des dessins de Wolinski » (Editions Plon) où elle poursuit, sur le mode humoristique et burlesque, son exploration à la fois de la névrose familiale et de l’intimité féminine ».
Elle vient de publier « L’Amant de Prague » aux Editions La Grande Ourse, le double portrait d’un homme et d’une ville.
Elle est également l’auteur de deux essais : « Mon Algérie » (Editions Hugo.doc) et « Musulmanes et Laïques en révolte » (Editions Hugo.doc)
Actuellement, elle est chroniqueuse littéraire à Biba et anime une émission littéraire sur Radio Judaïques FM.


Encore un grand merci à Monique Ayoun dont je vous invite à découvrir le très beau dernier roman ; L’Amant de Prague. Les titres cités par Monique Ayoun ayant fait l’objet d’une chronique sur ce blog apparaissent en couleur et disposent d’un lien vous permettant d’accéder à la chronique correspondante.

1 commentaire:

  1. chapeau bas, sur le parcours, les oeuvres, la sensibilité et la personnalité. à lire sans modération

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