mercredi 18 mars 2015

Sombre dimanche




Sombre dimanche d'Alice Zeniter aux éditions Livre de Poche




   Les Mandy vivent depuis des générations dans une maison des faubourgs de Budapest. A l'origine l'arrière-arrière-grand-père d'Imre l'avait construite sur un vaste terrain. Aujourd'hui, plus de potager. La maison est cernée par les rails qui mènent à la gare Nyugati toute proche. Du terrain il ne reste plus qu'un petit jardin en forme de triangle servant de piste d'atterrissage aux détritus jetés du train par les voyageurs. C'est dans cette petite maison de bois que vivent trois générations de Mandy. Trois générations qui ont vécu les bouleversements qui ont touché la Hongrie au cours de ce XXème siècle.


    Imre, le narrateur nous raconte son histoire et celle de sa famille qui suit l'Histoire de son pays. Le grand-père est impotent, il traîne sa jambe derrière lui, a connu la guerre, tous les ans il fête l'anniversaire de la mort de sa femme en se saoulant à la palinka, le tord-boyaux local. Il a une haine farouche des russes et de tous ceux qui veulent asservir son pays. Pal le fils, contrairement aux aînés de la dynastie,  ne portent pas le prénom d'Imre, c'est un personnage qui enfant, a été couvé par sa mère, il est peu loquace, il semble attendre que les choses se passent. Sa femme Ildiko est plus vivante, elle est souriante, attend patiemment des signes d'amour de son mari, mais elle se considère heureuse de ne pas être battue. Agnès, la soeur d'Imre, étudiante brillante finira par quitter le cocon familial mais pour combien de temps? Imre, notre narrateur est un enfant craintif, solitaire, il passe son temps dans le jardin à guetter les trains. Il devient ami avec un garçon un peu plus âgé, Zsolt, une amitié un peu déséquilibré du fait du sentiment d'infériorité qu'Imre éprouve par rapport à  son camarade.


   L'histoire des personnages suit celle du pays. En 1989 la chute du mur de Berlin et l'écroulement de l'empire soviétique font souffler un vent nouveau sur la Hongrie, des entreprises occidentales s'implantent, le pays s'ouvre au tourisme. Imre et son ami rêvent d'Amérique, de s'enfuir, de s'évader de ce monde qui leur semble trop petit. Imre tombe amoureux d'une jeune allemande de l'ouest, il entrevoit la possibilité de fuir son quotidien avec elle, mais la belle ne jure que par la "vrai vie", celle que l'on vit dans les anciens pays de l'empire soviétique.


   Dans ce superbe roman, les personnages sont enfermés, emprisonnés. D'abord par l'histoire : dans ces pays de l'ancien empire soviétique les déplacements à l'étranger était réservés à l'intelligentsia. Ils sont murés aussi dans leurs racines dans leur histoire familiale, toute tentative  de départ semble vouée à l'échec, la seule fuite possible dans cette famille paraît être la fuite ultime, celle que l 'on fait à l'horizontale, les pieds devant. Un roman dans lequel l'horizon est plombé, où l'espace est réduit. Cette atmosphère d'enfermement est symbolisée par cette maison encerclée par les rails. Des rails synonymes de voyages mais qui semblent retrancher la famille Mandy du reste de la population, la couper du monde. Un roman marqué par la plume poétique de l'auteur, une poésie sombre avec quelques touches d'humour par-ci, par-là, bouffées d'oxygène qui viennent sauver le lecteur de l'étouffement. Ce roman est une très belle découverte. Une histoire passionnante que je j'ai lue pratiquement d'une traite. Je suivrai désormais son auteur de près.

   " Ildiko ne savait pas ce que le grand-père avait pu voir. La Seconde guerre mondiale avait été un chaos total durant lequel le pays avait servi de parc à thèmes aux Hongrois, aux Allemands et aux Russes. Chacun avait eu son temps de barbarie et chacun en avait usé. Il y avait eu beaucoup trop à voir selon l'impression d'Ildiko. Elle étai née à la fin du conflit, tout comme Pal, et elle avait compris très tôt  que ne pas avoir vécu la guerre constituait une frontière inamovible entre sa génération et celle de ses parents, et celle du grand-père. Ils n'habiteraient jamais le même monde, ils n'auraient jamais les  mêmes yeux. Alors pourquoi poser des questions? Qui voulait partir à la recherche de vérités que seule la palinka rendait supportable?"



    "- Tu comprends expliquait-elle à Imre lorsqu'ils étaient tous les deux allongés côte à côte, en Allemagne j'avais toujours peur que ma vie reste petite. Toute petite. Il y a des vies minuscules, on ne se rend pas compte. Ce n'est pas une question de temps, on pourrait vivre quatre-vings ans, ça ne changerait rien. Il y a des vies qui sont immenses, qui ont embrassé toutes les dimensions du monde. Et il y a des vies sèches, linéaires, comme des pailles à cocktail mâchonnées encore et encore. J'avais tellement peur de ça. Tu n'as pas peur de ça?"


    

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