samedi 18 février 2017

Métamorphose d’un crabe



Métamorphose d’un crabe de Sylvie Dazy aux éditions Le Dilettante


Christo a passé son enfance à Bapaume dans le nord au pied de la prison centrale. Titulaire d’une licence d’anglais dont il ne sait que faire et intrigué par les commentaires satisfaits des gardiens, au bistrot, il décide de tenter sa chance dans la pénitentiaire et de présenter le concours. Admis, il est nommé à la Santé, à Paris.

Christo n’est pas un gardien comme les autres. Plus intellectuel que ses collègues, il voit son métier comme une mission d’ethnologue. Il veut étudier ce monde clos. Il s’intéresse à la psychologie des détenus (trop) ainsi qu’à celle de ses collègues. Ce gardien étrange est vu d’un mauvais œil par les autres surveillants, mais son supérieur le prend sous son aile et lui fait prendre du galon.

 Christo commence à se fondre dans le murs de  la  prison, comme la prison se fond en lui. Les murs de la Santé sont poreux, Christo emporte la prison, ses odeurs, son atmosphère, à la maison. Comme les détenus,  même si lui peut sortir, il semble vivre enfermé, tourner en rond dans un vase clos.

« Mais ici, c’est comme chez les flics, à voir de la misère et des agressions, à entendre des insultes, des coups fourrés, que sais-je, qui parlent de l’homme comme d’un animal si peu amène, c’est toute la vie privée qui prend une gifle, à long terme ; ou alors les couples de pénitentiaires ça marche, ils vivent dans ce bain si particulier qui les tient l’un à l’autre comme de la colle. Le pire c’est à Fresnes où ils habitent tout autour dans des logements de fonction, pas d’échappatoire, c’est de l’incarcération pour de vrai, parce qu’ils n’ont rien fait mais ont pris du ferme quand même. »

Métamorphose d’un crabe nous plonge dans l’univers carcéral. Sylvie Dazy nous le fait découvrir du point de vue d’un surveillant qui veut l’étudier de manière ethnologique, mais qui peu à peu va se faire dévorer par l’objet de son étude. Ce milieu, l’auteur le connaît bien puisqu’elle a été éducatrice chargée de la réinsertion à la Santé.

L’univers carcéral y est décrit comme une société comme une autre, mais un monde qui vit en huit-clos, soumis à la promiscuité. Un monde qui déteint aussi sur les gardiens. Christo a de plus en  plus de mal à rentrer chez lui, ne se sentant à l’aise qu’entre les murs « protecteurs » de la prison. C’est un monde où tout est amplifié, lieu de tous les trafics, mais aussi lieu de travail, d’étude, chance de rédemption pour certains détenus. Sylvie Dazy nous y décrit, sans complaisance, les conditions de travail du personnel pénitentiaire, en constant sous-effectif, peu soutenu par sa hiérarchie. Un roman très réussi qui a fait ressortir ma légère tendance à la claustrophobie.

« Personne n’a l’air de réaliser la bizarrerie de ce lieu qu’est la Santé au coeur de Paris, de ces murs avec dedans ces gourbis. Deux mille hommes, des suicides, des viols, de la souffrance, des remords et des rancoeurs, tout un monde qui rêve aussi, ânonnant des souvenirs et des projets emmêlés, un concentré de haine et de petits garçons mal grandis qui écrivent des poèmes et réclament leur mère, l’image d’un malheur ordinaire qui tourne en rond et appelle au secours en vain. Notre malheur. »

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