mardi 25 février 2014

Le festin de l'araignée




Le festin de l'araignée de Maud Tabachnik aux éditions Viviane Lamy



   Sandra Kahn, jeune journaliste à San Francisco, doit quitter sa compagne Nina pour, à la demande de son rédacteur en chef, aller enquêter sur des disparitions de familles dans le désert aux environs de Boulder City dans le Nevada.


   Boulder City, trou paumé dans le désert du Nevada, un maire potentat local jaloux de ses prérogatives, un shérif à sa botte, une population locale arriérée à la limite de la consanguinité, intolérante et peu causante, l'enquête s'annonce compromise pour Sandra. La jeune femme a trois défauts capitaux pour la population de Boulder City, elle est journaliste, femme, et juive.


   Dans ce roman, l'auteure s'est employée à nous décrire une Amérique profonde dominée par les ligues de vertu, les milices fascisantes et l'intolérance qui y règne. Un roman agréable à lire si on oublie le portrait par trop caricatural de la population de Boulder City.

dimanche 23 février 2014

La ballade de Lila K




La ballade de Lila K de Blandine Le Callet aux éditions Stock


  L'histoire se déroule dans les années 2090, un nuit trois hommes casqués de noir pénètrent dans un appartement. Une jeune femme et sa petite fille y vivent. Tout se passe très vite, la mère et sa fille sont séparées. Nous retrouvons Lila dans un centre éducatif, elle est amaigrie, choquée. On essaie de la nourrir mais tous les aliments la dégoûtent. On la soigne également car elle présente de nombreuses cicatrices et traces de brûlure.


   Le temps passe, Lila accepte peu à peu les règles du centre. Elle progresse, même si elle a toujours peur du contact et si elle mange en apnée pour pouvoir garder la nourriture. Elle commence à suivre des cours et très vite on décèle en elle des capacités exceptionnelles, c'est une enfant surdouée. Le directeur du centre Mr Kauffmann va s'occuper personnellement d'elle. Il gagne très vite la confiance de Lila par sa gentillesse et par l'enseignement qu'il lui dispense. Au début la Commission, organe qui contrôle le centre est ravi des progrès de Lila puis l'enseignement de Mr Kauffmann est de plus en plus remis en question lorsqu'il commence à lui apprendre les langues étrangères. Mr Kauffmann apporte un jour à Lila un caisson rempli de livres en papier, les livres n'existent quasiment plus dans ce monde ils ont été remplacé par les Grammabooks, cet acte est très mal vu par la Commission. Fernand est nommé comme assistant de Mr Kauffamann pour le contrôler.


   Lila apprend vite, elle passe tout son temps libre à lire, elle découvre l'évasion par la lecture. Elle confie cependant à Mr Kauffmann qu'elle ne peut pas continuer comme cela, qu'elle doit retrouver sa mère. Mr Kauffmann s'est renseigné et la mère de Lila a été jugée et a perdu ses droits parentaux, son nom a été rayé du dossier de Lila cependant Mr Kauffmann promet à Lila qu'il fera tout pour l'aider quelles que soient les circonstances. Mr Kauffmann peu de temps est  démis de ces fonctions et jugé pour fraude, pour atteinte aux bonnes moeurs. Finalement Lila apprend la mort de son mentor, et se demande comment elle va faire dorénavant pour retrouver sa mère disparue.


  La ballade de Lila K est ce genre de roman qu'on ne lâche plus une fois commencé. On est ému par le désir farouche de Lila de retrouver une mère pourtant maltraitante mais qui elle en est convaincue l'aime malgré tout. La jeune fille va devoir petit à petit vaincre ces traumatismes, son agoraphobie, pour partir à la recherche de sa mère. " On passe sa vie à construire des barrières au -delà desquelles on s'interdit d'aller : derrière, il y a tous ces monstres que l'on s'est créés. On les croit terribles, invincibles mais ce n'est pas vrai. Dès qu'on trouve le courage de les affronter, ils se révèlent bien plus faibles qu'on ne l'imaginait. Ils perdent consistance, s'évaporent peu à peu. Au point qu'on se demande , pour finir, s'ils existaient vraiment."


  Lila va devoir aussi se fondre dans le moule d'un monde totalitaire ou chacun est observé, où tout est analysé, disséqué en permanence, un monde ou la censure est la règle. Elle va devoir quitter le cocon sécuritaire de La Ville, explorer La Zone, présentée comme un territoire de non droit ou la violence et l'inculture règnent. Pourtant les choses sont elle vraiment comme le gouvernement les présente?


  Blandine Le Callec nous livre un roman passionnant et bouleversant sur la force de l'amour filial qui peut venir à bout de toutes les barrière, celles fixées par le monde extérieur et celles que l'on se fixe soi-même.







jeudi 20 février 2014

Mal de pierres




Mal de pierres de Milena Agus aux éditions Liana Levi


   
   La narratrice nous conte ici l'histoire de sa grand-mère, personnage attachant et haut en couleur. Jeune femme sarde de trente ans, souffrant du mal de pierres (calculs rénaux) elle est toujours célibataire. Elle a bien des prétendants étant jolie mais aucun d'eux n'ose franchir le pas, au grand désespoir des ses parents.


 
    En 1943, un réfugié vient habiter chez eux. Habitant à Cagliari, sa famille a été décimée et sa maison détruite lors d'un bombardement. Au bout de quelque temps il la demande en mariage. Mais c'est un mariage de raison, sans amour. L'homme continue à aller voir les prostitués et l'union reste chaste. Un jour par souci d'économie la jeune femme propose à son époux de lui offrir les mêmes prestations que lui procurent les filles de joie et de mettre l'argent de côté. La jeune femme tombe plusieurs fois enceinte mais ne peut mener ses grossesses à terme à cause de sa maladie.


     Un médecin conseille alors à la jeune femme d'aller en cure sur le continent pour soigner ses calculs rénaux. C'est lors de cette cure qu'elle fait la rencontre du Rescapé, un homme qui était dans la marine pendant la guerre et qui a été fait prisonnier. Cet homme cultivé et beau malgré sa jambe de bois, souvenir de la guerre, attire la jeune femme et une relation s'instaure entre eux.


   Milena Agus, romancière sarde, nous livre ici une petit bijou plein de délicatesse, de sensualité et de poésie. La description  de la grand-mère conté par sa petite fille d'après les conversations que celle-ci a eues avec elle, et d'après son cahier retrouvé lors des travaux de sa maison, nous présente un personnage fantasque, amoureux de l'amour qui pour elle est la chose la plus importante au monde, un personnage présenté par les membres de sa propre famille comme fantasque, un peu dérangé,  une femme  libre dans une société si conventionnelle.

mercredi 19 février 2014

Les douze tribus d'Hattie




Les douze tribus d'Hattie d'Ayana Mathis aux éditions Gallmeister



 A travers ce roman une bonne partie du XXème siècle américain que nous traversons. Hattie, jeune noire à la peau claire quitte sa Géorgie natale où la ségrégation raciale est omniprésente, direction Philadelphie. Le roman présente les uns après les autres des enfants d'Hattie qui vont nous faire découvrir un personnage fort et attachant.


  Le roman s'ouvre avec les jumeaux Philadelphia et Jubilee qui vont mourir de pneumonie sous les yeux de leur mère impuissante. La perte des jumeaux va profondément marquer Hattie. A travers les témoignages  des enfants nous découvrons une famille nombreuse et pauvre, une mère autoritaire et énergique qui n'a qu'un but, sauvegarder la vie de ses enfants au détriment parfois de leur vie affective.


 Bell l'une de ses filles se souvient ainsi de sa mère : "Elle se repassa en mémoire chaque moment de son enfance  et y retrouva immanquablement Hattie en train de donner des coups de ceinture sur les cuisses de ses enfants, Hattie en train de piquer une colère, Hattie plongée dans le silence. Peut être essayait-elle alors de protéger ses enfants ou de leur enseigner la discipline et le respect, mais Bell pouvait à peine se souvenir d'un mot tendre ou d'un baiser de sa mère. Elle lui manquait pourtant. N'y avait-il pas là quelque chose de plutôt drôle  : c'était à partir du moment où elle avait quitté sa mère et les rigueurs du domicile familial que Bell s'était peu à peu désintégrée."


 Chaque enfant racontant son histoire et celle de leurs parents c'est l'histoire de la société américaine et notamment celle de la population afro-américaine que nous découvrons. De la ségrégation dans les états du sud avec leur plantations, à la guerre du Vietnam, en passant pour le mouvement des droits civiques, la grande histoire est omniprésente dans l'histoire de cette famille.



  Les douze tribus d'Hattie est un magnifique roman dans lequel on finit par s'attacher à ce personnage austère et autoritaire d'Hattie, marqué par la condition des  noirs et par la pauvreté que connaissait la plupart d'entre eux à l'époque. Chaque enfant d'Hattie a sa vision des choses et sa manière de décrire son histoire dans son style particulier faisant de ce roman un recueil de nouvelles articulées autour du personnage de la mère.





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dimanche 16 février 2014

Nos anges




Nos anges de Jean-Baptiste Predali aux éditions Actes Sud


   Nous sommes à Borgu-Serenu, en Corse. Plus précisément dans le quartier des Sept Fontaines. Un quartier loin des images de cartes postales qui font le bonheur des visiteurs de l'Ile de Beauté. Les Sept-Fontaine est un quartier pauvre, un paysage digne des favelas brésiliens. Un bébé a été retrouvé dans la décharge publique. L'horreur de la situation laisse vite place à  la surprise liée à la survie de cette enfant. Depuis combien de temps était-elle là? Qui a pu abandonner une enfant comme un vulgaire rebut.


   L'homme qui l'a trouvé, Augustin Bianchi,  est une figure du quartier, élève appliqué, il a préféré s'engager dans l'armée pour vivre l'aventure plutôt que de trouver un emploi plus traditionnel. A la mort de son père il est rentré au pays pour s'occuper de sa mère et a trouvé un poste d'employé municipal peu reluisant dans son quartier. Personnage charismatique il s'est vite forgé des idées séparatistes et a crée un groupe frontiste. Augustin a eu affaire à la police et ses activités séparatistes ne l'incitent pas à collaborer avec la police  ( représentante de l'Etat français) dans l'enquête concernant l'identité de la petite fille. Il prend donc le maquis et se réfugie dans une bergerie d'où il suit les déroulements de l'enquête à la radio.


   Le troisième personnage principal de cette histoire, est le substitut du procureur en charge de l'enquête. En début de carrière, son but est de se faire connaître pour s'assurer un destin national. Courtisant les journalistes pour faire sa promotion, il est vite confronté au silence et à l'immobilisme des témoins éventuels. Impuissant, il se rend vite compte que se sortir de ce bourbier corse ne sera pas chose aisée.


   Dans ce roman Jean-Baptiste Predali nous livre un bilan sans concession de la situation en Corse. Un état français impuissant, incapable de se faire respecter. Des groupuscules séparatistes qui au lieu de coopérer se font la guerre. Le grand banditisme mafieux agit au vu et au su de tous et  semble  détenir le vrai pouvoir. Les anges que pourraient être les groupes indépendantistes pour sauver la Corse du marasme semblent eux mêmes peu convaincus de pouvoir faire évoluer la situation et paraissent résignés.


  Nos anges est un roman au style âpre qui rappelle certains paysages corses avec des passages incantatoires qui rendent parfois le texte difficile à lire  mais qui mérite qu'on fasse l'effort d'aller jusqu'au bout . Un très beau texte marqué par le désenchantement. Un auteur à découvrir.

vendredi 14 février 2014

Magnus




Magnus de Sylvie Germain aux éditions Albin Michel



   Franz-Georg n'a pas de souvenirs d'avant ces cinq ans. Ses parents lui ont raconté qu'il avait été très malade, qu'il avait failli mourir. Son père Clemens Dunkeltal est médecin et ne s'occupe pas de lui mais l'enfant aime l'entendre chanter. Franz-Georg a un compagnon dont il ne se sépare jamais : Magnus son ours en peluche.


   Un beau jour, la famille doit quitter sa maison, la guerre a changé la donne, le père doit fuir, laisser son hôpital et se réfugier à Friedrichshaffen, une petite ville où la famille change de nom. L'enfant commence à se poser des questions, il entend à la radio que son  père est recherché pour crime contre l'humanité alors qu'il était censé diriger un hôpital ravagé par le typhus. Maintenant Franz-Georg s'appelle Frank Keller.


   Le père de Franz s'exile au Mexique, il part en éclaireur et sa famille le rejoindra plus tard. Le temps passe et Franz comprend que son père était officier nazi, médecin de camp de concentration, il a envoyé de nombreux juifs dans les  chambres à gaz et en a tué d'autres par injection. La mère de Franz fidèle à l'idéologie nazie, par fierté ou par conviction protège le souvenir de son mari et crie au complot. Un beau jour Théa la mère de Franz lui présente son frère Lothar qui s'était exilé longtemps auparavant en Angleterre car opposant au régime nazi.


   Franz part avec Lothar et change encore de nom, il prend celui de Schmalker , il change également de prénom, il devient Adam, il repart à zéro, recommence une nouvelle vie en Angleterre s'efforçant d'oublier qu'il est le fils d'un bourreau nazi. Il grandit en Angleterre étudie les langues et devenu adulte décide de partir aux Etats Unis où il fait la connaissance de May qui  lui permettra de découvrir quelques éléments de son passé.


   Superbe roman sur la quête d'identité d'un homme qui n'est pas sûr de ces origines et qui pour fuir un passé terrible et réagir aux découvertes qu'il fait sur lui-même doit redémarrer plusieurs fois sa vie à zéro. Pas tout à fait à zéro car chaque nouvelle expérience lui apprend quelque chose sur lui même et sur son passé. L'ours Magnus est le seul élément stable dans la vie du jeune homme qui finit par choisir le nom de Magnus lui aussi après avoir compris pourquoi il n'avait pas de souvenir avant cinq ans. Un roman servi par une plume poétique qui se lit d'une traite.


   "Alors, le coeur palimpseste a révélé d'autres sonorités encore, plus assourdies que les précédentes ; elles se déployaient en ondes ténues, à peine perceptibles, comme si elles remontaient de loin , de l'amont de son âge. D'avant même sa naissance, peut-être, du temps où son corps se formait lentement dans la nuit liquide du corps maternel"





jeudi 13 février 2014

Réparer les vivants




Réparer les vivants de Maylis de Kerangal aux éditions Verticales


   Simon, jeune surfer plein de vie vient d'être victime d'un accident de la route au retour d'une session de surf. Ses deux amis avaient leur ceinture de sécurité, pas lui. Très vite il est transporté aux urgences de l'hôpital du Havre. Il est pris en charge par l'unité de réanimation du docteur Révol. Les premières constatations ne sont pas engageantes, la mort semble inéluctable.


   Les parents de Simon sont appelés . Marianne, la mère de Simon arrive à l'hôpital, Révol lui annonce la terrible nouvelle en prenant son temps, il laisse à Marianne le temps de prendre conscience de ce qu'il lui annonce. Il reste quelques examens à faire avant de déclarer Simon mort. En attendant son mari, Marianne se rend dans un café ou celui-ci la rejoint.


   Sean, le père de Simon est lui aussi dévasté par la nouvelle. De nouveau ils se rendent à l'hôpital ou la mort cérébrale de Simon leur est annoncée. Depuis 1959, la définition de la mort a changé. Avant cette date la moment de la mort correspondait à l'arrêt du coeur, depuis,  c'est l'arrêt des fonctions cérébrales qui en est le signe.


   Thomas Rémige, infirmier coordinateur des prélèvements d'organes est présenté à Marianne et Sean. Simon est un excellent candidat pour le don d'organes. Simon avait il un avis concernant le don d'organes, avait il réfléchi à la question? Les parents n'ont pas de réponse à ces questions et à la peine qui les accable s'ajoute la difficile question du don d'organe. D'abord opposés à ce que leur fils soit dépouillé de ses organes, ils acceptent finalement. Le foie, les reins, les poumons et le coeur de Simon pourront être prélevés mais pas ses yeux.


   Le coeur est au centre de ce roman. Cette pompe qui pulse le sang et l'oxygène dans tout notre corps, ce moteur qui nous permet de vivre n'est pas seulement une pièce mécanique. ll est considéré comme le réceptacle des sentiments, des affects, il est "à la fois mécanique de pointe et opérateur d'imaginaire surpuissant".


   La logistique pour le prélèvement se met en place. Marianne et Simon rentre chez eux et annoncent la nouvelle à leur fille Lou. Ile décident aussi d'appeler Juliette la petite amie de Simon. Marianne se pose des questions :"Que deviendra l'amour de Juliette une fois que le coeur de Simon recommencera de battre dans un corps inconnu, que deviendra tout ce qui emplissait ce coeur, ses affects lentement déposés en strates depuis le premier jour ou inoculés çà et là dans un élan d'enthousiasme ou un accès de colère, ses amitiés et ses aversions, ses rancunes, sa véhémence,ses inclinations graves et tendres? Que deviendront les salves électriques  qui creusaient si fort son coeur quand s'avançait la vague? Qu deviendra ce coeur débordant, plein, trop plein, ce coeur full?"


  Le coeur de Simon est attribué à Claire Méjan, une femme d'une cinquantaine d'années. Pour elle non plus la greffe cardiaque ne pas pas de soi. Elle en a besoin pour  vivre mais elle aussi se pose des questions "Elle a parfois la sensation de substituer aux contractions pénibles de son organe malade un va et vient fluide  entre le français de sa naissance et l'anglais qu'elle a appris et que ce mouvement rotatif creuse en elle une anfractuosité en forme de berceau, une cavité nouvelle, il avait fallu qu'elle apprenne une autre langue pour connaître la sienne, aussi se demandait-elle si cet autre coeur lui permettrait de se connaître encore"


   Réparer les vivants est une description exhaustive et d'une précision chirurgicale de tout le processus qui part de la mort d'un individu pour se terminer par la renaissance d'un autre. Une description froide et scientifique. C'est aussi un questionnement sur le coeur cet organe si imporant non seulement physiologiquement mais aussi dans l'imaginaire populaire. L'humanité de Thomas sRémige contrebalançant la froide rigueur des chirurgiens. Un roman coup de coeur servi par une plume précise, le lecteur se retrouve au coeur de l'action.