mercredi 27 mai 2015

Souvenirs de lecture 11 : Aude Le Corff



Souvenirs de lecture 11 : Aude Le Corff



   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Aude Le Corff qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.



LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?





ALC : J'ai surtout lu des classiques entre le collège et le lycée, ma mère en s'installant avec mon père avait emporté ses cartons de bouquins et je me souviens encore des tranches colorées, de l'odeur de ces vieux livres de poche parfois gondolés, des illustrations usées sur la couverture. Je dirais que c'est L'Assommoir qui m'a particulièrement marquée, je l'ai lu plusieurs fois entre  14 et 17 ans. Les méfaits de l'alcool, la déchéance des personnages et du couple, Paris et ses petites métiers au XIX ème siècle, dépeints avec une grande précision et beaucoup de justesse me touchaient et me fascinaient.







LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?

ALC : Zola retranscrit superbement les rapports humains, les faiblesses, l'univers intérieur et le quotidien de ses personnages. Lire à l'adolescence Flaubert, Zweig, Maupassant ou Zola m'a permis d'apprécier une virtuosité de l'écriture plus rare de nos jours, l'art de la métaphore et des descriptions détaillées, une vision crue et réaliste de la société. Creuser et comprendre nos failles m'intéresse. Mon écriture est influencée aussi par mon pays natal, le Japon, mon enfance et mes lectures de petite fille, leur fantaisie et l'immense imaginaire déployé dans ces livres. J'ai dévoré les contes du monde entier et j'adorais Roald Dahl.
  
            Désolée je m'égare un peu, mais on est bien chez le Hibou. D'autres livres me sont précieux, il est difficile de n'en citer qu'un seul. Une question intéressante circulait sur les réseaux sociaux récemment : Quelle lecture obligatoire pendant vos études s'est révélée passionnante ? La mienne a été Le Désert des Tartares de Buzzati. Ce roman a laissé une empreinte en moi. Le désert qui aimante, la solitude, l'angoisse floue, l'attente vaine.

            Pour chaque livre aimé, des images me reviennent avec force lorsque je l'évoque, les mêmes qu'à la lecture qui date parfois d'une vingtaine d'années, ains que l'atmosphère, des ressentis. C'est fantastique d'avoir autant de bons romans derrière soi, encore en soi.



LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

ALC : Les chaussures italiennes de Henning Mankell, acheté chez un bouquiniste en avril. Toujours ces solitudes qui me touchent, les poids que l'on traîne, des étendues sauvages, l'influence de l'autre.

           L'épuisement de Christian Bobin, très émouvant : "L'écriture, c'est le coeur qui éclate en silence."

           LoveStar de l'islandais Andri Snaer Magnason, hors-norme, bourré de fantaisie, un roman d'anticipation peut-être pas si délirant.

           On ne joue pas avec la mort d'Emily St John Mandel : un polar puisque c'est la saison, mis en avant par un libraire à Nantes. Contrairement à la narratrice de mon deuxième roman, je ne suis pas fan de ce genre mais celui-ci a su me plaire, le personnage principal est un anti-héros attachant, il y a de l'introspection, un chat, un certain désespoir et de l'humour.

          Pour finir, une BD que ma fille a aussi beaucoup aimée, émouvante et drôle : Le grand méchant renard de Benjamin Renner.



Biographie


   Je suis née au Japon en 1976, j'y ai passé ma petite enfance puis j'ai vécu et étudié à Paris. Malgré ma préférence pour une voie littéraire - j'écris et je lis énormément depuis l'enfance - j'ai suivi des études de Gestion à Dauphine. Après avoir travaillé quelques années dans un cabinet d'audit, j'ai déménagé à Nantes. La vie avec des enfants y est plus accessible et agréable qu'à Paris, et j'ai pu y trouver des sujets d'inspiration. J'ai repris des études de psychologie, accompagné des personnes en difficulté dans leur recherche d'emploi, puis je me suis consacrée à l'écriture.

   Mon premier roman, Les arbres voyagent la nuit, a été publié chez Stock en 2013. Le deuxième, L'importun, vient de paraître chez le même éditeur.


    Encore un grand merci à Aude Le Corff pour sas gentillesse et son temps. Les deux romans d'Aude ont été chroniqués sur ce blog, leur titre est colorisé et dispose d'un lien vous permettant d'accéder aux chroniques d'un simple clic. Les deux romans d'Aude Le Corff m'ont beaucoup touché et je vous les recommande vivement.








mardi 26 mai 2015

Le port




Le port de Jean-Yves Loude, illustrations de Nemo aux éditions Vents d'ailleurs




   Djibril est Guinéen. Djibril est le fils d'un ancien tirailleur sénégalais abandonné par le pays pour lequel il a combattu. Djibril rêve du Port. Le Port c'est le Nord, le Port c'est l'Europe. Djibril collectionne les vignettes contenues dans les boîtes de lait "Petit nid d'oiseau" qui représentent cette Europe rêvée, cet endroit où tout est possible, où tout est plus facile, où tout est bleu, cette Europe qui avait colonisé son pays et qui l'a jeté, comme elle jette tout ce dont elle ne veut plus.



  Djibril est prêt à tout abandonner pour réaliser ce rêve. Il est prêt à abandonner la terre qui l'a vu naître, cette terre aride, stérile qui l'a façonné. Il est prêt à laisser Assa cette femme exclue car jugée stérile par son mari, cette femme à l'image de la terre de son pays, répudiée, jugée comme une sorcière "dévoreuse d'enfants". Il viendra la chercher quand il aura réussi.


   "Fait-il jour ou nuit ? Le froid congèle chaque minute qui passe. Mes pensées se figent une à une. Ma tête s'alourdit. J'ai peur du sommeil. Il est le meilleur allié du serpent. Je lutte. Je ne veux pour rien au monde perdre conscience. Les grands magasins du Port ont ils déjà ouvert leurs portes? Je tenterai, demain, d'être le premier à entrer et à dire merci."




   Jean-Yves Loude porte la voix de Djibril, il exprime son rêve désespéré, son désir d'un ailleurs où la vie serait plus facile. Il le fait avec émotion, avec une poésie toute africaine. Il est le chantre  de tous ses candidats au voyage clandestin, de ces enfants perdus, ceux que l'on retrouve au large de Lampedusa, ou transis de froid cachés dans les trains d'atterrissage des avions.  Le port est un livre fort, un livre à la beauté tragique. Un livre où  la superbe plume de Jean-Yves Loude se marie avec les illustrations de Nemo. Un bel objet où l'on retrouve les vignettes collectionnées par Djibril glissées dans la reliure, indépendantes. Le port est un court roman, un petit livre par la taille mais un grand livre par l'émotion et la poésie désespérée qui s'en dégagent. Un livre qui porte la voix de tout ces êtres que l'on entend pas, que l'on écoute pas. Merci pour ce grand moment de leture.

  Jean-Yves Loude et le guitariste Bruno-Michel Abati ont fait de ce livre une lecture-concert où les extraits du roman et les morceaux de guitare  classique se succèdent. Une heure d'émotion pure. S'ils passent près de chez vous n'hésitez pas.

 

samedi 23 mai 2015

Cannisses



Cannisses de Marcus Malte aux Éditions de l'Atelier in8, collection Polaroïd




   Ils avaient pourtant choisi leur cocon avec soin. Un pavillon dans un lotissement calme. Ils avaient abrité leur vie de famille derrière des cannisses pour la préserver jalousement. Pourtant le malheur a fini par les retrouver. Nadine, la femme du narrateur, est morte d'un cancer, laissant à son homme anéanti la tâche de s'occuper de leurs deux enfants. Tout à sa douleur il s'y attelle tant bien que mal, les nourrissant exclusivement de gaufres, c'est plus simple pour lui. 


  Notre narrateur en deuil, se pose des questions, se fait des reproches. Rien de tout cela ne serait arrivé s'il avait été plus vigilant. Il y avait pourtant eu des signes.


  "Maintenant que j'y songe, la chatte Guimauve elle s'est fait écraser dans les tous premiers jours de notre arrivée. Ça ne faisait pas une semaine qu'on avait emménagé ici. On aurait dû comprendre que c'était un signe. Une sorte d'avertissement. Je m'en veux, c'est moi qui aurais dû y penser."


   Il passe son temps à observer ses voisins, le regard masqué par les cannisses. Ces voisins qui étalent leur bonheur familial sans se soucier de sa douleur. Il avait longtemps hésité entre les deux maisons au moment de l'achat. Manifestement il a choisi la mauvaise maison. En face, les voisins sont heureux, pourquoi eux et pas lui ?


Marcus Malte nous décrit un homme qui sombre progressivement dans la jalousie, puis la folie. Les questionnements, et les réponses délirantes se succèdent dans l'esprit ravagé du narrateur. Nous sommes les témoins de sa descente aux enfers. Il lui faut absolument réparer ses erreurs. Il lui faut la maison d'en face pour enfin être heureux avec ses enfants.


  Dans cette novella, court roman de moins de cent pages, Marcus Malte nous montre comment la souffrance ordinaire peut laisser la place à la folie. Dans Cannisses, il n'y a pas un mot de trop. J'ai plongé avec le narrateur, été immergé dans son subconscient et le moins qu'on puisse dire est que ce livre secoue. Il suffit de pas grand chose pour sombrer dans la folie. Marcus Malte est un maître dans l'art de nous faire explorer les méandres de l'âme humaine. Un excellent roman.

mercredi 20 mai 2015

Zou !




Zou ! d'Anne-Véronique Herter aux éditions Michalon



   A là mort de leur père, Chance et ses frères et soeurs doivent se séparer de la maison familiale. C'est un crève-coeur car cette maison porte en elle tous les souvenirs familiaux, les joies, les peines, les rires les colères. Elle abrite les fantômes du passé, certains gentils d'autres moins. Chance est bouleversée par cette vente. On la retrouve devant son ordinateur, devant la page blanche. Elle essaie de mettre en mots tout ce qu'elle ressent pour cette maison, pour les souvenirs qu'elle abrite pour les garder en mémoire mais aussi pour s'en libérer, passer à autre chose, vivre.

  Tour à tour les souvenirs de Chance viennent lui parler. La maison qui a abrité la famille depuis l'arrivée de l'arrière-grand-père, le mur qui donne sur la mer et sur lequel les membres de la famille ont passé tant de temps à contempler l'océan, son frère aîné décédé avant sa naissance mais dont l'absence est si présente, si pesante, tous vont intervenir pour l'aider à se libérer d'eux, à prendre son envol. Chance doit briser ses chaînes pour pouvoir vivre sa vie.


 "Notre maison bretonne. C'est chez moi. C'est beau, parfois effrayant. C'est gigantesque, mais suffisamment petit pour entendre l'écho des blessures familiales. Celles qu'on ne règle qu'en famille. Qui touchent le coeur des choses, les culpabilités, les remords, la responsabilité de chacun devant les morts."

   "Le poids des choses , mes liens familiaux, ma grand-mère, mon frère, mon père, chez les morts. Ma mère, mes frères et soeurs, les gens que j'aime. Tous me lient. M'enchaînent. M'empêchent d'avancer dans ma propre histoire. Je dois m'en libérer. Je sais je dois me libérer."


  Nos maisons d'enfance, nos familles, tous les souvenirs qui y sont liés, jamais nous ne les oublierons. Ils forment un socle plus ou moins solide sur lesquels nous nous construisons. Nos racines poussent dans ce milieu quel qu'il soit, plein d'amour ou de joie,  de tristesse de désamour.On a parfois du mal à y trouver sa place et toujours de la peine à s'en extraire. Pour nous épanouir, nous devons transplanter nos racines ailleurs, ne pas nous laisser enfermer dans nos souvenirs, ne pas rester prisonniers d'une vie qui n'est pas la nôtre. Ces souvenirs qui sont en nous, qui vivent en nous doivent servir de base de lancement pour que nous trouvions notre propre orbite. Si nous restons murés dans les souvenirs familiaux, prisonniers de la maison de notre enfance, nous nous étiolons.

   Cette nécessité de prendre des distances avec l'histoire familiale pour pouvoir vivre sa propre vie, est le thème de ce magnifique roman d'Anne-Véronique Herter. Un livre qui m'a bouleversé, qui m'a donné la chair de poule, certains passages m'ont tellement ému que les larmes aux yeux, je devais les relire pour être sûr de ne pas en avoir manqué un mot. Un livre qui touche au plus profond car il nous parle de nos racines, de la base sur laquelle nous devons nous construire. Ce roman touche par son universalité. Nous avons tous eu des familles plus ou moins fonctionnelles, plus ou moins aimantes, une maison d'enfance dont il est difficile de se libérer. La plume pleine de sensibilité, de poésie, de nostalgie, mais aussi d'humour, m'a frappé au coeur. Zou ! restera longtemps gravé dans ma mémoire et c'est un livre que je relirai avec bonheur. Un livre à lire absolument.

mardi 19 mai 2015

L'importun




L'importun d'Aude Le Corff aux éditions Stock


   La naissance d'un deuxième enfant, le désir de s'éloigner du stress de la grande ville, poussent la narratrice et son mari à chercher une maison en Province. L'occasion se présente quand deux soeurs décident de vendre la maison familiale. Leur père ayant une santé fragile a été placé en maison médicalisée. Le déménagement s'organise. Il y a des travaux à faire, la cave à vider des outils et des souvenirs du vieil homme, mais tout ça peut bien attendre. Peu de temps après leur emménagement, la narratrice, écrivain de thrillers, a la désagréable surprise de voir entrer chez elle le vieil homme. Toujours en possession de sa clé, il arrive sans prévenir, n'adresse quasiment pas la parole à la nouvelle propriétaire de sa maison si ce n'est pour lui préciser qu'il est chez lui ou pour lui faire des reproches.


   La narratrice n'a pas le coeur de signaler ces visites indésirables à son mari. Il déciderait de changer la serrure mettant fin aux allées et venus du vieillard. Elle est agacée par ses visites mais n'a pas la force de priver l'ancien propriétaire des lieux de ces moments d'évasion, il doit tellement s'ennuyer entre les quatre murs de sa chambre médicalisée, lui qui était habitué à passer son temps dans le jardin ou dans son atelier à la cave. Petit à petit nos deux personnages principaux s'apprivoisent et le dialogue devient possible. Ils vont se parler de leurs blessures. Des blessures d'enfance qui ont du mal à cicatriser. Des blessures liées à la relation au père : l'absence, la violence. Ils vont peu à peu se confier, se décharger un peu du fardeau du passé. L'importun devient important.


  Dans ce roman, il est question des cicatrices laissées par l'enfance, de ces marques que l'on n'oublie pas et qui conditionnent notre vie d'adulte. La narratrice et le vieil homme se comprennent car ils reconnaissent en l'autre cette souffrance. Tous deux avaient trouvé leur refuge : pour lui la nature et sa maison (surtout son atelier à la cave),  pour elle l'écriture. Mais qui de mieux qu'une personne qui a vécu les même douleurs que vous pour vous comprendre pour se comprendre soi-même, pour enfin pardonner ?


   "Guy me fuyait, maintenant il recherche ma présence. C'est mon sale caractère, dit-il, qui a tout foutu en l'air. Il craint d'avoir été aussi égoïste que mon grand-père, aussi nerveux et dépressif que mon père. Il creuse en moi à coups de pioche pour y chercher un peu d'espoir et de lumière. Il m'étudie comme un rat de laboratoire, il aimerait isoler mes blessures, les effets exacts du comportement de mon père sur ce que je suis devenue, mon épanouissement et mes états d'âme. Et c'est son propre procès qui se déroule sous ses yeux."


  Après Les arbres voyagent la nuit, j'ai retrouvé avec plaisir la plume d'Aude Le Corff. Comme dans son précédent roman elle décortique les relations familiales, les non-dits, les remords. Les deux personnages principaux, blessés par leur enfance sont très attachants. L'importun est un roman touchant porté par la plume sensible, sincère et poétique d'Aude Le Corff. Un excellent moment de lecture.


lundi 18 mai 2015

Fragments d'une traque amoureuse





Fragments d'une traque amoureuse de Fleur Zieleskiewicz aux éditions l'Éditeur



    " Il faudrait être amoureux mais ne jamais le tomber.
      Tomber amoureux : l'expression est pourtant prophétique ; l'essentiel résumé : une chute. À a la fin tu t'exploses par terre. Pareil quand tu t'envoies en l'air : l'attraction du sol est toujours la plus forte. La chute est la même, la confusion règne."

     Le moins qu'on puisse dire, est qu'Hana est confuse. Son amour pour Dick, un amour à sens unique, puisqu'il a rompu,  l'a éparpillée "façon puzzle" comme dirait Audiard. Pour rassembler les morceaux de sa vie, de son coeur en miettes, pour prendre du recul, elle parcourt l'Europe. Cela ne suffit pas. Il faut qu'elle voie Dick, qu'elle le retrouve, qu'elle lui dise ce qu'elle a sur le coeur. Elle le harcèle sur Facebook, Twitter, par mail, par SMS. Sa traque de l'homme qu'elle aime lui fait parcourir les Etats Unis. Elle aime les aéroports, pas les trajets en avion, les gens y sont trop statiques, engoncés dans leurs sièges. Les aéroports sont des fourmilières. Elle observe les gens et en les observant c'est elle même qu'elle découvre. Chaque aéroport a sa personnalité qui lui permet de réfléchir de mieux appréhender sa vie.

   Elle traque celui qui l'a tuée, sur les réseaux sociaux d'abord, il l'a éliminée "skypassinée"et qui lui a brisé le coeur. Mais lors de cette traque, c'est elle-même qu'elle traque. Elle se découvre petit à petit, elle se dévoile à nous : striptease émotionnel, mise à nu. Hana est excessive, excentrique, bipolaire, elle tient grâce aux cigarettes, à l'alcool et aux médicaments.

   Son parcours, Hana nous le décrit de sa plume pleine d'humour et de violence, une plume trempée dans l'acide ( ne me demandez pas lequel). Elle se moque du politiquement correct, peste après les vieux et les handicapés dans les files d'attente. Elle nous entraîne dans son aventure par sa verve. On compatit, on a envie de la secouer, de lui mettre des claques pour qu'elle sorte de son rêve, de son monde imaginaire. Oui embarqué, je l'ai été. Ce roman doit se lire en écoutant la playlist fournie en début de roman et en allant voir les photos sur le site fleurz.com. Elles nous permettent de ressentir de manière encore plus forte les émotions d'Hana. 


   Fragments d'une traque amoureuse est un roman original tant par le fond que par la forme. Un roman à la fois poignant, violent, drôle.  Un roman très prometteur, j'attends la suite avec impatience. Alors videz vos poches dans les bacs, passez le portique de sécurité et laissez vous embarquer.

   "Nous crèverons tous en bonne santé. D'épuisement à force de jogger. D'un souffle au coeur à force de se fendre d'aimer tout le monde. D'une crise du tofu fou. D'une rupture d'anévrisme à force de prendre des postures insensées au yoga. On vit, on meurt, tout le reste n'est que remplissage, comme pour une histoire d'amour. Alors remplissons."



dimanche 17 mai 2015

Souvenirs de lecture 10 : Gaëlle Nohant


Souvenirs de lecture 10 : Gaëlle Nohant



   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Gaëlle Nohant qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi ?


GN   :  Je ne vais pas parler d'un livre, mais d'une série de livres, la série des Claudine, de Colette. Je les avais découverts, je me souviens, dans la bibliothèque de mon arrière-grand-mère, où je passais de longues journées quand il pleuvait. Je ne sais pourquoi, j'avais eu l'idée de chercher à tâtons derrière les rayonnages et j'avais ramené un trésor caché : toute la série des Claudine dans une ancienne édition usée jusqu'à la corde, avec des gravures un peu licencieuses. Je n'ai parlé à personne de mon trophée, je l'ai emporté et dévoré pendant les vacances avec une impression de liberté incroyable. Bien sûr l'histoire était prenante, le ton alerte, drôle et insolent me séduisait, mais ce qui m'a le plus marquée c'est la liberté du style, une liberté où tous les sens se mélangeaient, une liberté qui était avant tout  un manière d'aimer la vie totalement, jusqu'à s'en enivrer, comme un bouquet de ronces qu'on serrait contre soi au risque de s'y blesser. Cette découverte de Colette a été un coup de foudre littéraire, dans l'année qui a suivi j'ai lu la presque totalité de son oeuvre !


LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?

GN   : En réalité, c'est en lisant Jane Eyre, à huit ans, que j'ai décidé d'écrire. Mais Colette m'a enseigné que l'écriture pouvait être ce langage des sens où la poésie naissait du mélange des odeurs, des saveurs, des émotions et des sons. Elle m'a aussi appris qu'à travers ce qu'on écrivait, on faisait passer sa manière d'être au monde. La sienne était terriblement sensuelle et pleine d'irrévérence et d'intelligence, et j'étais remplie d'admiration  devant son style et ce qui dégageait d'elle, cet amour fou de la vie, cette force d'être soi sans se conformer au modèle fixé par d'autres... Cette liberté je l'ai d'abord cherchée à travers la poésie, qui allait bien avec cet âge où tout est mouvant, fluctuant, fragile et suspendu.
            Colette m'a appris enfin que l'écriture est avant tout un territoire de liberté où on fait l'école buissonnière, où on franchit les fils barbelés et se perd parfois dans une forêt pour le plaisir de se perdre... Je dirais même qu'accepter de se perdre est souvent la condition pour trouver le chemin qui est le sien. J'ai mis des années à en faire l'expérience dans mon écriture, j'ai vraiment commencé à le faire en écrivant  L'Ancre des rêves, mon premier roman. Avec ce roman, beaucoup de sensations d'enfances sont remontées qui étaient liées à ce bonheur de débusquer des trésors, d'écouter le bruissement des fantômes, d'avoir peur, de retenir sa respiration ... et cette liberté enfantine enivrante où l'on a sentiment qu'on peut tout inventer tous les jours, à commencer par soi-même...


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

GN   :  Dernièrement je me suis régalée à lire Une vie après l'autre de Kate Atkinson, dont j'avais adoré le premier roman, Dans les coulisses du musée. Une vie après l'autre raconte l'histoire d'une jeune fille qui ne cesse de mourir de plein de manières différentes, elle naît au début du siècle, et au fil de ses vies successives elle traverse l'après-guerre, le Blitz... C'est un personnage très attachant mais qui porte en elle une forme de mélancolie profonde et de pressentiment, et c'est comme si elle avait besoin de nombreux brouillons de vie pour écarter toutes les ombres menaçantes qui lui barrent le chemin. C'est un roman très troublant, original, poignant et drôle à la fois. Une petite merveille.

            Dans un autre style, j'ai beaucoup aimé Avec mon corps, de Nikki Gemmell. J'ai découvert Nikki Gemmell à travers ses premiers romans, notamment une très belle histoire d'amour, Love Song, qui se passait dans le bush australien dont l'auteur est originaire. Nikki Gemmell, c'est le mélange irrésistible d'une sauvage du bush possédant une forme d'incandescence et d'une Anglaise d'adoption cultivée et raffinée. Dans Avec mon corps, elle met en scène une Madame Bovary moderne emprisonnée dans une existence de Desperate housewife, qui se rappelle douloureusement la jeune fille qu'elle fut, qui aimait la vie au risque de la brûler et connut une éducation sentimentale particulière avec un écrivain réfugié dans le bush. Pour sortir d'une vie conjugale où son appétit de vivre s'enlise, elle doit retourner à ses racines et exorciser ses chagrins les plus profonds. C'est un livre qui irradie la lumière aveuglante des espaces sauvages et des amours fous.


Biographie


          Je suis née à Paris 1973, et j'ai décidé d'écrire à l'âge de huit ans. Je me consacre à l'écriture depuis une douzaine d'années. J'appuie mes histoires sur une base documentaire importante, et je m'efforce de défendre une littérature à la fois exigeante et populaire. Depuis sept ans, j'ai deux activités distinctes mais liées : mon écriture de fiction et une activité d'animation culturelle, via mon blog, Le café littéraire de Gaëlle (http://cafedegaelle.blogspot.fr), et sur le site des librairies Charlemagne dans le Var. J'y fais des portraits d'auteurs, des critiques de romans, une manière de partager mes coups de coeur.


J'ai déjà publié :

       L'Ancre des rêves (Editions Rober Laffont) en 2007 qui a reçu le prix Encre Marine et a été publié par Pocket en 2011. Epuisé, il vient de ressortir chez Pocket en mars 2015 en synergie avec la parution de La part des flammes, mon dernier roman.

      En 2008, j'ai écrit un essai sur l'épopée du Rugby Club Toulonnais (Rugby Club Toulonnais 1908-2008, EPA Editions; 2008)

      J'ai aussi publié en 2010 un recueil de nouvelles (L'homme dérouté, Géhess, 2010

      Mon deuxième roman La part des flammes est paru le 19 mars aux éditions Héloïse d'Ormesson


  Encore un grand merci à Gaëlle Nohant pour sa sa gentillesse et son temps. La part des flammes a fait l'objet d'une chronique sur ce blog, le titre est colorisé et dispose d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique d'un simple clic. Si vous ne connaissez pas encore la plume de Gaëlle Nohant je vous invite à la découvrir au plus vite.