jeudi 10 décembre 2015

Souvenirs de lecture 27 : Sylvie Arnoux




Souvenirs de lecture 27 : Sylvie Arnoux


Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Sylvie Arnoux qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.

LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
                                                  


Il m’est très difficile de répondre à cette question ! Mais je vais tenter.
Les premières  lectures qui m’ont touchée, cela remonte bien avant mon adolescence. Je me suis passionnée pour les aventures des Six Compagnons de Paul Jacques Bonzon. Je me suis identifiée à ces enfants intrépides. Originaires de la Croix Rousse à Lyon, j’ai fantasmé sur leurs traboules avant de les connaître et de les parcourir. La disparue de Montélimar se passait près de chez moi. Une manière de relier le réel avec la fiction.
Adolescente, j’ai continué à me passionner pour des personnages récurrents, une manière de ne pas quitter des hommes ou des femmes auxquels je m’étais attachée. Les grandes sagas ont alors peuplé mes journées et mes nuits de lectrice : Jalna de Mazo de la Roche, La lumière des Justes et Henri Troyat….

Et puis… comme je me suis attachée à des personnages, je me suis attachée à des auteurs. J’ai découvert René Barjavel, Pearl Buck, Jean Anouilh, Boris Vian, Roger Frison-Roche… et tant d’autres. Et j’ai dévoré tous leurs livres, comme j’avais dévoré auparavant les sagas. Chacun de ces auteurs m’a marquée, à sa manière, par le premier livre lu, et qui m’a incitée à lire ensuite tous leurs écrits : Pivoine, Premier de Cordée, la nuit des temps, Colombe, L’étranger, L’écume des jours…
      
Le point commun à toutes ces lectures ? L’Homme avec un grand H. Je crois que tous ces auteurs ont su, d’une manière ou d’une autre, mettre en avant l’humain, avec ses forces et ses faiblesses. Une lecture qui me touche, au final, est une lecture qui me fait voyager dans l’imaginaire, mais qui me relie à l’Homme.
Lire c’est découvrir et aimer un autre que soi, tout en se retrouvant dans ses mots. Ma boulimie de lecture à l’adolescence, au final, doit se résumer à cela. Et aussi à un besoin d’évasion. Le livre m’a toujours « évadée », emmenée très loin par le pouvoir des mots. 



LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
Je pense que c’est ce pouvoir des mots qui m’a poussée, adulte, à prendre la plume. Aller, avec de simples mots, à la rencontre d’un autre, l’émouvoir, l’émerveiller, le questionner, le faire rire ou le faire pleurer. C’est magique. Tout comme lire est magique. 
J’aime la dualité de ce pouvoir : celui de l’auteur qui écrit et celui du lecteur qui se laisse embarquer, c’est pourquoi j’aime toujours autant lire.


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de cœur ?
   
Deux livres : une découverte et une lecture récurrente.
La dernière leçon de Mitch Albom : 
Une lecture qui n'est pas anodine. On pourrait résumer le livre ainsi : "Une leçon de vie aux portes de la mort." Outre une vision ultra-sensible et ultra-humaine de ce qui devrait être l'essentiel d'une vie, vision offerte comme une dernière leçon par un professeur en sociologie en phase terminale de sa maladie, cette lecture m'a rassurée et en même temps questionnée sur la fin de vie et ses contraintes : devenir dépendant des autres pour tous les gestes de la vie courante. Bien sûr, la leçon de vie est importante, mais ce qui m'a personnellement interpelé c'est une autre facette de ce livre.

Plaidoyer pour le bonheur de Matthieu Ricard : Ce n’est pas une lecture mais une lecture suivie . Un livre de chevet qui fait du bien. Dans lequel je me replonge de temps en temps. À conseiller par les temps qui courent. 


Biographie

Drôm’ardéchoise de cœur, je suis exilée depuis une vingtaine d’années à Lyon, la cité des traboules.  Après un diplôme de Sup de Co, j’ai navigué entre différentes sociétés : entreprise de transport,  agence de tourisme, éditeur, association…  avant de me consacrer de manière plus active à ma écrits. Je n’en abandonne pas pour autant mes autres passions que sont la généalogie, la photographie et les voyages, chacune nourrissant à sa manière mon imaginaire et servant de terreau à mes écrits.
Les publications pour la jeunesse occupent une grande partie de mon temps : la série de romans Le trio L, la forêt de Mauperdus et ma participation à la collection Antho-Noire aux éditions La Cabane à Mots, Le petit de Mirou chez Yil éditions. En effet, j’ai la joie d’intervenir régulièrement dans les écoles après des jeunes lecteurs. Un réel plaisir ces moments d’échange autour de mes écrits. Les publications adulte ne sont pas en reste. Que ce soit des nouvelles pour la collection des Antho-Noires à la Cabane à Mots, ou les sorties prévues en 2016 :
- deux nouvelles dans des anthologies à thème chez Livr’Book éditions.
- la réédition du roman Mamy Grand aux éditions le Miroir aux Troubles 
- le documentaire : Louise, 17 ans, prisonnière civile en Allemagne pendant la Grande Guerre (titre provisoire) chez Entre-temps éditions… Neuf années de recherche en France et en Allemagne qui trouvent leur aboutissement dans ce livre.


 Encore un grand merci à Sylvie Arnoux pour sa gentillesse et sa disponibilité. Voici le lien vous permettant d'accéder à ma chronique sur Le trio L et la petite Afghane (cliquez directement sur le titre) . 

 J'aurai le plaisir d'accueillir Sylvie Arnoux ainsi que Valérie Simon et Laetitia Pettini en compagnie de La Muse des Gones, le samedi 12 décembre au Biscuit Créatif à Neuville sur Saône de 15 à 17h . Venez nombreux partager ce moment de convivialité avec nous. 

mercredi 9 décembre 2015

Les poissons viennent de la forêt




Les poissons viennent de la forêt de Jean-Yves Loude aux éditions Belin 




    " Moi, Kéta, je suis mort.
     Et, depuis que je suis mort, je suis devenu bavard. Croyez-moi, j'ai tout le loisir de contempler et de commenter l'agitation de mes descendants. Ça m'occupe, ça m'amuse, même si personne ne réplique à mes critiques ou ne répond à mes questions. Parfois, je me permets d'envahir l'esprit d'un vivant, d'influencer ses rêves, de lui suggérer des actions. Il m'arrive de me glisser dans les corps de danseurs ou de malades, de les mettre en transe, de les posséder et de m'exprimer par leurs bouches et leurs gestes. Mais je n'abuse pas de ce pouvoir que nous, les défunts, nous conservons après avoir rendu notre chair à la terre..."

      Keta est mort depuis longtemps, et , depuis le royaume des défunts, il observe son peuple, les Angolares, un peuple méconnu du Sao Tome. Keta les scrute car il a pris une grave décision, il va se réincarner mais pour cela il doit se choisir un père. Son choix se porte sur Mé N'gopa, le prince des pêcheurs, mais c'est surtout  sa prestation dans le Danço Congo, danse traditionnelle, qui l'a convaincu.

     Keta renaît donc sous les traits de Juju à la grande joie de son père qui jusqu'alors n'avait eu que des filles. Il voit dans l'arrivée de ce fils, ses espoirs de pouvoir transmettre ses secrets exaucés. Mais très vite Mé N'gopa se rend compte que son fils n'est pas celui qu'il espérait. Juju ne peut pas marcher.  Selon sa grand-mère, si Juju est handicapé c'est qu'il est lié à un ancêtre. Ses parents le conduisent chez un guérisseur qui va dénouer ce lien. Juju se met à marcher mais il aura une dette à payer à sa vie antérieure.

     Avec l'histoire de Keta/Juju, Jean-Yves Loude nous raconte la vie des Angolares, leur Histoire. Entre forêt et mer. Nous découvrons un peuple riche en croyances en traditions, nous nous immergeons dans sa vie.  Avec un style plein de poésie, teinté de tradition orale africaine, l'auteur nous transporte au Sao Tome à la rencontre de ce peuple méconnu, un peuple de résistants. Jean-Yves Loude sait de quoi il parle puisqu'il a vécu quelques temps avec ce peuple attachant. Un roman passionnant, envoûtant. Jean-Yves Loude est un conteur exceptionnel.

   "Les rivières ne dorment jamais. Chez nous, c'est vrai plus qu'ailleurs. La pluie équatoriale alimente leur fureur. Notre pays est petit et volcanique. Son relief, plissé, abrupt et contrarié. Les cours d'eau ont un espace bref pour s'exprimer. A peine nés dans la brume des sommets, ils dévalent vers l'océan avec rage et fracas, irrités par l'arrogante immobilité de roches noires qui encombrent le passage et les obligent à cascader. A l'approche du littoral, il reste peu de temps aux torrents pour devenir rivières ; ils repoussent les berges, étalent leurs eaux sombres, écartent les arbres, passent sous des tunnels de branches. Les femmes profitent du répit de petites plages pour laver le linge qu'elles étalent sur le sable. Chaque enfant  de notre peuple a appris la magie des couleurs à force de contempler ces damiers de draps, de voiles, de blouses, de jupes, de culottes déposés au sol par les mères qui frottent et pépient des commérages tout en surveillant les bébés.

Voici le lien vers ma chronique sur Le Port, autre roman de Jean-Yves Loude : Le Port 

mardi 8 décembre 2015

Vidéo de la rencontre avec Thierry Berlanda le 14 novembre 2015




Vidéo de la rencontre avec Thierry Berlanda le 14 novembre 2015


   Le 14 novembre 2015, Les lectures du hibou recevaient Thierry Berlanda au Biscuit Café Créatif à Neuville sur Saône. Thierry venait nous présenter les deux premiers volumes de la trilogie du Prince : L'insigne du boiteux et La fureur du Prince. Malgré les événements tragique de la veille à Paris, nous avons tenu à maintenir ce moment de partage.  Un grand merci à Thierry Berlanda pour sa gentillesse et sa disponibilité. Voici un enregistrement vidéo de cette rencontre passionnante.






















    Voici le lien de l'enregistrement vidéo :  https://www.youtube.com/watch?v=f4VZ9rOOIfY

     Le lien de ma chronique sur L'insigne du boiteux  : L'insigne du boiteux 
     
     Le lien de ma chronique sur La fureur du Prince : La fureur du Prince

lundi 7 décembre 2015

La voleuse



La voleuse de Norlane Deliz aux éditions du Poutan


   Lou-Anne est une jeune fille solitaire. Son seul ami est monsieur André,  un vieil homme, "ermite au pays des livres". Pour occuper son temps, Lou-Anne arpente Lyon, elle y vole des instantanés qu'elle griffonne en quelques mots sur des papiers de couleur, selon ses humeurs et  qu'elle enferme dans une boîte en bois. 

   Alessandro est journaliste, il vit seul. Il est chargé par son journal de mener l'enquête sur des disparitions inquiétantes. Un homme, une fille et sa mère se sont comme volatilisés, puis ce sera le tour de tous les livres de,  ou traitant de Paul Verlaine. Au cours de ses investigations, le jeune homme va croiser la route de Lou-Anne. Leurs regards vont se croiser, se captiver, mais la jeune fille est insaisissable.

   Simon et Charlotte ont un fils, Timothée. Un jour le père et le fils se promènent dans un parc et Timothée perd soudain l'usage de la parole. Simon ne parvient pas à se souvenir de la dernière phrase de son fils. Le mutisme de leur fils crée des tensions dans le couple. Avec la voix de leur fils, les parents ont perdu les mots pour se parler pour s'expliquer, la voie que suivait ce couple se parsème d'embûches.

   La voleuse est un roman de poète. C'est un vibrant hommage à la ville de Lyon que nous offre Norlane Deliz. Cette ville dont les humeurs sont conditionnées par les caprices des deux fleuves qui l'enserrent de leurs bras.

   "Lundi matin.
    L'automne est là et l'air s'est un peu refroidi. Le ciel hésite, multiple, mélangé : un soupçon de bleu, trois nuages blancs et cotonneux, un fondu gris, aqueux et pâle, des tâches presque noires. La lumière est d'autant plus éclatante sur les façades que le ciel se fait sombre. Un rayon de soleil indocile se glisse comme un projecteur dans une cour d'école. Il va et vient, escortant les cris des gosses, oiseaux ivres d'enfance dans un lieu échappé : tout un monde de "on ferait comme si". Ce bruit joyeux se faufile par la fenêtre et parvient jusqu'à Alessandro qui boit un café avant que la réunion ne débute. Le brouhaha le happe et l'entraîne dans ses souvenirs de gones."

   Mais ce roman est aussi et surtout une véritable déclaration d'amour aux mots et à l'écriture. C'est un livre plein de poésie au rythme à la fois rapide (chapitre courts sous forme de journal aux dates espacées) et lent car on aime se perdre dans les pas de Lou-Anne, dans les mots de l'auteur. Vous l'aurez compris je suis tombé sous le charme de ce très beau premier roman et je ne peux que vous en recommander la lecture.

   "Les nuages craquellent le ciel comme un désert aride. "Quel contraste avec le coeur de ma lectrice qui déborde d'émotions ! S'il était un paysage, il serait un ciel flamboyant entre nuage cendré et coulée de lave." se dit monsieur André. La veille, il l'a trouvée exaltée, enthousiaste et angoissée. La princesse solitaire serait-elle amoureuse ? Comment lui demander sans la froisser ? Lou-Anne est de papier cadenassée comme un journal intime d'adolescente. Le vieil homme connaît la sauvagerie de la jeune femme : elle tient au secret de son jardin."


dimanche 6 décembre 2015

Le Trio L et la petite Afghane



Le trio L et la petite Afghane de Sylvie Arnoux aux éditions La Cabane à mots




   Ce livre sera à nouveau disponible courant janvier dans sa nouvelle édition. Un grand merci à La Cabane à mots de m'avoir permis de vous montrer en avant-première la nouvelle couverture de ce roman. Cette nouvelle version est adaptée aux lecteurs dyslexiques.

   C'est la rentrée des classes pour le trio L, ces trois amis inséparables depuis la maternelle. Louise, Loïc et Léo sont ravis de se retrouver mais anxieux à l'idée d'être peut-être séparés. Les trois larrons sont vite rassurés, ils passeront une nouvelle année scolaire ensemble.

   Cette année, leur classe de CM1 accueille une petite nouvelle : Gulmina. Elle est placée à côté de Louise. Gulmina ne parle pas très bien français et intrigue Louise. Elle vient d'Afghanistan et semble complètement perdue dans cette classe. Sa nouvelle amie, va tout faire pour la rassurer et lui donner confiance en elle.

    Gulmina peu à peu se raconte grâce aux questions de Louise, elle partage son histoire, sa vie en Afghanistan, ce pays ou être une petite fille, et une femme n'est pas facile, où tout accès à la culture leur est refusé par les Talibans. 

    "Louise raconte à ses amis tout ce qu'elle a appris de Gulmina : son père décédé, sa maman qui ne parle pas très bien le français, sa tristesse d'être seule avec sa mère dans ce pays si différent du sien... Elle sort le dictionnaire et leur montre l'Afghanistan sur le planisphère.
      Avec l'aide de sa maman, elle expose aux garçons la situation du pays et les problèmes pour ses habitants.
      Les deux garçons boivent les paroles de leur amie. Ils découvrent un monde si éloigné du leur. Ils commencent à réaliser ce que le mot "déracinement" veut dire. Perdre ses repères, c'est ce qui est arrivé à Gulmina : tout a disparu du jour au lendemain : son papa, sa famille, ses amis... Aucun enfant ne devrait subir cela. C'est trop injuste."

    Le trio L va prendre Gulmina sous son aile, découvrir sa culture, s'ouvrir à un monde qui leur est inconnu. Tout en aidant la jeune afghane, ils vont s'enrichir. Louise qui lutte contre sa dyslexie va progresser en venant en aide à son amie. Bouleversés par l'histoire de Gulmina, les trois larrons vont être à l'origine d'un immense élan de solidarité.

   Le trio L et la petite Afghane est un très beau roman jeunesse qui nous fait découvrir une autre culture, qui nous parle d'entraide, de tolérance, de la richesse que peut apporter la mixité. Il le fait avec tendresse, poésie et humour.  Un roman au coeur de l'actualité tant ces valeurs d'accueil et de partage sont mises à mal actuellement. Ce livre est une très belle découverte, j'ai eu un vrai coup de coeur pour cette histoire.

   Un roman à découvrir à partir de huit ans.

   Sylvie Arnoux viendra présenter ses oeuvres avec deux autres auteurs le samedi 12 décembre au Biscuit lors d'une rencontre spéciale jeunesse et jeunes adultes organisée par Les lectures du hibou et La Muse des Gones. Vous en saurez plus très rapidement.


vendredi 4 décembre 2015

Partir, revenir, rester



Partir, revenir, rester de Ludovic Lecomte chez Ella Editions



    En 14 nouvelles, Ludovic Lecomte nous fait voyager entre Paris et le Perche, avec une incursion à New York. Des allers- retours entre la ville et la campagne, le présent et le passé.


    Dans ce recueil à la construction originale, on retrouve dans chaque nouvelle un personnage évoqué dans la précédente, tous ont en commun ces voyages entre la ville et Le Perche. Dans ces nouvelles pleines de nostalgie, d'humour et de poésie, il est beaucoup question d'héritage, de transmission, pas tellement de biens mais surtout de valeurs, de cet amour pour ce lieu reposant où le temps dure plus longtemps. où à la différence de la ville on se rencontre encore, on est reconnu, pas un anonyme stressé.

  "Mathurin s'assoit et ferme les yeux sur ce monde bruyant, sans aucun répit sonore ou visuel, où chaque espace est occupé par un produit à acheter, un film à voir, de la musique à écouter.
    Il est fatigué par ce monde qui l'entoure, qui va trop vite, qui ne prend plus son temps. Mathurin a connu le monde sans téléphone, celui dans lequel on se parlait vraiment, on se voyait, on se touchait. Alors pensez bien que cet internet qui enferme les gens un écran à la main..."

   Chaque nouvelle a son propre ton, son propre thème. Certaines sont plus dans l'émotion, dans la nostalgie, d'autres sont plus drôles mais toutes reviennent aux racines, ces attaches percheronnes. Partir, revenir, rester est un recueil de nouvelles à l'image du cycle de la vie. On naît quelque part, on quitte cet endroit pour faire sa vie et l'âge passant, nos racines se rappellent à nous de manière plus intense. On revient pour s'installer, pour rester.  Merci à Anne-Véronique Herter de m'avoir fait découvrir ce recueil, j'ai passé un excellent moment avec les personnages de Ludovic Lecomte.

   "Mais ce n'est qu'une étape dans ce voyage et il faut partir. Je referme les volets, le portail et redresse le panneau "chien méchant" qui vient de se décrocher. Les clés déposées dans la boîte aux lettres de Raymonde, je remonte en voiture, jette un dernier regard à la maison de mon enfance. Bientôt un agent immobilier viendra y apposer un panneau "A Vendre" et je ne pourrai plus que passer devant et la regarder comme une étrangère que je serai devenue pour elle, à travers les barreaux du portail."


   Stéphie a lu le livre en même temps que moi, voici sa chronique : http://www.milleetunefrasques.fr/2015/12/partir-revenir-rester-ludovic-lecomte/

jeudi 3 décembre 2015

Les notes fragiles



Les notes fragiles de Sophie Rollet , septembre 2015 aux Presses du Midi



    Martha vient de recevoir un bouquet de fleur. Chaque fois c'est la même chose. Après ses accès de violence, après les coups, son mari, pour se faire pardonner, lui en apporte ou lui en fait envoyer un. Ces fleurs rappellent à Martha, les ecchymoses qui fleurissent sur son visage. Martha n 'en peut plus, mais elle aime son mari et n'a pas le courage de partir. Elle est entièrement dépendante de lui.

    Rémi aime sa femme. Elle est pour lui le symbole de sa réussite. Comme tout ce qu'il a acquis par son travail, elle lui appartient, elle ne doit vivre que pour lui, ne jouer que pour lui. 

    Martha est musicienne, elle donne des concerts de temps en temps et dispense des cours à l'école de musique de la ville. Son  manque de ténacité et l'emprise de son mari sur elle ne lui a jamais donné l'occasion de faire carrière. Son jeu est bon, son talent indéniable mais il  y manque ce petit supplément d'âme qui ferait d'elle une artiste reconnue.

    A la fin d'un cours, Martha va rencontrer Nora . La jeune femme fait des ménages. Tout de suite Martha va remarquer cette trace sur l'arcade sourcilière de Nora. Sa propre image va lui être renvoyée en pleine face. Les deux femmes vont sympathiser. 

    "Péniblement, Martha se traîne jusqu'à la sortie. Elle n'est plus la talentueuse violoncelliste qui vient de dispenser son savoir à de jeunes amateurs. Elle s'est vue dans le regard de cette femme pour ce qu'elle est devenue, une femme frappée par son conjoint, comme tant d'autres. Une histoire tristement banale. Elle porte son violoncelle comme un fardeau en se traînant jusqu'à sa voiture. Pourquoi est-elle devenue si vulnérable, qu'un seul regard peut la faire vaciller ? Ce n'est pas sa nature, elle si tenace, elle peut reprendre cent fois, mille s'il le faut la même ligne mélodique jusqu'à atteindre la fluidité nécessaire, jusqu'à comprendre où le jeu doit devenir plus expressif ou plus retenu. Oui, elle a d'ordinaire la capacité de travailler sans relâche, de ne pas se cabrer devant l'obstacle, mais de le gravir lentement, degré par degré. Il aura donc suffi de quelques gifles pour qu'elle ne parvienne plus à relever la tête ? "

   Avec Nora, Monsieur Gerbaud est la seule personne qui se doute de ce que subit Martha. C'est un veuf,  retraité, qui vient de temps en temps réparer dans la maison, les traces des violences de Rémi. Quand Nora quitte son mari avec son bébé, c'est le déclic pour la musicienne. Toutes deux se réfugient en Ardèche, dans la ferme familiale de Monsieur Gerbaud. Elles vont pouvoir panser leurs plaies et commencer à se reconstruire. Elles vont se terrer dans ce cocon vert ne retournant à la ville que pour les cours de Martha, la visite du bébé de Nora à son père et les procédures de divorce.

   Les notes fragiles nous montre la vie de ces deux femmes battues qui ont décidé de reprendre leur vie en main, qui ont eu le courage de quitter leur bourreau. Ces deux femmes, détruites en profondeur,  vont, chacune avec leur caractère, se reconstruire. Martha va se plonger dans la musique pour exister, pour rebâtir sa vie sur les ruines du passé.  Un roman passionnant, émouvant. Le lecteur vit avec Martha se lutte contre son mari et surtout contre elle-même. Un livre sans pathos et plein d'espoir. Le roman de la renaissance.

   "Des décombres, et la vie qui repousse dessous, avec force. L'herbe drue entre les pierres, la galopade des ronces, la puissance des racines bousculant les murs en sortant de terre, tout ce présent qui veut exister et ensevelir les débris du passé. Martha s'assit contre un arbre et enfonça ses mains dans la terre pour s'imprégner de cette vitalité. Dans le champ de ruines qu'était devenu sa vie, verrait-elle un jour, avec cette vigueur, poindre de nouvelles pousses ?"