dimanche 14 février 2016

Les loups du remords



Les loups du remords de Marie-Hélène Branciard aux Editions du 
Poutan



Antoine vient de quitter Berlin. Il roule vers Paris. Sans nouvelles de Vanda son amie des folles années étudiantes avec qui il a gardé contact par courrier, il décide de partir à sa recherche. Il va replonger dans son passé. Dans leurs souvenirs. Ce temps de l’insouciance où avec Vanda, Edouard et Claire il partageait un appartement. Vanda, le socle de la bande, sa pierre angulaire a disparu, Antoine doit absolument la retrouver.

« Il était là, entre deux eaux… Ça faisait bien cinq ans qu’il était venu s’échouer à Berlin, un peu par hasard… mais il ne le regrettait pas. La gigantesque friche lui avait permis de se fondre dans l’air du temps, comme un vieux sucre qui prend les couleurs des mains qui le tripotent. Ici, tout semblait inachevé… rien que des instants cabossés, qu’il fallait lire au jour le jour, entre les grues, leurs cris vers le ciel et le bruit des bulldozers…
Il s’était décidé brusquement, content soudain à l ‘idée de revoir Paris. Antoine comptait bien y rester quelques mois , se doucher de souvenirs et remettre la main sur Vanda, qui ne donnait plus aucune nouvelle… »

Antoine est bientôt rejoint par ses compères d’hier. Ils vont unir leurs forces pour retrouver Vanda. Ils vont reprendre leurs habitudes du passé, leurs réflexes, explorer leur histoire, celle de leur amie pour comprendre ce qui a bien pu se passer. C’est sur cette confrontation entre réalité du présent et insouciance parfois idéalisée de leur jeunesse qu’ils vont bâtir leur enquête.

Vanda, elle, a trouvé refuge dans le sud auprès d’un couple d’ex-soixante-huitards. Ils la poussent à l’introspection, à écrire ses pensées dans un journal. Vanda, elle aussi part à sa propre recherche, essaie de  trouver les causes de sa dépression pour la combattre, pour reprendre pied.

Les loups du remords est le roman du passage de l’adolescence à l’âge adulte. L’âge des premiers bilans, celui où l’on s’interroge sur sa jeunesse, où on apprend à vivre avec les casseroles du passé, à les surmonter. L’âge où l’on regarde ses jeunes années avec nostalgie et où l’on se rend compte que les secrets, les non-dits nous empêchent d’avancer de nous construire.

J’ai plongé dans ce roman ne remontant à la surface qu’à la dernière page. La construction du roman alternant les chapitres sur l’enquête des amis et l’introspection de Vanda, la plume pleine de rythme de l’auteur, les dialogues ciselés et la profondeur psychologique des personnages font de ce livre un excellent moment de lecture. Les références musicales qui émaillent le texte m’ont totalement immergé dans cette fin des années 1980. En suivant les quatre compères, j'ai pris un bain d'adolescence comme disait Aznavour.

samedi 13 février 2016

Souvenirs de lecture 30 : Monique Ayoun



Souvenirs de lecture 30 : Monique Ayoun


Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Monique Ayoun qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.




LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touchée et pourquoi ?


M.A. : A l’âge de 17 ans, j’ai été éblouie  par « Noces » d’Albert Camus, C’était un vrai choc. J’ai adoré le lyrisme, la poésie, la sensualité de ce texte magnifique où Camus exalte la nature. Mon souvenir est précis : j’étais en classe de première, la prof m’avait demandé d’en lire un passage à haute voix et je me souviens de cet instant où tout s’est immobilisé autour de moi. J’ai eu un déclic. J’ai compris tout à coup l’immense pouvoir des mots et de la littérature. A l’époque, je lisais uniquement de la poésie (Rimbault, Apollinaire, Eluard...), mais à fortes doses. J’étais imprégnée, pétrie de poésie. Les romans me tombaient des mains, « La marquise sortit à cinq heures », je ne comprenais pas bien quel intérêt cela pouvait avoir. Mais après la découverte de « Noces », je me suis bien sûr jetée sur tous les romans de Camus. La lecture du célèbre «Etranger » a produit en moi le même mystérieux phénomène que « Noces ». Sans doute en plus fort. Quand j’ai lu la phrase où Meursault appuie sur la gâchette et détruit d’une seule balle « l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux », j’ai été ramenée des années et des années en arrière, à l’époque où mon oncle a été assassiné, en Algérie, d’une balle derrière la nuque et où mes parents se sont enfuis d’un pays qu’ils adoraient.

LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d’écrire ?

M.A. : Ces deux livres m’ont plongée dans une histoire que je connaissais à peine et j’ai été happée. Ils m’ont donné envie de retrouver quelque chose qui avait été perdu (même si à l’époque j’aurais été incapable de dire quoi !). Je suis née en Algérie mais j’en suis partie très jeune, je n’avais presque aucun souvenir. Quant à mes parents, ils n’en parlaient jamais. C’était quelque chose de trop douloureux pour eux, ils se sont murés dans le silence. J’ai reçu sans le savoir cette blessure, ce traumatisme en héritage. Au début, j’ai donc sans doute écrit pour briser le silence de mes parents, pour comprendre leur histoire qui est aussi la mienne. Ce n’était bien sûr pas conscient, je l’ai compris bien plus tard ! Ecrire, c’était pour moi remonter à la source, revenir aux origines, raconter une histoire qu’on a voulu refouler au plus profond de l’oubli. Mon premier roman, « Le Radeau du Désir » raconte (en partie) l’histoire de cette famille, la mienne, exilée à Paris.

LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

M.A. : J’ai été très impressionnée par « La cache » de Boltanski (Editions Stock).  L’histoire d’une drôle de famille, fusionnelle et phobique. Le grand-père, après avoir survécu à la boucherie de 14-18,  dut se cacher pendant la seconde guerre mondiale durant vingt mois chez lui, dans un réduit. Cette expérience eut des répercussions sur toute sa famille… C’est un formidable premier roman, plein de surprises et de générosité.
J’ai également eu un coup de cœur pour « La Belle affaire » de Sonia Ristic (Editions Intervalles). C’est l’histoire d’une jeune femme qui  n’a jamais pu oublier son premier grand amour, vécu en Afrique. L’écriture est merveilleusement fluide. C’est à la fois léger et dense, plein de couleurs, de saveurs, de sensualité. Ce livre m’est resté en mémoire très longtemps. C’est bien à cela qu’on reconnaît les bons livres, vous ne trouvez pas ?

Biographie

Elle est Parisienne depuis sa plus tendre enfance, mais elle n’a jamais oublié que sa ville natale c’est : Alger. Enfant, elle en entendait parler dans toutes les conversations, elle en goûtait la saveur dans tous les plats. C’était un lieu à la fois très présent et totalement inaccessible. Ce lieu interdit, cet « ailleurs merveilleux », elle l’a toujours recherché et beaucoup voyagé pour le trouver, mais elle sait bien aujourd’hui qu’il n’existe que dans son imaginaire… et heureusement bien sûr dans les livres !
A 18 ans, elle n’aime que la poésie, elle lit et écrit des poèmes, rien d’autre ne lui plaît. Elle se retrouve donc en Fac de Lettres.
Parallèlement, elle collabore à divers journaux : Jeune Afrique, Femme, Psychologies, le Nouvel Obs etc.
Après une Maîtrise de Lettres sur Henri Michaux à Paris III Sorbonne, elle publie plusieurs romans :
« Le Radeau du Désir » (Belfond) où elle explore à la fois la névrose familiale et les tourments d’une passion flamboyante ; « Viens ! » (Hugo-roman) (qui parle du désir d’enfant autant que du désir tout court) ; « Histoire de mes seins, avec des dessins de Wolinski » (Editions Plon) où elle poursuit, sur le mode humoristique et burlesque, son exploration à la fois de la névrose familiale et de l’intimité féminine ».
Elle vient de publier « L’Amant de Prague » aux Editions La Grande Ourse, le double portrait d’un homme et d’une ville.
Elle est également l’auteur de deux essais : « Mon Algérie » (Editions Hugo.doc) et « Musulmanes et Laïques en révolte » (Editions Hugo.doc)
Actuellement, elle est chroniqueuse littéraire à Biba et anime une émission littéraire sur Radio Judaïques FM.


Encore un grand merci à Monique Ayoun dont je vous invite à découvrir le très beau dernier roman ; L’Amant de Prague. Les titres cités par Monique Ayoun ayant fait l’objet d’une chronique sur ce blog apparaissent en couleur et disposent d’un lien vous permettant d’accéder à la chronique correspondante.

vendredi 12 février 2016

Mensonges et faux-semblants



Mensonges et faux-semblants de Martine Magnin chez Estelas Editions


 « C’est le moment précieux où le doute envisage de laisser la place au calme.
C’est le moment où mes parts d’ombre et leur nuisance lâchent prise pour accueillir le réconfort d’une paix fragile.
C’est le moment où les fantômes sont contraints d’affronter la lumière du jour.
C’est aussi celui où les bons génies doivent être enfin remerciés. »

Martine Magnin revient dans cet ouvrage sur son enfance. Une enfance basée sur le mensonge et les faux semblants. Pour prendre un peu de recul par rapport à son histoire, pour nous révéler les faits de manière plus froide, elle donne à son personnage le nom de Jenny.
La mère de Jenny est très jeune, trop jeune quand elle vient au monde. Son père saxophoniste de renom est sans arrêt sur les routes en tournée. Très vite les choses se dégradent dans le couple parental qui se sépare. La grand-mère de Jenny, Macha, vient s’installer avec sa fille et sa petite fille. Les deux femmes s’entendent pour nier le père. On en parle pas. L’enfance de Jenny se passe entre ces deux femmes, bercées par les contes de sa grand-mère. Tout se passe relativement bien jusqu’à l’arrivée d’un homme à la maison.

M, c’est ainsi qu’il est nommé s’installe donc à la maison et Macha retourne chez elle. Sous des faux airs de substitut paternel idéal, l’homme se livre à des attouchements sur Jenny. M représente le mâle dans tout ce qu’il a de plus vil, le mal. Jenny étouffe moralement et physiquement. Elle est sujette à de nombreuses crises d’asthme. La solution est toute trouvée on envoie Jenny à la campagne dans des familles d’accueil. Jenny connait des périodes de répit mais elle se sent seule. Chaque fois qu’elle rentre au foyer, M reprend ses attouchements. Jenny est envoyée dans une famille qui pour une fois l’aime. Jenny parle, dit la vérité. Le couple prend les choses en main et dénonce le beau-père prédateur. De retour à la maison, le petite fille subit de violents reproches de la part de sa mère et de sa grand- mère.

La mère : « Si nous sommes à nouveau seules, ce sera de ta faute », lui disaient ses yeux.
« Nous sommes Tes victimes »
« Nous sommes calomniées »
« Tu es fautive, responsable, tu nous a fait de la peine ».
La grand-mère décrivant la prison : « … derrière ces murs, il y a plein de petites filles enfermées parce qu’elles ont trop parlé. »


Mensonge et faux-semblants est un livre vérité, un livre thérapie. Il lève le voile sur un secret trop longtemps gardé, sur une enfance maltraitée, détruite, par le prédateur et par le déni et la passivité coupable de la mère et de la grand-mère. Il le fait sans pathos et parfois avec humour ce qui renforce l’émotion ressentie à la lecture du livre. Le fait que l’auteur alterne les passages où elle utilise le personnage de Jenny pour parler de son enfance, et le « je » donne de la puissance au texte, entre recul et implication. Ce livre est aussi un superbe hommage au père nié, au père bafoué, celui dont on ne parle pas et qui va ressurgir dans la vie de Jenny. Un livre poignant et émouvant remarquablement écrit. Un livre qui se termine par cette citation d’Oscar Wilde : « Les enfants commencent par aimer leurs parents, puis ils les jugent, parfois ils leur pardonnent ». Une phrase qui résume superbement ce très beau livre.