jeudi 24 mars 2016

Les jonquilles de Green Park



Les jonquilles de Green Park de Jérôme Attal aux éditions Robert Laffont



Tommy vit à Londres avec ses parents et sa sœur. Il passe ses journées à l’école ou à traîner avec ses copains. Il collectionne les timbres et se régale des aventures de ses super-héros favoris. Une enfance ordinaire.

Transposons maintenant cette histoire dans le Londres de 1940.

Stop ! Retour rapide.

Tommy vit à Londres avec ses parents et sa sœur. Il passe ses journées à l’école ou à traîner avec ses copains. Mais tout cela se passe sous la menace des tapis de bombes déversés sur la capitale anglaise par les Jerries (nos boches à nous).

La population londonienne vit dans la peur constante. Les enfants résistent grâce à leur amitié, grâce au super héros qu’ils espèrent voir intervenir. L’un d’entre eux n’est autre que Churchill amicalement cité par son prénom, Winston. Lui n’a pas de cape, ne vole pas mais il fait partie de leur panthéon.

Les parents de Tommy font ce qu’ils peuvent pour préserver leurs enfants en ces temps difficiles. La famille est tenue à bout de bras par la mère. Elle travaille dans une usine qui produit des ampoules. Le père, lui, est un doux rêveur, un mélange de Géo Trouvetout et de professeur Tournesol. Il travaille à ses inventions. Ces parents aimants n’ont de cesse de cultiver l’espoir dans le cœur de leurs enfants.

« N’empêche, aux nihilistes, je ne comprends rien. Maman affirme que même si demain à cause des Jerries il arrive qu’on n’ait plus de confiture à poser sur la table pour le petit déjeuner, et bien on se fera pas pour autant des tartines de néant, mais on tartinera nos toasts avec le souvenir de la confiture ou mieux encore, avec la promesse de son retour. »

Jérôme Attal nous entraîne dans les pas de Tommy dans un Londres dévasté, en ruines. Un Londres ou pour retrouver son chemin dans la fumée et la poussière, on doit compter les cratères laissés par les bombes. Mais Tommy et ses amis résistent au désespoir par la force de leur amitié, même s’ils sont victimes de quelques bullies, ces brutes épaisses qui estiment que la raison de plus fort est toujours la meilleure.

Tommy dispose aussi d’une autre arme :  l’écriture. Tous les soirs il résume sa journée sur le papier. Deux colonnes, une pour le positif, une pour le négatif. Quand il sera grand il écrira des histoires de super héros.

« Le crayon, c’était mon couteau de l’armée suisse à moi. Pour venir à bout, entailler ou ouvrir, un moment précis. Et laisser son passage dans l’écorce des jours. »

L’enfance, c’est le temps des premières amours. Tommy a le cœur qui bat la chamade pour Mila, la sœur d’un de ses tortionnaires. C’est avec elle qu’il veut aller en avril, voir les jonquilles à Green Park.

« Si la guerre doit durer une éternité, je voudrais juste pouvoir vivre jusqu’au mois d’avril. Pour voir, une fois encore, les jonquilles de Green Park. Elles tiennent ensemble, chaque saison. Belles et fières dans le vent puissant et douloureux d’avril. Comme nous autres en ce moment.’


Les jonquilles de Green Park nous montre la vie en temps de guerre.  La population, les enfants, résistent par la solidarité, par l’entraide, par l’amitié. C’est ce que nous décrit ce roman faussement naïf. Si Jérôme Attal excelle dans l’exercice qui consiste à nous parler de choses graves sur un ton presque badin, c’est qu’il a su garder la poésie et la fantaisie de l’enfance. Il signe encore une fois un petit bijou de tendresse, de fantaisie et d’émotion. Qu’il ne grandisse surtout pas, c’est comme ça qu’on l’aime.

mercredi 23 mars 2016

Le théorème de l'uppercut



Le théorème de l’uppercut de Jean-Marie Palach aux éditions Daphnis et Chloé


 Gislain Chalap est prof de maths. A cours de motivation, il choisit d’être muté dans un lycée de banlieue parisienne, dans une zone sensible. La cinquantaine, célibataire, il compte bien se consacrer pleinement à sa tâche.  Entre l’image qu’il se faisait de son métier et la réalité, l’écart est grand. Il se retrouve dans un lycée qui semble être la plaque tournante de tous les trafics du secteur.

Un soir de cafard, alors qu’il buvait un verre dans un bar à hôtesses, il est tiré d’une situation compromettante par une de ses élèves. Sur le chemin du retour, il est témoin d’une rixe. Un corps est jeté dans la Seine. Il décide de ne pas s’en mêler, d’ailleurs il n’est pas en état de le faire.

 Le lendemain, s’attendant à subir les quolibets de ses élèves parce qu’il est persuadé que l’élève qui l’a sauvé a tout raconté à ses camarades, il apprend que le corps jeté dans la Seine était celui d’un jeune garçon de sa classe. Très vite il se propose d’aider la jeune fille qui lui a porté secours en lui donnant des cours de rattrapage. Il est convaincu qu’elle a du potentiel. Mais Marie, la jeune fille, disparaît elle aussi. Gislain décide de partir à sa recherche. Elle est en danger il doit la sauver. Détail important à vous signaler, Gislain est un ancien champion du monde de kickboxing qui a arrêté sa carrière au faîte de sa gloire, le jour où il a failli tuer l’un de ses adversaires.

Puisqu’en France on aime bien mettre les romans dans les cases, je dirais que Le théorème de l’uppercut est un roman noir. Il décrit les querelles de secteurs dans les banlieues. Une querelle version guerre des gangs, plus proche du genre West Side Story du XXIème siècle, sans le côté Roméo et Juliette, que du genre Guerre des boutons, malgré le jeune âge des belligérants. Des jeunes en perte de repères qui pour se sortir de leur pauvreté, tombent dans le trafic de drogue, la prostitution, le crime organisé. Un roman noir, donc, illuminé par deux personnages loufoques et pleins de surprises : le commissaire et le proviseur. Deux personnages d’apparence assez identique.

« La seule différence notable résidait dans les lunettes aux gros verres qui achevaient de défigurer le proviseur, tandis que le policier n’en portait pas. L’écart entre l’intellectuel et le flic, songea Franquet. »

Jean-Marie Palach (tiens tiens Palach/Chalap !!! ) signe avec Le théorème de l’uppercut un roman enlevé, plein de rebondissements, d’humour et aussi d’amour. Mais c’est avant tout un roman social. L’auteur travaillant dans le domaine sait de quoi il parle. Un livre qui se lit d’une traite, où les personnages, hormis les caïds de banlieue, ne sont pas tout à fait ce qu’ils semblent être. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman qui bien qu’il tende vers le roman noir, me paraît somme toute inclassable, et cela me convient très bien.


« Le professeur pensa au fils, Kevin. Elevé par une femme seule, d’origine maghrébine, sans doute peu instruite, logé dans une cité rongée par le chômage, il avait peu de chances d’échapper à son destin de déclassé. Les sociologues et les philosophes ont noirci des pages sur le déterminisme social, la stratégie des dominants pour perpétuer leur pouvoir et maintenir les opprimés dans les ghettos et les tâches subalternes. Depuis vingt-cinq ans, l’enseignant constatait la pertinence des théories de Pierre Bourdieu et consorts. Si quelques éléments brillants, ou chanceux, s’en sortaient, la majeure partie des enfants des dominés courbaient l’échine et subissaient leur sort. Au moindre faux pas, ils sombraient. »


mardi 22 mars 2016

Souvenirs de lecture 32 : Cécile Alix



Souvenirs de lecture 32 : Cécile Alix



Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Cécile Alix qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?

CA : Tous les livres que je lisais adolescente m’ont touchée, ils étaient le sésame, la porte ouverte sur la lumière, l’émerveillement de chaque instant, le grand voyage, l’intime et l’infini, l’infime aussi… Un recueillement, une extase et un frisson délicieux, celui des émotions libres d’aller de la page à mes yeux. D’eux, les auteurs qui les avaient écrites, à moi qui les lisais. Les livres étaient (et sont encore) ma plus grande liberté.
Deux livres me viennent spontanément à l’esprit, « Lettres de l’Oiseleur » de Jean Cocteau et « Le pays sous l’écorce de Jacques Lacarrière »

« Les lettres de l’Oiseleur », c’est la correspondance de Jean Cocteau. Il parlait comme il respirait, écrivait comme il parlait. On ne connaît pas son talent d’épistolier, hormis ses lettres à Gide, à Marais, à sa mère, ou à Anna de Noailles. Il disait « J’aime l’encre quand elle commence à vivre » et il faisait vivre ses lettres. Il peignait plus vrai que vrai et, à travers ce qu’il décrivait, je découvrais l’écorché vif que son théâtre ou sa poésie, vive et brillante, ne laissait pas deviner. Il était le personnage central de cette correspondance et mettait son cœur à nu. Courts billets ou longues missives, son courrier étaient autant d’appels et de cris désespérés. Et dans mon âme romantique d’adolescente, ils trouvaient leurs échos. Et il était drôle, caustique aussi ! Je me souviens qu’il nommait affectueusement l’Académie française « notre bonne mère poule » ! (La couverture du livre paru aux éditions du Rocher était très belle, toute de papier bleu et rose indien…)

Jacques Lacarrière se glisse dans la peau d’un insecte sous l’écorce végétale au tout début de ce récit singulier qu’est « Le pays sous l’écorce ». Puis il devient loir (et apprend à parler loir), grue (en en aimant une), éphémère, lombric, criquet, axolotl, même ! Et tant d’autres, insectes ou animaux divers… il vit  sous l’ombrelle d’une méduse, se caméléonise avec le caméléon, assiste aux amours de l’escargot, à la danse d’une araignée, fuit la mante dévoreuse, tente de converser avec une mouche, s’embrase avec un vers luisant, etc, etc. ! Il ne décrit pas l’être animal, il est l’animal. Il en détaille le moindre mouvement, le plus infime souffle, et le langage.
C’est un livre incroyable, une sorte de zoologie-fiction située dans notre monde, à l’inverse des fables de la Fontaine (où ce sont les animaux qui parlent notre langage, et non l’homme qui aboie ou rugit pour se faire comprendre du chien ou du lion.) « Le pays sous l’écorce » explore cette deuxième voie : le narrateur s’initie, au fur et à mesure de son exploration, au langage propre à chaque espèce animale rencontrée. « C’est le récit d’une quête et d’une initiation et aussi la concrétisation d’un rêve et d’une question d’enfant à laquelle, à l’époque, nul ne répondit : « Que deviennent les fourmis quand elles disparaissent sous la terre ? » Eh bien, trente ou trente-cinq ans plus tard, je suis allé voir sous la terre ce que les fourmis y faisaient. » Voici ce qu’en disait l’auteur.


Ce texte, d’une philosophie fine et nuancée, nous porte à réfléchir sur notre condition humaine, sur nos sens et l’écoute que nous leur portons, sur le sol qui nous accueille : sommes-nous à l’unisson de la Terre ? Nous est-elle familière ?
Quand on achève « Le pays sous l’écorce, on ne sent plus tout à fait homme », il nous donne conscience de notre animalité…on cherche l’écorce qui nous abrite, on rêve de déployer nos ailes et d’écouter… de dire « chut » et d’écouter…
Et quelle écriture ! Quel talent dans l’expression !


LLH : En quoi ces livres ont-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?

CA : La correspondance de Cocteau (comme les diverses que j’ai lues) m’a donné envie d’écrire… du courrier ! Elle m’a surtout appris (c’était la première que je lisais) qu’il ne faut être négligeant en rien dans l’écriture et qu’une lettre doit se rédiger avec autant d’attention qu’un roman… que la lettre est celui qui l’écrit, qu’il se livre tout entier, sans le vouloir souvent, dans les mots, dans la forme, dans le fond de ce qu’il envoie à l’autre. La lettre, c’est un don, un don de soi, et comme tout cadeau, il se doit d’être le plus beau possible J’ai toujours apporté beaucoup de soin à mon courrier… qu’il soit électronique ou de papier !
Le livre de Jacques Lacarrière m’a donné une idée moderne du style, du fait que ce qui prime, c’est la recherche que l’on fait du sien, en s’inspirant de celui des autres, forcément, mais en tendant à la singularité, jusqu’à la rencontre avec le sien propre, celui qui s’accorde naturellement, fluide et facile, avec sa personnalité. Il m’a donné le goût de la liberté dans l’écriture et de la recherche de cette liberté. C’est le travail de toute une vie ! L’écrivain, est un ouvrier qui durant toute son existence, polit, parfait, lustre son style pour que celui-ci puisse voler. Libre.





LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?

CA : Je lis actuellement une autre correspondance, celle de Camille Claudel… Lire une correspondance, c’est toujours teinté d’un peu de gêne… on entre dans l’intime, sans autorisation de l’auteur. Là, dans celle de Camille, on est saisi par la simplicité, la candeur et la légèreté de celle que l’on nous a souvent montrée sombre puis folle… elle était pleine d’envies, Camille, pleine de grâce et de légèreté, féminine et futile, drôle souvent, et forte, fière, et toute à son œuvre. J’aime découvrir ses sculptures avec son propre regard, j’aime qu’elle m’en dévoile la genèse… Bien sûr, elle perd la raison, mais dans toutes ses lettres, je lis surtout l’expression d’une passion, celle de son art.

J’ai lu dernièrement « La dernière nuit du raïs » de Yasmina Khadra… récit de l’existence, de la naissance jusqu’aux derniers instants, de Mouammar Kadhafi. Un livre qui a soulevé quelques polémiques et que j’ai profondément aimé. Il a été reproché à l’auteur d’avoir été trop « tendre » avec Kadhafi (le raïs) d’en avoir donné une image trop humaine. Je trouve que c’est justement cette humanité du monstre qui le rend encore plus immonde… « Humain trop humain » disait Nietzsche ! Et c’est exactement ça ! Le crime est humain ! Faire torturer son prochain, celui d’à côté qui est de notre espèce, c’est exclusivement humain ! Dans ce chant du cygne du tyran libyen, Yasmina Khadra nous plonge au cœur même de l’inhumaine humanité d’un dictateur (et par là-même de tous les dictateurs), il nous propose de comprendre comment la mégalomanie prend matière et réussit à atteindre le pouvoir suprême… Khadra n’humanise pas le personnage de Kadhafi, il nous rappelle tristement, terriblement, sauvagement, que Kadhafi était humain… oui.


Biographie :

Cécile Alix vit le jour au sommet d’un Populus lasiocarpa, plus communément nommé peuplier de Chine, le 6 septembre 1972. C’est une cigogne qui, passant, saisit au vol le délicat ballot et le déposa dans un chou. La jeune Cécile fut découverte par le vieux Fernand, jardinier gascon auquel appartenait la Brassicacée sus-citée. Fernand l’initia avec application à la culture du poireau nain et de la pastèque chilienne, ainsi qu’à l’observation attentive des étonnantes mœurs du Cuculus canorus.
Dès qu’elle fut en âge de voler de ses propres ailes, Cécile décida de faire le tour du monde. Elle ouvrit donc tous les livres qui se trouvaient à sa portée, continents aux rives infinies, océans aux profondeurs inouïes.
Ainsi elle rencontra l’amour et la connaissance de la planète qui avait bien voulu la voir naître et de ceux qui l’occupaient.
De retour de sa folle épopée, qui dura une bonne vingtaine d’années, elle s’installa dans un atelier au sommet d’un étrange donjon et consacra son temps à la rédaction de toutes les histoires glanées durant son voyage… histoires qui se déclinèrent en albums illustrés, en romans, en saynètes diverses de littérature dite « pour la jeunesse », « Car, précise la facétieuse auteur. Car je n’aurais pas eu l’idée d’écrire pour la vieillesse. »

Encore un grand merci à Cécile Alix pour son temps et sa gentillesse.

Le dernier roman de Cécile, Allô Papi ici la Terre aux éditions Magnard Jeunesse a été chroniqué sur ce blog, en voici le lien : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2016/03/allo-papi-ici-la-terre.html