jeudi 15 décembre 2016

Le héron de Guernica



Le héron de Guernica d’Antoine Choplin aux éditions La Brune au Rouergue


Le jeune Basilio, peintre en herbe, est envoyé par le père Eusebio à l’Exposition Universelle de Paris. Il a pour mission d’y rencontrer Picasso qui y expose pour la première fois sa toile Guernica.

Avril 1937. Le jeune Basilio vit à Guernica. il partage son temps entre les travaux de ferme et la peinture. Il peint des hérons. Très amoureux de Célestina qu’il retrouve parfois au bal, il lui promet un jour de lui offrir une de ses toiles. Pour lui c’est un cadeau modeste, mais c’est tout ce qu’il peut lui donner.

« Avant de lui poser dans les mains, il faudra lui répéter combien le héron peint est différent du héron que l’on voit et encore plus du héron tout court, tel qu’en lui-même.
   Il lui dira aussi qu’il regrette un peu cette idée de lui donner une peinture de héron. Que bien sûr, il est heureux de pouvoir lui offrir quelque chose ; et en même temps, que le moindre caillou par terre aurait sûrement plus de valeur.
   Bien entendu, elle protestera. Mais il voudra qu’elle comprenne. Lui offrir un caillou, ce serait l’inviter à porter un regard sur un objet véritable. Sur une chose d’origine, et non pas sur une esquisse de représentation, forcément imparfaite. »

Mais la vie de cette petite ville basque va être bouleversée, traumatisée. Le 26 avril 1937,  en ce jour de marché, la Légion Condor (escadrille allemande soutenue par quelques avions de chasse italiens) bombarde Guernica pour soutenir Franco. Nous vivons cet intense bombardement à travers les yeux de Basilio.

Ce bombardement, Antoine Choplin nous le décrit avec force détails. On y retrouve les personnages centraux de la toile de Picasso : le taureau et le cheval martyrisés, les corps démembrés. Ce tableau devant lequel, Basilio, témoin du massacre, passera des heures, ébahi.


 L’auteur nous montre que l’Art, même s’il est imparfait, est la meilleure façon de représenter le réel. Seul l’Art est capable, par sa composition, de nous faire vivre l’émotion, ici, l’horreur de ce bombardement. Il y réussit bien mieux qu’une simple photo factuelle.

« Il lui apparaît que la vérité de ce qu’ils sont en train de vivre, lui et ceux de Guernica dont le cœur n’a pas cessé de battre, ne peut s’accommoder de découpages. C’est un tout dont on ne peut rien extraire sans risquer la supercherie. Ce qui se voit ne compte pas plus que ce qui reste invisible, que ce qui pourrait apparaître, ou qui se tient en attente derrière les angles des murs ; que ce qui va surgir, d’un instant à l’autre, du ventre des nuages.
  Non, décidément, cette vignette dérisoire s’enracine dans un espace bien plus vaste. Ça n’est rien d’autre que le fugace point d’émergence d’un temps en train de s’écouler, portant l’espoir ou la crainte, et dont la photographie ne saura rien dire, ou si peu. »


Cette réalité qu’une simple photographie ne peut pas rendre, Antoine Choplin l’exprime avec force dans ce roman à la poésie sobre et émouvante. Une très belle découverte.

samedi 3 décembre 2016

Les corps fragiles



Les corps fragiles d’Isabelle Kauffmann aux éditions Le Passage

Marie-Antoinette découvre très tôt sa vocation. Un jour alors qu’elle rentre de l’école, elle voit sa mère discuter avec la voisine. Au cours de la conversation, elle tombe en arrêt sur les mains de la vieille dame, des mains déformées par la polyarthrite. La jeune fille est bouleversée par ces mains, par la souffrance qu’elles engendrent.

« C’était injuste, je me révoltai. On m’expliqua qu’il n’existait pas de traitement miracle. Mais les sanglots retenus de madame Masson avaient déchiré le voile de mon innocence, je ne pouvais plus les ignorer. Je voulais soulager ses souffrances. Puisqu’elle ne pouvait plus se servir de ses mains, je lui prêterais les miennes. Je décidai d’aller, tous les matins, l’aider à mettre ses bas et ses chaussures. »

Cette vocation du soin et de l’aide, ne sera jamais démentie, elle accompagnera Marie-Antoinette pendant toute sa carrière d’infirmière. Quarante ans de bons et loyaux services qui accompagneront les avancées de la médecine et le progrès social. Elle deviendra la première infirmière libérale de Lyon.

Dans ce roman plein d’humanité, ce récit de vie, Isabelle Kauffmann a su éviter le piège du récit chronologique fastidieux. La construction du roman est originale puisque chaque chapitre traite d’un membre du corps. Un membre que Marie-Antoinette doit soigner, ou un membre de son propre corps qu’elle utilise dans l’exercice de son métier.

« Certainement la part essentielle. Je pense que c’est d’elle que j’ai le plus exigé. Comment aurais-je pensé que les jambes avaient tant d’importance dans cette profession où mes aspirations d’enfant ne voyaient qu’écoute et soins dispensés aux malades ? Faites un sondage, demandez à cent personnes quelles sont les qualités nécessaires à une infirmière pour exercer au mieux son métier, toutes vous parleront de dévouement, d’empathie, de rigueur, de dextérité, de vivacité, de connaissances ou d’initiative, vous déclineront une série d’aptitudes intellectuelles ou de cœur, mais personne ne mentionnera les jambes. Et pourtant, il les faut solides et réactives, aussi stables qu’endurantes et même infatigables. »

Les corps fragiles est un vibrant hommage rendu à ces personnes qui exercent la profession de soignants par vocation. Ces femmes, ces hommes qui entrent dans l’intimité de nos corps et de nos foyers pour apporter, les soins et l’apaisement. Ces infirmières, médecins, qui tentent de réparer nos corps et de soulager nos âmes. Leur travail ne s’arrête pas à la machinerie, l’aspect humain, l’écoute, l’empathie, le soulagement de l’esprit sont aussi primordiaux.

Les corps fragiles est un roman plein de cette humanité nécessaire dans l’exercice de cette vocation. Une humanité dont nous avons bien besoin par les temps qui courent.

« - Nous avons une génération d’écart, Françoise, mais sur le fond, rien n’a changé. Nous soignons des corps souffrants, nous les torchons, les lavons, les piquons, les frictionnons, les remuons, alors que ce sont les âmes qui nous importent. La relation avec nos patients anime notre vocation, c’est ce lien qui compte. Et pourtant, ces corps mènent la danse, ce sont toujours eux qui ont le dernier mot. »

jeudi 1 décembre 2016

Le silence des rails



Le silence des rails de Franck Balandier aux éditions Flammarion

Etienne est né sur un quai de gare en 1918 alors que sa mère attendait son mari de retour de la guerre. Un mari qui ne reviendra jamais, elle le comprend en lui donnant la vie et en perdant la sienne. Etienne est confié à un orphelinat d’où il sortira à dix-huit ans, le bac en poche. Il rencontre Jules qui lui fait découvrir son homosexualité.


Paris est occupée par l’armée allemande, mais Etienne risque tout, bravant le couvre-feu pour vivre sa vie, ses relations, ses amours. Un jour il se fait rafler. Le 22 juillet 1942, il prend le train pour l’Alsace, le camp de Natzweiler-Struthof, seul camp de la mort sur le territoire français.

Son numéro de matricule est tatoué sur son poignet, on lui donne sa tenue de détention, un pyjama rayé floqué d’un triangle rose pointe en bas, stigmate de son inversion. Nous allons suivre son calvaire jusqu’à la libération du camp.

C’est à une messe, que nous convie Franck Balandier. Une messe païenne, une messe de l’horreur, à la mémoire des ces déportés qui sont morts ou qui ont survécu aux camps, en l'honneur des ces personnes incarcérées et massacrées pour leur orientation sexuelle. Une messe à un Dieu qui ne peut pas exister.

« Cher Dieu,
Je ne T’aime plus. Tu n’existes pas.
Si tu existais…
Je ne T’aime plus. Je T’appelle. Sans cesse, je T’appelle. Pourquoi Tu ne réponds pas ? Jamais ? Maintenant, c’est trop tard, il paraît. Il paraît. Je crois que Tu n’existes pas. Tu n’existes pas, c’est sûr. Tu n’existes pas.
Sans Toi, je dois vivre, alors. »

Dès la génuflexion en ouverture, l’auteur nous prend aux tripes, nous prend à la gorge jusqu’à l’Ite missa est final. Par des phrases courtes, elliptiques, il nous décrit toute l’horreur de la vie d’Etienne dans le camp : des corvées les plus dures, aux expériences médicales qu’il subit, de la peur dans laquelle il vit d’être le prochain qui sera exécuté, à l’espoir, la « chance » d’être toujours en vie. Franck Balandier relâche par moment son étreinte par des passages très poétiques, des moments d’espoir, pour mieux reprendre son emprise par la suite.

Vous qui me suivez régulièrement, vous savez que cette période de l’histoire me passionne et que j’ai lu beaucoup de romans traitant de ce thème. Ce livre est un des plus durs et des plus beaux que j’ai lu sur les camps de concentration. Un de ces livres qui marquent à vie.

« La nuit, nous faisons tous le même rêve. Je ne crois pas que l’on puisse imaginer cela, ce rêve collectif, le rêve éveillé de nos dents en cadence, nos dents, l’émail de nos dents, l’horrible va-et-vient de nos mâchoires à vide, l’usine de nos bouches, nos mastications d’habitude, la routine. Il n’y a rien de dissimulé sous nos langues. Combien de nuits ainsi à répéter, pour de faux, la lente dissolution de viandes qui n’existent pas, l’infime dilution de légumes nés de notre imagination ? Nous dormons au pas de nos estomacs. Nous parlons à nos gencives mortes. Qu’avons nous donc à croquer, avec tant d’urgence, sinon nos propres langues. »

mercredi 23 novembre 2016

Rencontre avec Martine Magnin et Catherine Rolland



Rencontre avec Martine Magnin et Catherine Rolland




Les lectures du hibou et Le Biscuit Café Créatif vous invitent à une rencontre avec deux auteurs : Martine Magnin et Catherine Rolland. Venez les découvrir ainsi que leurs oeuvres dans une atmosphère conviviale.

Martine Magnin nous présentera son très beau témoignage 



Cathrine Rolland nous fera découvrir ses deux derniers excellents romans :

et


Deux auteurs pleins de talents, d'humour et de bonne humeur. Venez nombreux partager ce moment d'échanges en toute convivialité.

Lien vers l'événement Facebook : https://www.facebook.com/events/759538334199996/

Page du Biscuit Café Créatif : https://www.facebook.com/lebiscuitneuville/?fref=ts