lundi 13 février 2017

Je dansais



Je dansais de Carole Zalberg aux éditions Grasset


« Je dansais. Du matin au soir je dansais. C’est ce que je faisais. Avant lui.
La vie était légère et joyeuse, je fredonnais intérieurement. J’avais l’ouïe fine mais sélective. Ma voix secrète couvrait les mauvais bruits du monde et tout ce qui m’ennuyait. »

Marie est une enfant vive et joyeuse qui semble traverser la vie en dansant. Un jour, pourtant, ces mauvais bruits du monde vont venir fracasser l’harmonie dansante de son existence. Ces mauvais bruits vont avoir pour origine un seul regard.

Celui qui va bouleverser la vie de Marie, c’est Edouard, un homme défiguré lors d’un incendie. Alors que tout le monde détourne le regard à son passage, Marie, d’abord surprise, un peu effrayée, finit par lui sourire. Ce sourire cèlera son destin.

« Souviens-toi : tu marches vers moi en me lançant des yeux ton grappin qui d’abord me surprend et m’écorche, puis me soulève, me hisse sans mal hors de la vase où, depuis l’accident, je me débats et me débattant m’enfonce chaque jour davantage.
As-tu oublié ? N’as-tu rien su de ta magie ?
Je me nourris de cette minute, la dilate, m’en gave sans jamais être rassasié. »

Commence alors un long calvaire pour Marie. Elle est enlevée, séquestrée. Edouard la veut pour lui, rien qu’à lui, entièrement à lui. Edouard veut lui montrer tout son amour. Marie est violée. Elle est souillée. Elle subit les assauts d’Edouard en psalmodiant les prénoms de ses amis. Heureusement qu’elle a des livres, unique occasion de réconfort, pour fuir ces atrocités. Si elle en réchappe, quelle sera sa vie ?

C’est aussi la question que se posent les parents de Marie. Ils affrontent les étapes d’un deuil qu’ils ne peuvent pas faire. Ils ne savent même pas si leur fille est morte. Par moments ils le souhaitent : que son supplice ait été de courte durée. Ils se sentent coupables aussi. Ils n’ont pas su protéger leur fille. Ils ne vivent plus.

Alternant les points de vue, celui de Marie, d’Edouard, ceux des parents et du jeune amoureux de la petite fille, Carole Zalberg nous montre toute l’horreur du calvaire de Marie. Partant de ce drame particulier, elle nous montre le caractère universel de ce que subissent les femmes agressées, violées enlevées, vendues, sous toutes les latitudes. Pour cela elle convoque le chœur des femmes bafouées, niées,  du monde entier dont l’intervention émaille le récit.

« Et nous sommes les femmes prises sans répit tout au long de l’histoire humaine.
Nous petites encore fraîches, données en pâture au sexe violent des soldats, à l’éboulis que sont leurs corps de pierre sur nos corps duveteux, puis, quand tout en nous s’est éteint, quand nul ne voudra plus nous reconnaître, quand nous serons l’abîme sous les pieds des vivants, jetées livrées au crachat ou finies à la machette, à la kalach, à mains nues. »


Je découvre avec ce roman la plume de Carole Zalberg. Quelle découverte ! Je dansais est un roman poignant, bouleversant, qui prend aux tripes dès le début et ne vous lâche plus. Je dansais nous montre ce que subissent les femmes dès leur plus jeune âge, dans toutes les cultures et la force qu’il leur faut pour survivre malgré tout. Un grand roman. Carole, je vais de ce pas me procurer vos œuvres précédentes.

vendredi 10 février 2017

Une femme au téléphone



Une femme au téléphone de Carole Fives aux éditions L’Arbalète Gallimard

Charlène à 63 ans (58, c’est mieux pour Meetic). Quand elle ne cherche pas l’âme sœur sur les réseaux sociaux, quand elle ne soigne pas son cancer, ou qu’elle  n’est pas à l’hôpital psychiatrique pour sa bipolarité, elle passe son temps au téléphone avec sa fille.

Ce sont ses messages, ses conversations que Carole Fives nous livre. Seules ses paroles sont mentionnées, les réponses de sa fille ne sont jamais citées.

Dans ces monologues, Charlène parle de tout ce qui la tracasse, tout ce qui l’irrite, tout ce qui l’effraie, passe son temps à faire des reproches à ses enfants : ils ne sont pas assez présents, ne s’occupent pas assez d’elle, comptent trop sur elle. Tantôt elle voudrait les voir plus, leur parler plus, tantôt elle se fâche et ne veut plus avoir affaire à eux, pourtant elle revient toujours à la charge, envahissante, injuste, ridicule.

« Je te dérange ? Tu n’avais qu’à fermer ton téléphone. Moi je suis debout depuis six heures alors… Ça a réveillé tes amis ? Mais vous dormez tous ensemble dans cette maison de vacances ? C’est un vrai boui-boui ! Ah, je ne savais pas moi. Tu es impossible à joindre. Si tu le prends sur ce ton, je ne vous embêterai plus, j’ai compris. Je resterai dans mon coin, toute seule, sans nouvelles. Allez, amuse-toi bien, pense à moi un peu quand même. »

Une femme au téléphone est un court roman à la fois drôle et poignant. Il nous parle de solitude, de manque d’amour, de vieillissement. Charlène endosse plusieurs personnalités. Parfois mère tyrannique, parfois femme enfant, souvent irritante, mais tout autant attachante,  elle a besoin de ces conversations, un besoin vital. Ces appels téléphoniques son de véritables journaux intimes, elle y déverse toutes ses émotions pour commencer une nouvelle page le lendemain.

Le fait de ne pas mentionner les réponses de la fille, nous implique encore plus dans le récit. Le lecteur s’identifie pleinement à l’interlocuteur de Charlène, devinant ses réponses, ses réactions, face au caractère excessif de sa mère.

« Et toi ? Ah bon ah bon, je suis bien contente pour toi. C’est encore un poète ? Comme je te connais, tu vas te lasser aussi vite que ça t’a pris, mais si c’est quelqu’un de bien, fais des efforts ma fille. Ne ris pas trop fort, sois posée, contrôle-toi. Pour nous qui te connaissons, ça ne nous fait plus rien, mais pour les gens qui ne sont pas habitués, c’est vraiment rédhibitoire. Je dis ça pour toi, je préférerais ne plus te savoir seule.
Et puis surtout, ne dis pas de mal de ta mère, je te connais, tu crois faire ta maligne en dénigrant ta famille et puis après, quand les gens me voient, ils me trouvent plutôt sympa et c’est toi qui a l’air bête. »


Une femme au téléphone est un roman qui nous interroge sur notre relation à nos parents, sur celle que nous avons avec nos enfants. Un roman qui trouverait toute sa place sur une scène de théâtre tant ces conversations sonnent juste. Pour ma part en le lisant, je m’imaginais Charlène sous les traits de la regrettée Sylvie Jolie. Un livre à découvrir d’urgence.

mardi 7 février 2017

Le journal d’un écrivain sans succès



Le journal d’un écrivain sans succès de Jean-Fabien chez Paul & Mike Editions


Jean-Fabien, ingénieur informaticien voudrait être écrivain. Plus qu’écrivain, il veut être un écrivain reconnu. Malheureusement les éditeurs ne sont pas séduits par sa prose, c’est le moins qu’on puisse dire. Il reçoit une lettre d’un éditeur, pour une fois personnalisée et manuscrite. Le grand jour serait-il arrivé ? Hélas, cette lettre est encore plus virulente que les autres.

« Je vous en conjure donc : croyez-moi si je vous dis que vous êtes à la littérature ce que le hachis Parmentier Findus est à la grande cuisine. »

Après un moment d’abattement, Jean Fabien décide de réagir. Pour continuer à écrire, pour avoir des lecteurs, se faire connaître il décide d’ouvrir un blog dans lequel il parlera de lui, de ses expériences.

C’est un journal sous plusieurs formes que nous lisons. Un journal classique dans lequel Jean-Fabien nous raconte ses journées, nous fait part de ses réflexions sur le monde du travail, dans lequel nous suivons les étapes qui doivent l’amener à la production d’un premier livre. Pour son premier roman, il a déjà trouvé le thème, ce qu’il connaît le mieux : « L’étude du comportement féminin en milieu hostile », il ne lui reste plus qu’à trouver sa muse.  Ce journal est ponctué de digressions sous forme d’interlude, de pages de blog et d’échanges de mails.

Le journal d’un écrivain sans succès est un roman original, rafraîchissant porté par un style nerveux, plein d’humour et d’autodérision. Ce roman décalé nous montre ce qu’est la vie d’un écrivain, entre son travail alimentaire et son désir de devenir écrivain.

«Être écrivain, c'est avant tout un état d'esprit. C'est avoir la conviction de son utilité, vouloir partager avec ses contemporains et les générations futures ses pensées, ses sentiments, ses ressentis. J'ai toujours été fasciné par l'effet que procure la rencontre avec un artiste. Je ne parle pas bien sûr de l'artiste de renommée internationale à côté de qui on se retrouve assis au resto, et qui ne cache pas sa lassitude de ne pouvoir disposer de quelques instants de tranquillité. Non, je fais référence à cette aura, à ce magnétisme que dégage le créatif, aussi insignifiant soit-il sur l'échelle du prix littéraire... »

Cet OVNI littéraire à lire au deuxième voire au troisième degré a été pour moi un vrai régal, un excellent moment de lecture. Un auteur à découvrir


J’aurai le plaisir d’accueillir Jean-Fabien lors d’une rencontre consacrée à Paul & Mike éditions, le samedi 11 février, au Biscuit Café Créatif à Neuville sur Saône, à 14h30.

Lien vers l’événement Facebook : https://www.facebook.com/events/761293334020907/


Lien vers l’article de présentation de la rencontre : http://leslecturesduhibou.blogspot.fr/2017/01/rencontre-avec-paul-mike-editions.html