lundi 20 mars 2017

Café Krilo



Café Krilo de Baptiste Boryczka chez Lemieux Editeur


Ce sont le Danemark et l’Europe du futur que nous décrit Boryczka. Nous sommes à Copenhague, plus exactement à Vesterboro, au cœur du quartier rouge. Le Danemark, comme le reste du continent, est gangréné par les dictatures religieuses. Ici ce n’est pas l’islamisme qui est en cause, mais les religions chrétiennes qui avec l’armée ont mis l’Europe sous une chape de plomb.

Le café Krilo, autrefois centre de la contestation et du syndicalisme, n’est plus. De nombreuses descentes militaires violentes ont eu raison du bel espoir qu’il représentait pour les opposants au régime. Dans ce royaume du Danemark où il y a bien quelque chose de pourri, trois jeunes danois, chacun en danger pour des raisons bien différentes, devenus amis, ont racheté l’immeuble, ou plutôt ce qu’il en reste. Ils occupent chacun un étage de ce taudis avec le secret espoir de redonner vie à ce lieu mythique qu’était le café Krilo.

« Comme bien souvent, le métro ne remplit pas sa fonction première. John renonça à attendre et se mit à marcher vers la ville. Une heure trente lui suffit pour rejoindre son appartement. Il était situé à Vesterbro, en plein cœur de la vieille ville. John aimait particulièrement ce quartier, certes quasiment inhabité, mais riche en traces du passé. Il s’amusait souvent à dire qu’il serait un jour le dernier habitant de Vesterboro. Comme beaucoup de jeunes de sa génération qui avaient choisi de rester en Europe, John n’avait pas d’argent, pas d’enfant, pas d’avenir. »

John, Lotte et Mark, les trois personnages principaux se sont trouvés car bien que très différents, ils ont chacun des personnalités très mal vues par le régime en place. John est professeur, chercheur et homosexuel. Lotte, elle est mécanicienne, elle a son propre garage, est très indépendante. Mark quant à lui est ouvrier et syndicaliste. Tous trois bien qu’hésitants sur la conduite à tenir : partir pour vivre mieux comme tant d’autres qui ont quitté cette Europe décrépite pour les cieux plus souriants de l’Asie ou de l’Afrique, ou rester et résister de l’intérieur pour soutenir la résistance qui s’organise de l’extérieur.


Dans son premier roman, Korzen, Baptiste Boryczka nous décrivait une ville imaginaire de l’Europe du Nord, véritable pays de cocagne vers laquelle de nombreux migrants convergeaient. Une ville qui peu à peu se laissait tenter par les idées populistes et racistes. Café Krilo est en quelque sorte la suite de ce premier roman. Il nous montre ce qu’est devenue l’Europe suite à la montée de ce populisme et l’avènement de la dictature religieuse. Un roman noir, glaçant mais que l’humour noir de l’auteur parvient à alléger. Un roman d’actualité alors que les populistes remportent les élections aux Etats-Unis et en Europe. Il y est question d’espoir. Nos trois héros restent car ils ont l’espoir chevillé au corps que les choses peuvent changer. Ils n’ont pas abdiqué. J’avais beaucoup aimé Korzen, à sa sortie, mais je trouve que Café Krilo est encore plus abouti. Baptiste Boryczka est un auteur à suivre.

samedi 18 mars 2017

L’animal et son biographe



L’animal et son biographe de Stéphanie Hochet aux éditions Rivages


Les vacances d’été arrivent. Pour la narratrice, jeune écrivain en manque de notoriété, le programme est déjà établi. Elle est ravie d’accepter l’invitation d’un festival littéraire dans le Lot. Les organisateurs lui ont prévu diverses interventions dans des campings où elle présentera son dernier roman et participera à des séances de dédicaces. Deux semaines au vert, tous frais payés avec en plus un chèque à la clé, ça ne se refuse pas.

« Les jeunes auteurs et les écrivains plus anciens mais dont la notoriété demeure modeste ont en commun d’être invités à des conférences estivales dont personne n’a eu vent, à l’exception des vacanciers des campings participant à l’animation « littérature en tongs », une parenthèse culturelle parfois perçue comme une activité parmi d’autres, un passe-temps simplement moins fatigant que le ski nautique ou les matchs de ping-pong. »

Un soir après l’une de ces séances en camping, elle est conduite dans une maison où elle est censée passer la nuit.  Elle se rend compte que la demeure est isolée, que le réseau téléphonique est inexistant, qu’elle n’a aucun moyen de communication. L’organisation doit venir la chercher, mais quand ? Elle est hébergée par un couple avec qui le dialogue est difficile : l’homme est sourd-muet et la femme élude ses questions.

Elle fait la connaissance du maire de Marnas, une force de la nature au charisme de gourou. Après une conférence, il l’emmène visiter sa fierté : son musée des espèces dans lequel se côtoient animaux empaillés et hommes plastinés. Une véritable galerie des horreurs qui frappe la jeune écrivain de stupeur, surtout quand l’édile lui affirme qu’il  a mis en pratique les thèses soutenues dans ses romans. Mégalomane, le maire de Marnas veut laisser sa trace dans l’histoire. Il veut faire revivre l’aurochs préhistorique. Des aurochs avaient déjà été recréés génétiquement par les nazis, mais ils étaient imparfaits. Avec l’aide financière de l’Organisation et des éleveurs, il a réussi à faire renaître l’aurochs de Lascaux. De cet aurochs, il veut faire un mythe, or pour créer une légende, il faut un texte, c’est là que notre héroïne intervient.

La jeune écrivain, d’abord réticente, consciente d'avoir été manipulée, accepte la proposition du maire. Elle se laisse même gagner par l’enthousiasme à créer ce mythe de l’aurochs. Cependant, elle se rend bien compte qu’elle n’est pas libre de ses mouvements. Certes, elle peut aller et venir à sa guise, mais elle est hébergée au milieu de nulle part et est dépendante des ses hôtes. Elle se laisse enfermer dans ce labyrinthe dont le minotaure est le maire de  la commune.

Après une première partie assez humoristique bien que réaliste sur le métier d’écrivain, l’atmosphère s’alourdit au fil du roman. L’auteur revisite le mythe du minotaure, enfermant sa narratrice mais aussi son lecteur dans un labyrinthe sans issue. Stéphanie Hochet nous plonge dans une atmosphère inquiétante et onirique où la relation entre « l’animal humain » et la « personne animale » est omniprésente. Ce thème de notre rapport à l’animal est très cher à l’auteur (voir Éloge du chat). Stéphanie Hochet nous égare dans ce labyrinthe avec talent, une belle réussite.


« L’écriture doit permettre de retrouver l’animal qui existe en soi. De retrouver la spiritualité qui incita nos ancêtres du paléolithique à peindre des aurochs et des mammouths en majesté sur les murs des grottes. (…) Il y a une époque où l’animal était notre divinité, nous habitions le même monde et nous lui laissions une place magnifique dans la création. Cette époque demeure quelque part en nous, elle demeure enfouie dans notre mémoire collective, trace recouverte de millénaires de civilisation, mais elle n’a pas disparu. Elle est source d’énergie. »

Autres oeuvres de Stéphanie Hochet chroniquées sur le blog :

vendredi 17 mars 2017

Le paradis n’est pas si loin



Le paradis n’est pas si loin d’Alain Larchier chez L’Astre Bleu Editions

Nous sommes en 2092. La Terre se meurt. La surproduction, la surconsommation, la pollution, les guerres partout sur le globe ont occasionné un changement climatique majeur. La montée des eaux et la disparition de certaines espèces animales, rendent la vie humaine de plus en plus difficile. Différents Etats se sont rassemblés pour lancer un vaisseau expéditionnaire peuplé de 12000 colons (des militaires, des scientifiques et des civils), tous choisis pour leur intelligence ou leur expertise professionnelle. L’objectif, trouver une planète compatible avec la vie humaine. A cette date, le vaisseau est parti depuis vingt ans.

Alors que les membres d’équipage sont en hibernation, l’officier de quart est alerté par les ordinateurs de bord qu’ils sont en approche d’une planète comparable à la Terre, sur laquelle la vie humaine serait possible. Toutes les analyses sont probantes. Le processus de réveil de l’équipage est lancé. La planète à la végétation luxuriante semble habitée, mais ici pas de ville, seulement des villages disséminés. L’industrie ne paraît pas très avancée, les usines brillent par leur absence. Apparemment, les humains vont avoir affaire à une population peu évoluée. Un message crypté arrive sur les écrans d’ordinateurs du vaisseau. Seul Jean-Michel, un jeune soldat (qui s’est engagé juste pour faire partie de l’aventure) parvient à décrypter le message. Un représentant des autochtones de la planète entre en contact avec le vaisseau. Jean-Michel devient son interlocuteur principal. Avec quelques hommes, il va descendre sur planète.

La civilisation que découvrent Jean-Michel et les observateurs qui l’accompagnent est une totale surprise. Ici, tout le monde vit en harmonie. Le mensonge est banni. Quand on ne veut pas répondre à une question on le fait savoir. A leur grande stupéfaction, l’argent est absent. Les autochtones vouent leur vie à l’étude et aux arts. Chaque habitant donne 12 années de sa vie à travailler pour la communauté, en échange tout ce dont il a besoin lui est fourni gratuitement. Ensuite c’est la retraite, les habitants disposent de tout leur temps pour vaquer à ce qui les intéresse.

« - Autrefois, l’argent paraissait être un moyen pratique pour favoriser les échanges. Mais avec le temps et l’enrichissement de certains, il a cessé d’être un moyen pour devenir une fin en soi. C’était devenu l’outil du pouvoir, de la puissance, de la domination, le prétexte aux guerres, aux conquêtes, à l’exploitation des plus faibles au profit des plus forts. Sans argent, il n’est pas possible d’amasser des fortunes. Vos sociétés sont basées sur le profit car vous pensez que la position sociale dépend de l’argent que vous possédez. Vous l’accumulez avec rapacité bien au-delà de vos besoins. Un riche n’est jamais assez riche et devient souvent malhonnête pour l’être un  peu plus. »

Les terriens se rendent compte que cette civilisation est bien plus avancée que la leur. Les habitants de cette planète ont connu les mêmes ravages que sur Terre mais bien avant et ont su recréer une vie en osmose avec la nature, une vie dans laquelle le profit ne pourrit pas les relations. La question de l’implantation des terriens est posée. Les autochtones les accueilleront avec plaisir à la condition qu’ils s’adaptent à la façon de vie de leurs hôtes. Un débat houleux a lieu entre les militaires, les politiques et les civils terriens. Ce peuple ne semble pas avoir d’armes et doit pouvoir être vaincu facilement. Doit on s’adapter ou bien prendre possession de la planète par les armes. Les humains parviendront-ils à vivre comme  leurs hôtes, ou finirons-ils par tout détruire comme sur Terre ?


Ceux qui me connaissent savent que je suis très réfractaire à la science fiction. Pourtant j’ai complètement plongé dans ce roman, véritable réflexion sur notre façon de vivre et sur les solutions pour arranger les choses. Même si la vie des autochtones de la planète semble très utopique, elle a au moins le mérite de poser les questions, de remettre nos habitudes, nos  systèmes politiques et économiques en question. Et si les plus grandes richesses étaient le temps et la connaissance ? Un livre passionnant.