mardi 12 mai 2015

Un roman anglais



Un roman anglais de Stéphanie Hochet aux éditions Rivages




   1917, l'Angleterre est ravagée par la Grande Guerre. Anna Whig se voit contrainte pour éviter les bombes de fuir Londres avec son mari et son fils de deux ans pour leur maison du Sussex. Anna souhaitant reprendre son activité de traductrice, ce couple de bourgeois se voit dans l'obligation de trouver une garde d'enfant. Une petite annonce est publiée dans le Times mais tout est rendu plus difficile par la guerre. Les femmes remplacent, leurs maris, leurs pères, leurs frères dans les usines pour soutenir l'effort de guerre, ou sont parties sur le front pour soigner les blessés. Enfin une réponse arrive. Anna est séduite par une lettre. Le prénom de la candidate la ravit : George, comme George Eliot, une femme de lettres qu'elle admire.

   Quelle n'est pas la surprise d'Anna, quand elle s'aperçoit, sur le quai de la gare, que George est un homme. N'osant lui parler de sa méprise elle se résout à lui donner sa chance, à se moquer du qu'en dira-t-on. George va donc s'installer dans la famille et faire preuve d'une grande efficacité et d'une grande tendresse pour Jack.


  Nous sommes dans un monde en pleine mutation, un monde où, du fait de la guerre, les femmes commencent à prendre dans la société, une place que certaines d'entre elles demandaient depuis longtemps. La première guerre mondiale marque la fin d'une époque, la fin de la société victorienne qui devient obsolète face aux nouvelles connaissances, aux nouveaux enjeux du monde.


  Comme l'Angleterre l'est par la guerre, Anna est ravagée par son combat intérieur. Entre son rôle d'épouse et de femme, entre son métier et l'amour pour un enfant dont elle ne sait pas, dont elle ne veut pas s'occuper. Dans la société qu'elle a connue avant, dans son monde, les mères ne s'occupaient pas de leurs enfants, c'était un travail de domestique. Ce combat intérieur qui se livre en Anna, est toute l'essence de ce roman. On y voit une femme aussi tourmentée que ces paysages de guerre. Une femme tiraillée entre les convenances, ce mariage avec un homme qui n'a qu'une passion l'horlogerie et sa vie de femme, ses aspirations. Cet homme qui arrive pour s'occuper de Jack va mettre le feu aux poudres. Il parvient à calmer les accès de violence d'Anna, et se montre beaucoup plus maternel qu'elle avec l'enfant. Cet homme devient rapidement une image fantasmée de son bien aimé cousin John, parti au front et dont elle est sans nouvelles. Il va être en quelque sorte le catalyseur, l'accélérateur des tourments d'Anna


  Un roman anglais est un superbe livre qui nous plonge dans la tourmente. Celle qui frappe un pays, une société et celle, qui est à l'oeuvre dans l'esprit, dans la vie d'Anna. La plume de Stéphanie Hochet nous immerge avec beaucoup de talent et de finesse dans cette période de transition, dans ces champs de ruines que sont le pays et la vie d'Anna. Un roman à la fois tourmenté et plein de pudeur. Un roman inspiré de la vie de Virginia Woolf, tout en intériorité. Un long monologue intérieur, un flot de pensée (stream of consciousness ) parfaitement retranscrit. Un roman coup de coeur.

  "Le 14 février arriva. Les Dardanelles pour le pays dont l'armée partait en expédition en Turquie, le jour de Jack pour moi. L'enfer comme point commun. Le bébé me déchira le ventre en venant au monde. La naissance de Jack-le-tant-attendu me propulsa un temps dans le chaos. Cette expérience hurlante m'aura secoué le corps, rappelant à l'intellectuelle, à la traductrice pinaillant sur les variations de sens, que la matière première de l'existence  est d'abord et avant tout un choc physique, c'est la terre qui vous cogne et vous percute, ce n'est pas le flot de pensées, stream of consciousness, comme on avait tendance à le croire jusqu'alors."

  "Non, George n'est pas un réconfort. Un réconfort, ça ne vous retient pas , ça ne contient pas l'élan destructeur qui loge en soi. Un réconfort, c'est gentil et doux. Ça n'a rien d'un barrage contre le remous morbide qui m'a envahie. Qui d'autre serait capable de voir ce que je cache ? Qui pourrait supporter la proximité d'une femme abritant cette chose vicieuse qu'elle ne reconnaît pas elle-même."


Roman disponible en librairie à partir du 13 mai.

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