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samedi 24 janvier 2015

Les insurrections singulières




Les insurrections singulières de Jeanne Benameur aux éditions Actes Sud



 Antoine a la quarantaine et il revient vivre chez ses parents. Karima, sa compagne l'a mis à la porte,  l'usine dans laquelle il travaille est au bord de la fermeture. Antoine est perdu dans sa vie. Il l'a toujours été. Il a toujours trouvé la vie de ses parents trop étriquée pour lui. Une vie se résumant à un travail harassant pour son père à l'usine et la gestion de la maison pour sa mère. Une petite vie à l'image des maquettes que son père fabrique lors de son  temps libre

   "Les maquettes, c'était le monde en miniature, un monde qui tenait dans le creux d'une main. Réduit. Moi, le monde, je le voulais grand. Pas réduit.
     Et ma respiration se cognait contre les bords."


 Depuis qu'il est tout enfant, Antoine a ce désir d'ailleurs, d'autre chose, un désir non articulé qui se manifeste par la rage. La rage contre l'usine qui détruit son père, la rage contre ses parents qui ne cherchent pas à se sortir de leur petite vie, la rage contre son incapacité à communiquer avec Karima. il n'arrive à se fixer sur rien. Il entreprend des études dans divers domaines qui ne mènent à rien, il lâche en cours de route. Ce qui le passionne ce sont les mots et les pierres. Il aurait aimé être architecte mais ne s'en est jamais donné les moyens. Comme avec les mots qu'Antoine n'arrive pas à articuler entre eux avec Karima, il n'arrive pas à articuler ses désirs, ses projets. Les seules occasions où il trouve les mots, c'est en groupe à l'usine, ce sont des mots engendrés par sa rage, des mots violents à l'égard des actionnaire qui veut délocaliser la production au Brésil.

Un dimanche matin Antoine accompagne sa mère sur le  marché où elle tient un étal de mercerie pour arrondir les fins de mois. Il y fait la connaissance de Marcel, ami et voisin de ses parents, qui vend des livres sur les marchés. Avec Marcel, il va découvrir les livres, ces livres qui vont l'attirer dans ce joyeux désordre qu'est la maison de Marcel. L'homme va le prendre sous son aile, l'aider à poser des mots sur ses maux, l'aider à oublier sa rage, à articuler ses désirs. Ils vont partir tous les deux pour le Brésil sur les lieux-mêmes ou les emplois vont être délocalisés. Un voyage à la découverte des autres, à la découverte de lui-même, un voyage renaissance.

Les insurrections singulières sur fond de délocalisation et de tensions dans le monde du travail est un roman sur la révolution personnelle. Un roman sur la recherche des mots à poser sur ses maux, sur l'exploration de ce qu'il y a de plus obscur en nous, pour en faire jaillir la lumière, sur la nécessité de ce voyage intérieur pour vivre sa vie, et non celle qui nous est imposée par les événements ou le milieu social. Un roman fort, bouleversant, plein d'espoir porté par la plume exceptionnelle de Jeanne Benameur. Un style plein de rythme, de souffle, d'émotion, de sincérité. Un livre qui m'a secoué profondément, un gros coup de coeur et la découverte d'une auteure dont je vais rapidement lire les autres romans.

  "Dans les toilettes du bar, je pleure comme un môme.
    De tout.
    De ce monde où je ne peux serrer dans mes bras une femme qui n'est pas morte et que j'aime toujours.
    De ce monde où un vieux types aux cheveux blancs va lire sur une tombe de banlieue des pages et des pages depuis des années.
    De ce monde où je suis en RTT forcées et où je n'ai plus envie d''aller me battre contre des moulins.
    De ce monde où Franck et tant d'autres ne savent plus que dire à leurs mômes pour tracer une route de vie.
     De ce monde que mes parents vont quitter un jour aussi humblement qu'ils l'ont habité.
     Je pleure."

   "Tu vois, moi j'ai des passions, les livres, ça me sauve... je traverse mes temps morts avec des gens qui ont oeuvré pour ça, ceux qui ont écrit... je les aime et je leur suis infiniment reconnaissant du temps passé devant leur table... ils m'aident à traverser. Et qu'eux soient morts ou vivants, ça n'a plus aucune importance. J'ai le livre en main et c'est du carburant pour ma vie à moi. C'est pour ça que j'en fais le commerce, je ne connais pas de meilleur commerce."

   "Aujourd'hui je sais  que les zones obscures sont des zones pleines et que les mots, les vrais, c'était là qu'ils étaient à attendre."




mardi 30 décembre 2014

Clara et la pénombre




Clara et la pénombre de José Carlos Somoza aux éditions Actes Sud




Dans ce roman publié en 2001, l'auteur nous invite en 2006 dans le monde de l'art. Un monde ou tout a changé. L'art Hyper Dramatique tient le haut du pavé. C'est un art ou les toiles n'existent plus, ou plutôt si , elles existent mais elles sont humaines, vivantes. Ces toiles humaines sont peintes, mises en scène, exposées, vendue comme les anciens tableaux. C'est un commerce juteux qui rapporte aux artistes, mais aussi à ces modèles qui par ce biais engrangent beaucoup d'argent et espèrent passer à la postérité mais à quel prix?



   Le marché de l'art Hyper Dramatique est dominé par un peintre hollandais, Bruno Van Tysch. Ce peintre, habile homme d'affaire a aussi créé une fondation pour développer ses revenus et protéger ses oeuvres qui sont accompagnées par des agents de sécurité. Tous les aspirants modèles ne rêvent que d'une chose être peints par lui. C'est le ças de Clara, jeune espagnole qui ne vit que pour être une toile, qui est prête a accepter tous les sacrifices pour être le modèle original d'une de ses oeuvres.


   "Être une oeuvre d'art a quelque chose de... d'inhumain. Tu dois être froide, beaucoup plus froide. Imagine un sujet de film de science fiction : l'art est comme un être d'une autre planète et se manifeste à travers nous. Nous pouvons peindre des tableaux et composer des musiques, mais ni le tableau ni la musique ne nous appartiendrons, parce que ce ne sont pas des choses humaines. L'art nous utilise, petite, il nous utilise afin de pouvoir exister, mais c'est comme un alien. Tu dois penser à ça : quand tu es un tableau, tu n'es pas humaine."

   Le meurtre du  jeune modèle de la toile Défloration, l'un des chefs d'oeuvre de  Van Tysch passe d'abord pour le geste d'un détraqué, tant cet assassinat est monstrueux, mais il est suivi de près par celui des deux protagonistes du tableau Monstres, autres oeuvre importante du maître. Toute la fondation est en émoi et son service de sécurité enquête. Est-ce l'oeuvre d'un concurrent, d'un fan dérangé? Toujours est-il que dans le contexte de la mise en place de la nouvelle exposition du maître le pire est à craindre.

   Ce roman de José Carlos Somoza est une oeuvre hybride. C'est à la fois un roman d'anticipation, un thriller, mais aussi et je dirais surtout une réflexion sur l'art contemporain, sur ses dérives mercantiles poussées ici à l'extrême avec la vente, l'échange de toiles humaines. Un roman passionnant composé comme un tableau. La première partie tourne autour des couleurs, la deuxième autour des formes, et la troisième autour de l'exposition de l'oeuvre. Une construction originale qui nous plonge dans le milieu de l'art sans jamais nous perdre. Une réussite.