Affichage des articles dont le libellé est Josse Gaëlle. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Josse Gaëlle. Afficher tous les articles

mardi 17 février 2015

Les heures silencieuses



Les heures silencieuses de Gaëlle Josse aux éditions J'ai lu


  12 novembre 1667, c'est à cette date que commence l'histoire. En plein siècle d'or hollandais. Une période où les Pays Bas étaient la puissance commerciale. Magdalena Van Beyeren, fille et épouse d'armateur se confie à son journal. C'est elle que l'on voit sur ce tableau d'Emanuel De Witte. Un tableau sur lequel elle a souhaité être représentée dans sa chambre, assise à son épinette aux premières heures du matin. C'est à ces heures silencieuses qu'elle se sent le plus à son aise, qu'elle écrit, qu'elle joue de la musique.

   "C'est la lumière du soleil montant, celle des promesses du jour, que j'ai voulue pour ce tableau. La journée n'est pas encore écrite, et ne demande qu'à devenir. Ce sont mes heures préférées, j'aime leur reflet dans le miroir de Venise où l'écho de nos silhouettes se perd dans les dorures."

  C'est le journal de Magdalena que nous lisons. Elle y raconte ses joies d'enfant quand elle allait avec son père, dépourvu d'héritier mâle, sur les bateaux à quai, c'était à chaque fois une fête. Elle y déverse ses chagrins, ses peines. Ses rêves d'océan et de contrées lointaines se sont vite heurtés à sa condition de femme. Intelligente, organisée, elle ne peut être que l'assistante de son père, puis celle de son mari à qui son père lègue sa charge. Elle doit se résigner à n'être qu'une épouse, une mère, elle va perdre des enfants en bas âge et  veiller sur ses deux filles restantes auxquelles elle va devoir trouver un mari. Voilà à quoi se résume sa vie, aux murs de sa maison, à la domesticité, à fournir une descendance à son mari. Elle est résignée mais digne. Qu'ils paraissent loin ces doux souvenirs de l'enfance dans lesquels elle se replonge avec une joie teintée d'amertume.

   "Avec le temps, ce sont nos joies d'enfant que nous convoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité. Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra nous ravir. Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s'amenuisent. Nous ne possédons que l'amour qui nous a été donné et jamais repris."


   Puisant son inspiration dans le tableau d'Emmanuel de Witte, Intérieur avec une femme jouant de l'épinette, c'est  un portrait de femme résignée que nous livre Gaëlle Josse. Une femme résignée et digne, qui a voulu figurer sur ce tableau de dos car sa personnalité est niée par son statut. Un portrait touchant, émouvant, une image de la condition de la femme à cette époque. Un portrait tout en subtilité, tout en poésie, tout en musicalité, tout en justesse. Gaëlle Josse a le don de transcrire sur le papier l'âme humaine, ses forces, ses failles. Ce roman est le premier de l'auteur, le dernier qu'il me restait à lire et encore un fois, il m'a touché au coeur.


Intérieur avec femme jouant de l'épinette d'Emmanuel de Witte

   "La vie ne ressemble pas à l'idée que nous en avions, et il nous appartient de savoir accepter notre sort. Je sais qu'il me reste un long chemin à parcourir pour trouver la paix, et ces propos que je m'efforce de tenir parlent à mon esprit, mais ils n'apaisent ni mon coeur, ni ma chair."


Autres chroniques des romans de Gaëlle Josse : Nos vies désaccordées, Noces de neige, Le dernier gardien d'Ellis Island


vendredi 2 janvier 2015

Noces de neige




Noces de neige de Gaëlle Josse aux éditions J'ai lu


   C'est le portrait, le destin croisé de deux femmes russes que nous brosse Gaëlle Josse. Deux femmes  à deux époques différentes, deux femmes de conditions différentes présentées au cours d'un voyage. L'une rentre en Russie après six mois de villégiature dans la propriété de ses parents à Nice et l'autre se rend à Nice pour tenter d'échapper à sa condition.


   Mars 1881, Anna jeune femme de l'aristocratie russe, est sur le chemin du retour après quelques mois passées en France dans la propriété familiale. Elle n'a  qu'une hâte fuir cette France qu'elle hait, cette vie rythmée par les soirées, la superficialité, elle qui ne rêve que de chevauchées dans les grands espaces russes.


   "Et les rires, tous les rires jusqu'au vertige, à l'étourdissement! Vient-on ici pour autre chose qu'un temps suspendu , factice, artificiel et irrésistible? Pour autre chose que les bons mots, les potins, la médisance qui suinte sous les plus charmants sourires, les plus exquis maquillages, sous les plus purs rangs de perles et les plus suaves des fleurs."

  Durant ce long trajet entre Nice et Saint Pétersbourg Anna revient sur sa courte vie. Délaissée par sa mère, elle trouve un peu de réconfort auprès de son père lors de promenades dans la campagne russe, de parties de chasses. Elle se trouve laide, et n'a qu'une passion l'équitation où elle se fait une place dans ce monde d'hommes. Quand elle monte, elle est transfigurée, c'est d'ailleurs ce que lui dit Dimitri, un jeune homme de bonne famille comme elle. Jamais on ne lui a parlé comme ça. Elle veut épouser Dimitri. C'est aussi pour le retrouver qu'elle est est pressée de rentrer.


   Mars 2012, Irina est en partance pour Nice. Jeune femme du peuple, elle va en France pour concrétiser un possible mariage avec Enzo, un jeune français qu'elle a rencontré sur un site spécialisé, proposant aux jeunes français des idylles russes. C'est suite à la fin de sa relation tumultueuse avec Mikhaïl, un jeune militaire revenu complètement traumatisé de la guerre en Tchétchénie, que sa meilleure amie Oksana lui a conseillé de s'inscrire sur un de ses sites où elle arnaque le gogo. Mais Irina n'est pas comme ça, elle veut croire qu'une histoire d'amour est possible.


   "Enzo. Bien sûr Enzo, puisque depuis le départ Irina n'a d'autre but que de faire sa connaissance. Six mois de correspondance électronique assidue, de photos échangées et de versements bancaires. Les semaines qui s'annoncent vont être décisives. Retour définitif à Moscou, ou retour provisoire, mariage à Nice et débuts de la félicité éternelle. Pourquoi pas? C'est ce qu'elle se dit depuis tout ce temps : pourquoi pas? Il semble que des milliers d'hommes rêvent d'une grande histoire  d'amour et d'un mariage avec une jeune russe."

  Dans le train, Irina rencontre Sergueï, chef de bord du train. Consciencieux et suspicieux, il ne veut pas de scandale à bord de son train. Il tient à l'oeil cette belle jeune femme seule. Il lui adresse la parole pour la jauger et se rassurer. Il est inquiet pour la jeune femme qui semble perdue et sans ressource. Le lendemain matin il lui apporte tu thé et une corbeille de croissants. Les deux jeunes gens sont très vites attirés l'un par l 'autre. Un dilemme se pose à Irina :  que choisir, la sécurité financière et un amour possible avec Enzo, ou l'amour passion immédiat avec Sergueï qui lui propose la vie avec lui.

  L'auteure nous propose deux portraits croisés de femmes. Deux femmes attachantes avec leurs failles et leurs forces. Deux femmes que leurs milieux écrasent et qui veulent survivre, vivre.  Deux caractères merveilleusement rendus par  la plume précise, sensible, poétique de Gaëlle Josse. Une écriture rythmée, parfois ronronnante, parfois marquée par de brusques à coups, une écriture au rythme lancinant du voyage en train  que font les deux femmes. Un pur régal.