Vera de Jean-Pierre Orban aux éditions Mercure de France
Vera est fille d'immigrés italiens. Elle est arrivée en Angleterre avec ses parents alors qu'elle était toute petite. Ses parents étaient venus là à la recherche d'un travail pour assurer une vie meilleure à leur fille. Ils s'installent dans le quartier de Little Italy à Londres. Un quartier qui comme son nom l'indique est habité à majorité par des immigrés italiens. Augusto, le père, personnage insignifiant, est docker dans un port de la Tamise. Ada, elle, gère tant bien que mal une sorte d'épicerie bazar. L'essentiel pour eux est de ne pas se faire remarquer, de se fondre dans la masse. A la maison on ne parle pas italien, pas celui des livres en tout cas, les deux parents parlent deux patois différents, et leur fille communique avec eux dans ces deux langues et en anglais.
Vera est approchée par Nunzia Chiegi, femme proche de l'Ambassade italienne, qui va la persuader de suivre des cours du soir d'italien. Mais cette école où elle se rend quelques soirs par semaine prodigue des cours à la gloire du régime fasciste de Mussolini. Vera va succomber aux sirènes de cette Italie forte, rassurante pour elle qui ne sait pas qui elle est. Elle n'est pas anglaise, son passeport et son apparence sont italiens, mais elle ne sent pas italienne non plus. Elle n'a jamais vécu dans son pays d'origine. Petit à petit elle va gravir les échelons dans ces jeunesses italiennes, jusqu'à ce voyage de groupe en Italie où elle aura l'insigne honneur de remettre un bouquet au Duce lui-même de la part de la communauté anglaise. Ce voyage va amplifier son détachement de ses parents, elle va les considérer comme des étrangers.
Churchill ayant décrété au début de la guerre que tous les ressortissants des pays étrangers ayant déclaré la guerre au Royaume Uni étaient des dangers potentiels, de grandes rafles furent organisées. Augusto fut arrêté puis conduit par bateau vers une destination inconnue. Augusto ne revint jamais, le bateau ayant été coulé par un sous-marin allemand. Jamais la famille ne récupèrera le corps. Nous retrouvons Vera à Soho où elle va travailler dans un restaurant "français", elle va se lier d'amitié avec une juif apatride amoureux de la culture française qui va l'initier à la langue et à la culture françaises par le dialogue et par les livres. Sa quête d'identité déçue par le fascisme mussolinien va se tourner vers la France par la découverte de sa langue.
Vera est un premier roman magistral. Poignant, il nous parle d'un fait méconnu de la deuxième guerre mondiale, ces rafles d'immigrants ordonnées par Churchill. Ce roman pose le problème de l'identité, de l'appartenance, des racines. Les deux personnages principaux Vera et Ada sont particulièrement saisissants. Vera est en quête d'elle-même, de qui elle est vraiment. Est-elle définie par son pays d'origine dont elle n'a aucun souvenir et qu'elle fantasme au début du roman au travers du prisme de l'idéologie fasciste? Est-elle définie par un pays d'accueil qui la méprise du fait de son physique typé? Va-t-elle réussir à se trouver grâce à son goût pour la langue française et pour sa culture? Ada, elle, réagit différemment, elle va peu à peu se murer dans le silence. Elle regrette d'avoir quitté son pays et surtout ses enfants morts. Elle va errer dans les cimetières, communiquer avec les morts qui tous appartiennent au genre humain pour se rapprocher de ses chers disparus. Dans ce roman Jean-Piere Orban nous montre l'importance de la langue comme vecteur d'identité. Dans la famille de Vera personne ne parle réellement la même langue on se comprend, mais il n'y a pas une langue commune. Les membres de la famille vivent les uns à côté des autres, ils ne sont pas unis par le langage.
Vera est un roman fort, riche, merveilleusement écrit, un roman poignant, sur l'identité, la difficulté à s'intégrer. Un roman qui a reçu en 2014 le prix du premier roman. Un livre marquant.
ta chronique me donne tout simplement envie de lire Vera au plus vite, qui reste dans "la ligne éditoriale" de mes lectures actuelles :) Merci Hibou !
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