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mardi 16 décembre 2014

Un léger déplacement




Un léger déplacement de Marie Sizun aux éditions Arléa




    Ellen vit à New York depuis trente-cinq ans. Elle y a suivi Norman son mari. Ensemble ils tiennent une petite librairie française dans le quartier de Chelsea, un quartier à taille humaine qui fait penser à un village. Un jour Ellen reçoit un appel de France. Le notaire de sa famille l'informe que sa belle-mère, la seconde épouse de son père est décédée et qu'elle est maintenant la propriétaire de l'appartement familial. Ellen n'hésite pas, elle doit se rendre à Paris pour mettre en vente ou en location cet appartement. Ils ont besoin de cet argent pour agrandir la libraire, et aider leur fille.


   Dès son arrivée à Paris Ellen est bouleversée. Elle retrouve les rues, les ambiances de son enfance et de son adolescence. Bien sûr les choses ont changé, mais pas tant que ça finalement. Elle retrouve facilement le chemin de l'appartement familial pour une plongée dans le passé, dans son histoire. Une histoire dont elle a occulté les périodes les plus dramatiques. Elle ne se souvient plus de certains personnages pourtant si importants dans sa vie, comme sa propre mère par exemple décédée quand elle était toute jeune. Ellen redevenue pour un temps la petite Hélène, va questionner son passé mais aussi son présent. Jeter des ponts entre son histoire et sa vie actuelle.


   "Mais lorsque enfin elle se glisse dans le lit étroit de la chambre du fond et qu'elle éteint la lumière, c'est comme un vertige : dans l'obscurité, aujourd'hui pourrait être hier, le lointain hier d'avant. C'est bien son corps, c'est bien elle-même, Hélène, qui est entre ces draps, dans cette chambre. peut-être que le temps n'a pas passé. Peut-être qu'on est autrefois. Imaginer, rien qu'un instant, qu'elle va se réveiller demain avec le même tressaillement de bonheur que cet été là!"


   "Et voilà que les choses curieusement, lui apparaissent sou un nouveau jour, décalées : comme s'il avait suffi d'un rien, d'un léger déplacement, pour qu'elle ressente une tendresse nouvelle, étrangement poignante pour son père. Une tendresse pleine de questions. C'est elle qui n'avait rien compris."


   La plume tendre, sensible, délicate, précise, poétique de Marie Sizun nous porte dans ce voyage entre passé et présent, dans ce voyage extérieur et intérieur, ce léger déplacement entre New York et Paris, entre passé et présent. Un léger déplacement qui change le point de vue que l'on a sur la vie, qui nous permet de nous nous remémorer des choses qu'on avait, oubliées, de comprendre celles qu'on avait mal comprises,  qui nous propose  de voir de l'autre côté du miroir. Un roman coup de coeur, oui, encore un! Que j'ai de la chance en ce moment d'enfiler ces perles! Un conseil, précipitez vous, et découvrez le style de Marie Sizun, pour ma part je vais me procurer d'urgence ses autres romans.


   "Ellen se dit que la mort, la vraie, ce serait peut-être quelque chose comme ça, quelque chose de magique et de naturel à la fois. Comme il arrive dans les rêves. Rien d'autre qu'une brève rupture, un léger déplacement : le glissement délicat d'un monde dans l'autre. Au fond n'y avait-il pas là une certitude rassurante et tendre, comme la promesse que rien de mauvais ne pouvait désormais arriver?"

vendredi 12 décembre 2014

Portrait d'après blessure




Portrait d'après blessure d'Hélène Western aux éditions Arléa




19 septembre, une explosion a lieu dans le métro, une explosion mortelle. Olivier et Heloïse deux amis se trouvaient dans la rame qui a explosé. Olivier n'a pas perdu connaissance mais est blessé au visage. Heloïse, elle s'est évanouie et semble plus touchée. Ses vêtements ont été arrachés par le souffle de l'explosion. Olivier n'attend pas l'arrivée des secours. Il brise la vitre du wagon avec ce qu'il trouve et sort son amie de la rame, il la porte vers les secours qui s'organisent. Une personne est témoin de cet acte, un photographe de presse. Il prend la photo. Un cliché qui se retrouvera en première page de Scoop-Images, et qui sera repris partout dans la presse et sur internet.


  Nous assistons aux soins, à la convalescence plus ou moins longue d'Olivier et Heloïse. Olivier se remet plus vite. Ses blessures sont moins graves. Il ne peut voir Heloïse qui après une période en soins intensifs est toujours à l'hôpital veillée par son mari. Ils essaient de se remette du traumatisme de l'explosion. Un autre traumatisme vient s'ajouter, celui de la photo. Une photo dont la légende laisse entendre que les deux amis sont amants. Une photo qui a d'autant  plus de répercussion qu'Olivier est un personnage public. Historien, il a créé une émission télévisée, Histoire d'images, qui étudie des photos historiques, prises lors de conflits. C'est en mettant sur pied cette émission qu'il a rencontré Heloïse, documentaliste au ministère de la Défense. Très vite une profonde amitié s'est nouée entre eux. Tous deux savent qu'il y a bien plus que de l'amitié entre eux. Tous deux sont en couple et hésitent à franchir le pas. Un pas que d'ailleurs Olivier se promettait de franchir juste avant l'explosion.

 L'explosion éloigne les deux amis. L'explosion et la photo. Heloïse protégée par son mari, n'est pas au courant du cliché , de sa large diffusion. Olivier, lui est anéanti, il ne sait pas qu'Héloïse en ignore tout, il se remet petit à petit  aux côtés de Karine, sa compagne qu'il n'aime plus.

   "Ses mains et sa bouche me murmuraient des choses apaisantes, tendres. Elles cherchaient à me persuader que j'étais encore en vie. Dans ma nuit personnelle, l'amitié du corps de Karine m'offrait un répit. Un gué pour franchir la succession vide des journées , ces images qui me traversaient comme des coups de couteau et la peur collante qui avait infiltré mon quotidien."

Héloïse va finir par trouver la photo, une photo qui jette son corps en pâture au voyeurisme. Olivier et  Héloïse vont reprendre contact et décider de contre attaquer, d'attaquer en justice le journal à scandales, pour se reconstruire.

Dans ce superbe roman, Hélène Gestern, nous parle de droit à l'image, de l'absence de dignité d'une presse prête à tout les surenchères pour vendre du papier sans se soucier du traumatisme que cela peut causer aux victimes,  sans se soucier de rajouter de la douleur à la douleur déjà causée par le drame. Nous vivons le calvaire d'Olivier et d'Héloïse, nous nous identifions à eux. Portrait d'après blessure est un roman fort, porté par une plume pleine de sensibilité  mais aussi de force, et d'indignation. Ce roman est un coup de coeur et je vais me précipiter sur le roman précédent d'Hélène Gestern, Eux sur la photo, qui me tentait déjà avant de lire ce livre.

   "Mais ce soir le chagrin était d'une autre teneur. Il avait la couleur de l'impudeur : flashes, images crues d'une intimité disséquée au scalpel méchant de la presse à scandale, ses morceaux de chair palpitant dans la lumière ; portrait cruel d'après blessure, viande photographique sur laquelle s'agglutinent les regards comme des mouches obsédantes en appétit de malheur, aiguillonnées par l'archaïque goût du drame."