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mercredi 25 février 2015

Souvenirs de lecture 3 : Laurence Tardieu



Souvenirs de lecture 3 : Laurence Tardieu


   
   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui, c'est à Laurence Tardieu que j'ai voulu poser ces questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué et pourquoi?

LT :     On peut dire que j'étais encore adolescente, oui : ça remonte au jour anniversaire de mes seize ans. Ce jour là, un ami m'a offert un petit livre, mince, à la couverture bleue. C'était Noces , de Camus. J'en ressens encore l'onde de choc sous ma peau. J'ai aimé ce texte dès sa première phrase, pour la force de sa sensualité : cette promenade dans la nature algérienne écrasée de chaleur, où la force du présent et son éblouissement nous empoignent à même le corps. J'ai lu le texte le soir même (j'étais très amoureuse de l'ami en question...), et moi aussi, alors que je lisais les mots de Camus, je faisais cette même promenade, je sentais les odeurs, la brise sur ma peau, la chaleur, je nageais dans la mer, j'ouvrais grand les yeux, je regardais en face mon présent, je me sentais oh combien vivante. J'ai lu et relu ce texte je ne sais combien de fois. Je crois que c'est avec ce texte que j'ai compris combien la littérature pouvait restituer, avec une force poignante, la vie.


LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire?

Lt :      J'ai su au plus profond de moi dès l'âge de six, sept ans, que je voulais écrire. Mais ce texte, d'une immense force et pourtant à hauteur d'homme, loin de m'inhiber, m'a donné plus encore le courage d'oser exprimer, dans ma langue à moi, ma rythmique à moi, ce qui m'appartenait : car l'écriture de Camus est si limpide, si "immédiatement vraie", qu'elle a été pour moi comme une voix qui me chuchotait à l'oreille : "vis Laurence, vis pleinement! et tu sais que pour toi vivre, c'est écrire! alors écris!" Avoir lu Noces de Camus, c'était pour moi, savoir d'un coup, dans une pleine évidence, que l'écriture devait tenter de s'approcher au plus près de la vie. L'écriture serait incarnée, il faudrait chercher à ce que mes mots deviennent vie, autrement, il n'y aurait pas d'écriture.


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coup de coeur?

LT     : Mes dernières lectures coup de coeur :

            Je viens de lire Amours de Léonor de Récondo qui m'a profondément émue et laissé une sensation durable. Bien que ce texte soit extrêmement classique dans sa forme, je l'ai trouvé fort, vrai, ample. C'est la première fois que je lisais un texte de cet auteur.

            J'ai beaucoup aimé aussi dernièrement La route de Beit Zera de Hubert Mingarelli, qui vient de paraître chez Stock. Pour le dépouillement et la force de ce texte. 

            Et j'ai commencé avec ravissement  Tout et rien d'autre, les entretiens de Susan Sontag, parus aux éditions Climat, passionnants. Un texte qui vous élève et qui vous brûle.


Biographie

  Laurence Tardieu est née à Marseille en 1972. L'écriture est là depuis l'enfance, nécessaire, évidente, non pas à côté de la vie, mais dans la vie, prenant sa source en elle, la rendant possible tout en l'éclairant. Après deux années de Classes Préparatoires au Lycée privé Sainte Geneviève (Versailles) puis trois années à l' ESSEC dont elle sort diplômée en 1995, elle travaille comme consultante chez Bossard Consultants. Elle sait très vite que rien n'est plus important pour elle qu'écrire et décide de se consacrer à l'écriture dès 1998. Elle découvre cette même année le théâtre, suit trois ans de formation au Conservatoire d'Art Dramatique du 9ème arrondissement de Paris, en sort diplômée en 2001.

  Elle publie son premier livre, Comme un père, en 2002. Elle mène en parallèle pendant quelques années écriture et théâtre, puis à partir de 2006, se voue totalement à l'écriture.

   Elle publie en 2011 son sixième roman, La confusion des peines, qui marquera un tournant important dans son travail d'écrivain : pour la première fois, elle s'attelle à un matériau autobiographique. Elle n'en sortira pas indemne, mais cette rupture aura profondément fait évoluer son travail et sa réflexion littéraires. Elle publie ensuite un journal de création, l'Ecriture et la vie qui retrace sa quête pour "retrouver des mots qui ont du sens". Une vie à soi, roman autobiographique , paraît en août 2014.

Autre roman de Laurence Tardieu chroniqué sur ce blog : Rêve d'amour.


   Encore un immense merci à Laurence Tardieu pour sa gentillesse et sa disponibilité. Tous les titres de romans ayant fait l'objet d'un chronique sur ce blog sont colorisés  et disposent d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique correspondante d'un simple clic.




vendredi 16 janvier 2015

La confusion des peines



La confusion des peines de Laurence Tardieu aux éditions Le livre de poche





     L'année 2000 est une année noire dans la vie de la narratrice. Cette année voit la mort de sa mère et l'incarcération de son père, dirigeant de la CGE pour corruption. Une année sur laquelle la chape de plomb du silence pèse dans la famille. Il ne faut surtout pas en parler. Un silence que la narratrice veut briser, et pour elle, écrivain la seule façon de briser le silence puisque personne ne parle, c'est de faire un livre de cette vie  marquée par le silence, le non dit . Et pour cela, pour la première fois, elle va désobéir à l'interdit paternel.


   "Tu ne veux pas que j'écrive ce livre. Tu me l'as dit. Tu me l'as demandé. Tu y avais pensé toute la soirée, toute la nuit, tu ne voulais pas. Ou, plus précisément, tu ne voulais pas que je l'écrive maintenant. Ce livre, Laurence, tu l'écriras quand je serai mort. Voilà ce que tu m'as dit."


   Avant la chute, Laurence voyait son père avec ses yeux de petite fille, elle l'idéalisait, ce père si intelligent, si fort, une force toute en douceur, toute en sourire, mais une force indéniable. Mais déjà dans ses moments heureux de l'enfance, le silence régnait, il ne fallait surtout pas se parler d'amour, surtout pas s'exhiber. C'est ce silence qui décrit le mieux les relations dans cette famille.


   "Comme toujours tu ne disais rien. Tu caches. Tu n'exprimes pas. Toujours le sourire, la douceur, l'enveloppement. Pas de problème, il n'y a pas de problème, jamais. Moi aussi avec toi je cache. Je tais. Je ne dis pas. Je formule des phrases , je prononce des paroles, mais pas celles que je voudrais te dire, celles que je porte en moi, qui sont ce que je vis, ce que j'éprouve, qui me définissent. Avec toi je contourne. Je fais semblant. Je passe à côté de moi."


   La condamnation du père va intervenir comme un séisme, une déflagration, le monde de Laurence, tout ce en quoi elle croyait va s'écrouler. Le père va subir et faire subir à sa famille une double peine, celle de son incarcération avec tout ce que cela comporte comme douleur, et celle du silence qui va l'englober, l'amplifiant, la doublant. Elle ne comprend pas, elle ne comprend plus. Par ce livre, en brisant le silence, c'est de son père tant aimé qu'elle veut se rapprocher. C'est de cet être imparfait qu'elle veut se rapprocher. Et le seul moyen pour elle de le faire c'est l'écriture. C'est par l'écriture de ce livre qu'elle va comprendre ce père, le faire tomber de son piédestal pour l'aimer encore plus.



   Ce superbe livre, est une magnifique lettre d'amour d'une fille son père. Un amour adulte, un amour débarrassé de toutes les idéalisations de l'enfance. Par ce livre la petite fille devient une femme, en cassant cette image du père parfait. Un texte porté par le style de Laurence Tardieu. Une écriture vivante, vibrante. L'écriture  du coeur, une écriture qui bat, qui palpite qui saigne. Encore une fois vous m'avez bouleversé Laurence.


   "Mais moi je n'en veux pas des vraies histoires, elles ne m'intéressent pas les vraies histoires, écrire ça n'est pas raconter des histoires, c'est tenter d'atteindre la lisière de la vie, cette matière-là mouvante, violente, imprévisible, or la vie ce n'est pas une histoire, la vie ça ne se déroule pas, ça ne passe pas, ça se tord, ça hoquette, ça n'a ni début, ni milieu, ni fin, pas de personnages, ce sont des corps qui avancent, qui tombent, qui aiment, qui ne savent pas, on avance tous en titubant, et personne n'en sort indemne, on finit tous par mourir."